Celeste
8.2
Celeste

Jeu de Matt Makes Games et Extremely OK Games (2018Nintendo Switch)

Injures. Grognements. Sursauts. Majeur pointé ostensiblement en direction de l’écran… Avec « Celeste » j’ai considérablement étoffé mon langage verbal et corporel pour exprimer toute ma frustration… Et j’ai adoré ça.


Oui, j’ai adoré « Celeste. » Et je l’adore même toujours car j’y joue encore et encore, sans savoir comment m’en détacher. Ce jeu est absolument tout ce que j’aime. Simple et direct dans sa démarche, mais incroyablement riche et varié dans ce qu’il a à nous proposer. « Celeste », c’est ce genre de jeu qu’on ponce encore et encore parce qu’y jouer c’est apprendre, c’est progresser, c’est devenir meilleur.


Pourtant, à première vue, « Celeste » n’a rien de révolutionnaire. Il n’est pas le premier titre qui a cherché à réhabiliter le genre du platformer 2D ou la mécanique du « die and retry ». « Limbo » et surtout « Super Meat Boy » ont su poser toutes les bases sur lesquelles reposent « Celeste », et cela il y a presque dix ans. Malgré tout, il y a vraiment un aboutissement que j’ai trouvé dans le jeu de Matt Thorson et que je n’ai pas su retrouver ailleurs. Et cette différence je pense qu’elle tient globalement à une chose : la bienveillance.


Non pas que « Celeste » soit facile. Si de la bienveillance est à chercher dans ce jeu, ce n’est clairement pas dans le niveau de difficulté qu’on saura la trouver. Comme dit précédemment, « Celeste » est un jeu qui fait rapidement crier et criser. Malgré tout la manière dont est pensée cette difficulté est très intéressante. Contrairement à « Super Meat Boy » qui pense son jeu en série de tableaux de plus en plus nerveux, au point que ça en devienne usant, « Celeste » sait ménager une certaine respiration dans ses niveaux. Si certains passages vont s’avérer très tricky parce qu’ils vont impliquer d’enchainer toute une série d’inputs très précis et sans possibilité de s’arrêter au risque de mourir, d’autres au contraire vont être très posés, nécessitant juste un bon moment d’observation avant de comprendre comment accomplir le bon enchainement, bref mais précis.


« Celeste » nous laisse respirer, mais aussi et surtout il nous laisse le temps d’apprendre. Chaque niveau est toujours un modèle de progressivité. On nous laisse le temps de découvrir les spécificités de cet espace, les nuances de gameplay qui seront propres à l’endroit, et surtout on nous laisse toujours le temps de découvrir chaque nouvel outil mis à notre disposition avant de commencer à faire monter le challenge. Alors certes, plus on se rapproche de la fin du niveau et plus on sent la difficulté et la nervosité grimper : les séquences d’enchainements longs et sans repos se multiplient et un élément narratif vient toujours justifier le fait qu’on ne puisse plus s’arrêter pour respirer. C’est dur certes, mais il y a à chaque fois cette impression que la fin n’est pas loin et que surmonter la difficulté nous permettra de passer à autre chose. Parce que oui, ça aussi c’est une autre belle force de « Celeste » : chaque niveau est un type d’épreuve différent en soi…


Elle est là aussi la bienveillance. Passer un niveau, c’est savoir qu’on a laissé quelque chose derrière soi. On sait qu’on va continuer à en chier, mais on va en chier autrement. Je me souviens par exemple qu’en finissant le niveau 3, j’étais déjà tremblant en pensant au niveau suivant, craignant une nouvelle hausse de la difficulté. Or, au lieu d’être plus élevée, j’ai été surpris de constater qu’en fait, la difficulté du niveau 4 était juste… différente. Et c’est tout bête mais, moi, ça m’a apporté beaucoup de plaisir. Pour le coup mon ascension n’était pas une course vers une réalisation d’enchainements de plus en plus rapide et de plus en plus punitive au point de frôler l’absurdité. Non, au contraire, mon ascension était juste une exploration progressive d’une multitude de facettes d’un même gameplay avec, à la fin de chaque niveau, une acmé de difficulté qui venait valider mon apprentissage.


