Annoncé en 2019 avec sa charmante direction artistique et ses influences JRPG traditionnels, Cris Tales a rapidement su attiser ma curiosité. Si Dreams Uncorporated parlait d’inspirations telles que Suikoden ou Final Fantasy, les plus évidentes viendront certainement de Chrono Trigger, le développeur Colombien mettant lui aussi le thème du voyage temporel au cœur de sa production. Un postulat intriguant et suscitant la curiosité, qui m’a poussé à lancer l’aventure avec une certaine confiance. Et j’en ressors malheureusement avec un fort sentiment de frustration. D’un côté, j’ai réellement envie de saluer un titre bourré de bonnes intentions, et doué d’un fort capital sympathie sous sa couche de légèreté. De l’autre, impossible de pardonner les nombreuses aberrations d’une expérience trop abîmée et mal finie pour ne pas susciter l’agacement. Un dilemme qui pose un cas de conscience à l’heure du verdict, pour un titre bien trop souffreteux pour pleinement convaincre, mais pourtant doué d’un capital sympathie qu’on ne saurait ignorer.
Chrono Cris
Alors, pourquoi le nom « Cris Tales » ? Tout simplement parce que notre héroïne s’appelle Crisbell et qu’elle sera rapidement rejointe par un jeune guerrier nommé Cristopher qui l’accompagnera tout au long de sa quête. Après son étrange rencontre avec une grenouille coiffée d’un haut-de-forme appelée Matias, la jeune orpheline va rapidement découvrir ses prédispositions de mage temporel. Concrètement, tout en continuant d’évoluer dans le présent, elle sera aussi en mesure de voir le passé et le futur de tous les lieux qu’elle traverse, ou des gens qu’elle rencontre. Des capacités qui prendront de l’ampleur avec le temps, et qui seront bien évidemment au cœur du récit mais aussi du gameplay, sur lequel nous auront l’occasion de revenir. Sous la houlette d’un mystérieux garçon nommé Willhelm, Crisbell va donc devoir partir à la recherche des cathédrales de chaque continent afin de compléter ses pouvoirs, et gagner la puissance nécessaire pour vaincre l’Impératrice du Temps, qui menace de détruire le monde. Un point de départ assez simple en apparence, et qui aura le démérite de se montrer quelque peu expéditif dans son introduction. Mais le récit finira par prendre assez d’ampleur pour proposer quelque chose de réellement plaisant à suivre.
Bon, reconnaissons que malgré quelques rebondissements intéressants, les plus fins connaisseurs de JRPG ne seront sans doute guère impressionnés par la profondeur du scénario. Mais plus encore que les quelques agréables surprises de sa seconde moitié, c’est bien plus par ses personnages attachants et son univers agréable que l’écriture fait mouche. Là aussi très influencé par les RPGs des années 90 ou encore les animes Japonais, on retrouve un beau panel de personnages altruistes ou volontaires, capables de rendre meilleur même la pire des crapules, à grand renfort d’idéologies positives. On se laisse donc facilement emporté par les nombreuses évolutions de notre groupe de héros ou des PNJs et antagonistes qu’ils côtoient, si on accepte de faire fi du caractère un peu candide de certaines situations. Admettons également que chaque région se démarque avec brio, chacune ayant ses intrigues, ses personnages marquants et son ambiance particulière. La mécanique de temps aidera grandement à la réussite de l’immersion, nous poussant constamment à vouloir découvrir le futur de tel ou tel protagoniste à l’issue de chacune de nos actions. Dommage qu’en dépit de quelques révélations bien trouvées, la dernière ligne droite m’ait laissé dubitatif, notamment son final, à mon sens, complètement raté et bien peu en adéquation avec le reste du récit. On évitera les excès de spoilers, mais disons que certains personnages principaux auraient sans doute mérité une conclusion un peu moins sèche, Crisbell en tête, surtout au regard de leur rôle tout au long de la trame principale.
