La quintessence du voyage initiatique
Les créateurs d'Assassin's Creed et Far Cry délaissent le style hyper-réaliste pour se plonger, le temps d'un titre, dans l'univers du conte de fée. Et ça marche. Ubisoft Montréal accouche sans forceps d'un petit chef-d'oeuvre d'onirisme qu'on ne risque pas d'oublier de sitôt. Si le jeu vidéo se hisse au rang de 10e art, c'est grâce à des titres comme celui-ci.
D'emblée, on est happé dans l'histoire par la beauté enchanteresse des décors en 2D tout droit sortis d'une aquarelle de John Bauer. La superposition habile des plans crée un effet de profondeur renversant et leur animation fluide et subtile suggère toute la richesse du monde de Lemuria. La musique, enfin, envoûtante, passant naturellement de la légèreté du piano à l'épopée orchestrale des scènes de combats, ne s'avère jamais agaçante, évoque des gammes d'émotions de fraîcheur mélancolique et achève de nous plonger dans cette ambiance dont on ne peut s'extirper qu'avec regret.
Côté game design, on a affaire à un rpg platformer avec combats au tour par tour. Un choix judicieux qui sert à merveille la narration, quoique pas toujours à la hauteur de l'ambition. On admirera quelques idées de génie, comme la barre de préparation qui servira de principale ressource tactique lors des combats, ou l'altération de l'initiative en cas d'attaque surprise ou d'embuscade, selon l'adresse du personnage à rencontrer son monstre. On regrettera, à l'inverse, des écueils dans lesquels des game designers avertis ne peuvent plus se permettre de tomber. Une progression basique et très éculée de l'arbre des compétences annihile tout l'intérêt du levelling. La limite fixée à deux combattants, alors qu'on trimbale une smala de jusqu'à six ou sept personnages, nous prive d'une bonne partie de l'expérience, puisqu'il est tout à fait contre-intuitif, dans un rpg, de changer une équipe qui gagne. Passons rapidement sur une pléthore de potions (dont on ne se sert jamais) ou sur un système de customisation à l'aide de gemmes à crafter (tellement inutile qu'on en oublie l'existence).
Il reste à dire un mot de la narration. Certains diront qu'elle ne vole pas bien haut. Mais rappelez-vous qu'il s'agit d'un conte de fée, et force est de reconnaître que les codes du genre sont parfaitement respectés et magnifiquement adaptés au support. Au fait, sachez que les dialogues sont tout en rimes, or ce sont des vers de mirliton scribouillés par un auteur à deux sous qui n'a pas la moindre notion des règles élémentaires de poésie. Et là, il faut s'accrocher, parce que pour des yeux un minimum littéraires, le résultat est tout de même bien moisi.
Mais je m'en voudrais de terminer sur cette note négative, car par son ambiance magnifiquement dosée, Child of Light mérite amplement sa place au panthéon des jeux qui marquent.