Et ce qu’il y a d’ailleurs de chouette dans le parcours de ce « Celeste », c’est qu’au fond on se choisit soi-même sa propre difficulté. Un item en forme de fraise traine là dans un coin. Il nécessite une manœuvre périlleuse pour l’obtenir. Il n’y a aucune obligation à le prendre. On ne débloquera rien en les collectant tous. Vouloir le prendre, c’est juste vouloir se tester soi-même. C’est purement facultatif. Simplement pour la beauté du challenge. D’ailleurs, le jeu le dit lui-même : « collectionner les fraises, c’est juste pour impressionner les copains. Rien ne te force à les prendre si tu ne le souhaites pas. »


Il y a indéniablement dans ce jeu un état d’esprit qui fait que, au-delà du plaisir à parcourir des niveaux remarquablement bien pensés, il règne dans chaque partie une atmosphère positive ; celle qui nous fait dire que la difficulté à laquelle on se confronte va nous apporter du bon. On ne lutte pas simplement pour se prouver quelque chose. Encore une fois on lutte pour apprendre. Pour progresser. Et le Mont Céleste est clairement pensé pour ça. On le sait. On le sent. D’ailleurs on nous le dit…


Parce que oui, comment ne pas aborder ce qu’apportent la narration et l’intrigue dans notre expérience de « Celeste » ? Jeune femme venue s’émanciper de ses ennemis intérieurs, Madeline décide de s’attaquer au Mont Céleste comme s’il s’agissait là d’une épreuve initiatique pour atteindre la liberté et la sérénité à laquelle tout le monde aspire. Régulièrement sur son trajet, Madeline va rencontrer des personnages qui vont participer à construire cette ascension comme une épreuve libératrice. Toute une symbolique est d’ailleurs mobilisée pour faire comprendre les phases par lesquelles Madeline va devoir passer pour arriver à ses fins.


Et ce que je trouve remarquable dans cette narration, c’est que le level design de chaque niveau est justement pensé de telle manière à ce qu’on puisse ressentir l’impact de ces épreuves intérieures sur notre expérience de jeu.


Le niveau 2, par exemple, aborde la question du rejet et du sacrifice d’une part de soi. En conséquence, le niveau est construit autour de l’idée qu’il faille se regarder dans un miroir pour que soudainement la glace devienne un moyen de déplacement plutôt qu’un simple obstacle. C’est aussi dans ce niveau que Madeline devra aussi fuir aussi vite que possible ce reflet qui lui colle trop à la peau (fuite qui sera brillamment inversée dans le niveau 6 quand Madeline reprendra le dessus sur son double maléfique). Dans le niveau 3 c’est l’angoisse et le stress véhiculés par l’empathie qu’a Madeline pour les autres qui est au cœur du level design. Faire les choses vite. Devoir toujours se presser. Ne jamais pouvoir se reposer. L’autre est d’ailleurs celui qui nous empêchera d’avancer sereinement sur la partie finale du niveau. Par contre, dans le niveau 5, c’est la peur du regard des autres qui est au cœur du level design. Et comme un symbole, le niveau commence dans l’obscurité. Il faut rallumer toutes les lumières. Puis se confronter au danger d’être vu. Et comme, pour le coup, cette angoisse est davantage centrale au partenaire de Madeline, Theo, ce sera à nous d'aider le jeune-homme à se sortir de ce piège.


Au final, ce jeu parvient à nous raconter une belle histoire, et il le fait d’autant mieux que les phases par lesquelles passent son personnage principal se ressentent ensuite directement dans le gameplay. Ainsi l’ascension du Mont Celeste a fonctionné pleine balle sur moi. Surmonter la difficulté a aussi été synonyme d’un accomplissement ; d’un parcours initiatique. Le plaisir est tel que l’envie de redescendre pour gravir à nouveau le Mont Celeste fut immédiate. Réduire le nombre de morts, récupérer les fraises laissées en route, trouver les cœurs de la montagne pour avoir accès à un dernier niveau secret. Se risquer à des prolongements des niveaux déjà actuellement connus en parcourant leur face B ou C… Il y a tellement de choses à faire que les prétextes à de nouvelles grimpettes – au paufinement de notre art du jump and die – sont nombreux…


Alors oui, « Celeste » ne révolutionne rien, c’est vrai. Par contre, il arrive malgré tout à se poser comme un accomplissement – un sommet – en son genre. Ce jeu, je n’y retouche rien. Je le garde tel quel. J’y trouve pleinement mon compte et je pense qu’il est conçu suffisamment intelligemment pour que tout le monde puisse s’y retrouver. « Celeste » c’est un must. Mon sommet à moi. Mon accès au septième ciel. Donc, rien que pour cela : mille mercis Matt Thorson.

Créée

le 1 mai 2019

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