La grenouille à explorer le temps
Bien sûr, l’élément clef du gameplay de Cris Tales tourne autour de sa mécanique temporelle, que l’on retrouve aussi bien dans ses combats que dans les phases d’exploration. Concrètement, l’écran sera découpé en trois zones triangulaires dans les lieux importants tels que les villages. Le triangle de gauche représente le passé, celui du centre le présent, et à droite se trouve le futur. Crisbell, quant à elle, évoluera toujours dans le présent. En se baladant, le joueur verra donc en permanence l’état du décor ou des PNJs sur les trois époques. S’il ne sera jamais possible de passer d’une ère à l’autre comme bon nous semble, on pourra régulièrement y envoyer notre fidèle grenouille Matias afin d’y accomplir différentes tâches. Les quêtes principales ou annexes nous inciteront donc régulièrement à envoyer notre amphibien dans le passé afin d’écouter une conversation, ou récupérer un objet autrefois fonctionnel et devenu inutilisable, ou ayant disparu dans le présent. Nombre de coffres accessibles uniquement à certaines périodes pourront être récupérés par ce biais. Dans l’idée, la base fonctionne assez bien et favorise l’immersion. Cependant, dans la pratique, l’exécution reste assez simpliste et trop ponctuelle pour pleinement convaincre. On regrettera par exemple que le concept ne laisse place à aucune véritable énigme, ce qui aurait largement vivifié des donjons, pour leur part dépourvu de cette disposition ternaire.
Une fois en zone hostile, les options temporelles se limiteront donc aux phases de combat. Outre les classiques possibilités d’attaques physiques et magiques, Crisbell pourra aussi expédier les ennemis dans le passé ou le futur. Combinée aux capacités de certains alliés, cette faculté peut donner lieu à différents types d’assauts plutôt intéressants. Comme dans tout RPG qui se respecte, on pourra ainsi empoisonner les adversaires à l’aide de la compétence adéquate. La subtilité viendra du fait de les envoyer ensuite dans le futur afin que les victimes prennent d’un seul coup tous les dégâts accumulés par l’altération. Ce genre d’interactions temporelles pourra être effectué avec la plupart des coéquipiers, ce qui donnera un certain cachet à pas mal d’affrontements. Cela dit, comme pour la partie exploration, l’ensemble reste trop limité pour se montrer déterminant, d’autant que les résultats ne se montrent pas toujours à la hauteur au regard de la force brute qu’on aura souvent tendance à privilégier sans plus d’artifices. Il est donc assez dommage de voir que l’une des promesses principales de ce Cris Tales, partant pourtant d’une bonne intention et réussissant parfois de belles choses, déçoive finalement par son caractère trop superficiel et inabouti.
Time attack
Le système de combat se révèle, pour le reste, assez classique même si on relève quelques idées de gameplay intéressantes. Afin de dynamiser ces affrontements, chaque attaque verra ses dégâts boostés si on presse la touche de validation au moment précis de l’impact. Les phases défensives obéiront au même processus, nécessitant de réaliser une parade dans le bon timing afin d’éviter de voir ses HP fondre comme neige au soleil. Une feature qu’il faudra impérativement maîtriser dès le début du jeu afin de faire face à un début d’aventure extrêmement féroce, compte-tenu de l’absence quasi-totale de soins avant d’avoir accès à l’auberge la ville de Sainte Clarity. On saluera également un panel de personnages au maniement vraiment différent, qui permet de varier un peu les plaisirs. A ce titre, le puissant JKR-721 déstabilisera quelque peu avec ses attaques physiques en trois temps, son absence de points de magie, ou encore ses problèmes de surchauffe pouvant lui être fatals s’il se montre trop agressif. Citons également la jeune Zas, spécialiste du hasard, qui peut infliger des dommages ou soins aléatoires aussi bien aux alliés qu’aux opposants. De quoi élaborer pas mal de stratégies diverses, malheureusement elles-aussi mises à mal par un recours trop avantageux à un bien plus simpliste et rentable spam de leurs capacités les plus puissantes.
Et la déception pointe le bout de son nez dès qu’on se rend compte que la plupart de ces mécaniques tiennent plus du gadget que d’autre chose. On s’amuse à les découvrir, certaines peuvent dépanner de temps à autre, mais on les laisse souvent de côté en raison du peu de situations rendant leur usage indispensable. Il faut dire que le bestiaire finalement assez limité, ou encore les boss régulièrement recyclés créent inévitablement une certaine redondance, et n’opposent que très occasionnellement un challenge relevé, à l’exception du début du jeu. Les rencontres hostiles finissent donc à terme par un peu trop se ressembler, victimes d’un réel manque de variations, notamment dans les groupes d’ennemis affrontés. Quelques erreurs de game-design viendront noircir un peu plus le tableau, à l’image de quelques rares créatures bien plus retorses que les autres, sans pour autant rapporter plus de récompenses ou de points d’expérience. D’autre part, si le concept d’un personnage capable de capturer certains monstres à l’instar d’un Pokemon était tout à fait louable, son arrivée se montre bien trop tardive pour être pertinente. Et compte-tenu du travail réclamé pour le rendre jouable au sein d’une équipe déjà bien rodée, le jeu n’en vaut clairement pas la chandelle, en plus de trahir de réelles failles d’équilibre. Enfin, on s’interrogera à nouveau sur la pertinence de proposer, encore aujourd’hui, des combats aléatoires, surtout quand ils sont aussi mal gérés que dans ce Cris Tales. On pourra ainsi d’abord s’agacer de voir notre exploration systématiquement hachée par une surabondance de joutes inutiles, pour ensuite s’étonner de traverser une zone entière sans avoir à livrer bataille une seule fois (véridique) ! Dreams Uncorporated n’aura même pas eu la présence d’esprit d’illustrer les transitions avec un effet visuel particulier, se contentant du triste et banal écran de chargement du reste du jeu.
Time Crisis
Et cette collection d’erreurs de game-design vient parasiter l’expérience sur la majorité de ses aspects. Je me permets de revenir sur le début du jeu qui est assez symptomatique du problème. Ainsi, on débute l’aventure sur un duo de combats incluant un boss et nous présentant quelques mécaniques de base, comme le si important système de parade. Par la suite, nous devrons à nouveau y faire face, cette fois-ci sans aucune aide, avec en tout et pour tout une seule et unique potion pour se soigner. Les deux sœurs faisant office de boss tapant très fort et ayant pas mal de HP, notre seule chance de survie résidera dans notre faculté à maîtriser le timing des parades afin de réduire les dégâts, ce qui peut se révéler assez compliqué après aussi peu de temps de jeu. Peu enclin à faire des cadeaux, le donjon suivant, toujours assez avare en potions de soins, devra être traversé intégralement sans filet de sécurité pour espérer enfin aborder le reste de l’aventure dans des conditions normales de jeu. Comprenons-nous bien, je ne suis pas ici en train de me plaindre de la difficulté trop relevée de Cris Tales, le titre codéveloppé par Dreams Uncorporated et SYCK se montrant en vérité plutôt facile dans sa globalité. J’aurais d’ailleurs aisément compris et accepté cette entrée en matière assez abrupte si le titre s’accompagnait d’une véritable volonté de proposer une aventure complexe, où chaque petite erreur peut potentiellement se payer cash. Mais ce parti-pris devient totalement incohérent dans une production n’effleurant jamais par la suite un tel niveau d’exigence et se révélant, en fin de compte, assez accessible. Et tout le jeu est malheureusement perclus de ce genre de bévues.
Au vu de son univers attachant et de son gameplay pas si désagréable, on a envie de pardonner certaines choses. Il est ainsi facile de fermer les yeux sur quelques étourderies, comme le fait de voir notre groupe de personnages être soigné deux fois de suite durant un enchainement de cinématiques. On arrivera à passer outre la lisibilité des combats, où les adversaires les plus menus sont carrément cachées par leurs collègues les plus massifs en premier plan. Et on fermera plus ou moins les yeux devant les retards d’affichages des dégâts dès qu’on utilise la technique spéciale « frappes de choc » de JKR-721, malgré les moments de confusion qui en découlent. Puis, on commencera un peu à s’agacer devant la lenteur de déplacement du petit Matias, incapable de voyager dans le temps dès qu’il est trop éloigné de nous. Et enfin la patience nous fera sérieusement défaut au moment de voir un piège nous ramener en arrière lors d’un donjon, parce qu’un dialogue s’est déclenché au mauvais endroit en oubliant de mettre la phase de jeu en pause. De vrais soucis qui finissent par irriter, tandis que les multiples bugs, aussi bien techniques que systémiques, viennent casser encore un peu plus l’ambiance.
Et il devient de plus en plus délicat d’être indulgent quand un jeu ne parvient même pas à rester propre, au moins sur ses fondamentaux. Car dans mon cas, une fois arrivé dans le dernier tiers, une partie des équipements n’étaient tout simplement pas fonctionnels. Pour résumer grossièrement le problème, certains d’entre eux ont purement et simplement déréglé les statistiques de mes personnages. Gantelets, sandales ou colliers n’avaient donc pour certains aucun effet, ou pire, divisaient carrément la puissance de leur porteur par deux ! Et il ne s’agissait pas juste d’un simple bug d’affichage de chiffres, le résultat étant parfaitement manifeste une fois sur le champ de bataille. Impossible dans de telles conditions d’excuser un RPG ouvertement cassé, et sur ce point, totalement indigne d’un produit censé être commercialisé.
Paradoxe temporel
Nous n’avons pas encore abordé la partie technique, toute aussi hasardeuse que le reste. Alors oui, artistiquement, Cris Tales est véritablement plaisant à regarder. Plus d’ailleurs pour son chara-design très réussi que pour ces décors parfois inspirés mais parfois plus simplistes, à l’image de sa carte du monde bien peu attrayante. Toutefois, c’est sans compter sur les effets de tearing permanents qui accompagnent chaque déplacement de Crisbell, ou certains effets de pixellisation trop prononcés, qui donnent vraiment un côté cradingue au rendu général. La partie sonore aurait également pu faire un quasi sans-faute, avec ses doublages anglais convaincants, et son OST suffisamment travaillée pour nous plonger dans l’univers du jeu, dont certaines mélodies restent facilement en tête. Mais il fallait en contrepartie que la compression sonore assure quelques ratés, entre les quelques notes qui sautent parfois selon les zones, ou des cinématiques qui crachotent régulièrement. Tout cela fait évidemment beaucoup pour un seul jeu, beaucoup trop diront certains. Cependant, s’il est objectivement plus que critiquable, il serait réducteur de finir cet article sur cette note négative.
Car un jeu vidéo n’est pas qu’un produit dont la qualité finale ne dépend que du nombre de cases cochées dans un cahier de charge. Très mauvais élève dans cette discipline, Cris Tales est en contrepartie un RPG qui sait aussi s’attirer la sympathie. Je parlais plus haut d’une belle batterie de personnages attachants, idéalistes et volontaires qui parviennent à communiquer au joueur un enthousiasme qui fleure bon la nostalgie et l’amour du RPG d’antan. Et c’est cette volonté que parvient à insuffler en permanence Dreams Uncorporated à son jeu, ce qui lui permet d’éviter en partie la correctionnelle. Parce que si on doit un peu trop souvent naviguer à vue face aux multiples bourrasques faisant dangereusement tanguer la barque, on trouve tout de même le courage de rester à flots jusqu’au bout. Une persévérance qui nous permettra de nous délecter de voir un antagoniste charismatique revenir dans le droit chemin, de voir certains de nos choix – aussi scriptés soient-ils – avoir une réelle influence sur le monde qui nous entoure, ou profiter de ses décors immersifs ouvertement inspirés de la Colombie, qui donnent une vraie identité ce petit univers. L’aventure de Crisbell respire ainsi la sincérité, ce qui lui permet de dégager une âme véritable. Elle se montre maladroite et boiteuse à plus d’un titre, mais elle ne se résume heureusement pas uniquement à cela. Il ne s’agit aucunement ici de faire preuve de complaisance, mais à l’heure de conclure, il ne serait ni lucide ni honnête de ne cantonner ce Cris Tales qu’à ses impardonnables manquements, étant donné ses indéniables réussites, qui ont finalement réussi à me motiver à aller jusqu’au bout.
Bon, autant être franc, mais de mon point de vue, je pense sincèrement que Cris Tales n’est pas un bon jeu. S’il est vrai qu’on a facilement envie de se laisser séduire par sa très mignonne direction artistique ou ses quelques bonnes intentions autour du concept temporel, les trop nombreuses erreurs de parcours n’incitent guère à l’indulgence. Manque de profondeur, technique défaillante, ou bugs en tout genre finissent malheureusement par un peu trop dérégler l’horloge, poussant le joueur à vouloir remonter le temps afin d’éviter que sa patience ne se retrouve emportée par un énième paradoxe. Peine perdue, puisque le titre ne lui épargnera même pas les impairs les plus grossiers, à l’instar de ces équipements mal programmés capables de foutre en l’air tout le système de statistiques des personnages. Une inadmissible bévue pour un jeu commercial, que les plus virulents considèreront comme rédhibitoire. Et pourtant, je me refuse à ne retenir de ce Cris Tales que cet épouvantable catalogue de coquilles et de maladresses. Car si je pouvais remonter le temps afin de me rappeler tout ce que j’y ai vécu, alors je ne garderais pas un si mauvais souvenir des aventures de Crisbell et de sa petite troupe. Aussi sûrement que nos héros surmontent tous les obstacles de par leur unité et leur courage, le titre colombien parvient la plupart du temps à faire oublier tous ces maux en sachant se rendre attachant. Malgré tous ces heurts, je suis resté motivé par cette touchante épopée, absorbé par cet univers si dépaysant, et conquis par des personnages qui ont réussi à me motiver à mener ce parcours chaotique jusqu’à son terme, malgré un final un peu frustrant. C’est loin de tout excuser, et Cris Tales est sans doute un peu trop malade pour être conseillé au plus grand nombre. Mais bien que très abimé par les couloirs du temps, son âme véritable lui permet d’éviter la déchirure du continuum espace-temps.