Ce jeu, à la base, il avait tout pour me plaire…
…Mais vraiment.
En tant que grand adorateur des Chevaliers de Baphomet j’ai toujours gardé un amour nostalgique des Point And Click à l’ancienne.
Ce tempo si caractéristique ou rien ne presse ; où il s’agit au contraire de prendre le temps de bavasser, d’être sensible aux détails, d’observer les comportements et les situations…
…Cette manière de nous imprégner de subtils tableaux dans lequels on finit par prendre nos habitudes et au sein desquels on se met à chercher des indices, des objets ou des mécaniques susceptibles de nous faire avancer dans notre enquête…
Et surtout cette façon de distiller une intrigue, un univers, un état d’esprit…
Toutes ces carastéristiques que Disco Elysium semblait pourtant avoir su cerner à la perfection…
(Si seulement…)
Ah ça ! Elles furent délectables mes premières heures passées à ce jeu.
Un réveil en vrac au milieu d’une vieille chambre miteuse.
Atmosphère de vieux polar. Teintes désaturées. Lumières fades. Décors chargés. Lignes confuses.
Découverte des lieux. Découverte de soi. Découverte des commandes.
La grosse biture de la veille est un bon prétexte pour tout découvrir pas à pas. Tranquillement.
La chose se fait d’autant plus spontanément que les commandes de base sont simples, ergonomiques et évidentes.
Clique droit pour faire apparaitre les objets avec lesquels on peut interragir. Clique gauche pour se déplacer et agir. Roulette pour zoomer ou dézoomer. Fluide et logique.
A cela s’ajoute une narration à la voix off qui sait guider comme il faut mais sans jamais rompre avec l’immersion, bien au contraire.
Les menus se remplissent progressivement et le jeu a l’intelligence de ne pas en solliciter toutes les fonctionnalités tout de suite.
Franchement, il y a bien longtemps que je n’avais pas été confronté à un gameplay qui sache aussi bien se prendre en main malgré une certaine complexité.
Pour ça, rien à dire, Disco Elysium a su s’y prendre comme il le fallait pour m’amener à lui.
…Et en gros ça a bien duré une bonne demi-douzaine d’heures.
Alors oui, c’est sûr que si je m’étais mis à rédiger ma critique qu’après ces quelques heures, j’aurais sûrement eu un discours dithyrambique au sujet de ce jeu.
J’aurais loué l’âpreté merveilleuse de son petit quartier de Martinaise, l’incroyable vertige que refile la profondeur apparente de son univers, l’attachement que chacun des personnages parvient à susciter assez rapidement et surtout la satisfaction de sentir que derrière tout ça semble se cacher un propos, une vision, une proposition…
Et puis, petit à petit, les problèmes ont commencé à se poser.
Des problèmes que j’ai voulu ignorer et laisser de côté dans un premier temps, avant que ceux-ci ne viennent totalement polluer mon expérience de jeu, au point de l’étouffer…
…Pour ne pas dire de la dissoudre dans un épais brouillard de néant.
Le premier souci c’est que ça parle quand même beaucoup. Enormément même.
Alors d’accord au départ le charme du verbe opère. Mais au bout d’un moment le déluge de mots finit par peser son poids.
Entre la conversation en elle-même, l’intuition qui donne son avis, l’instinct qui vient contredire l’intuition, le sang-froid qui ajoute à ça son opinion, le tout entrecoupé par les cris hystériques de la cravate qui parle, au bout d’un moment ça commence à surcharger la barque.
Surtout que, dans ce jeu, on sait toujours quand on commence une discussion mais jamais quand on la finit.
Assez régulièrement les arborescences de possibilités s’offrent à nous ; mais des arborescences qui – 90% du temps – n’en sont finalement pas.
Car sitôt choisit-on l’option 1 que toutes les autres restent malgré tout encore accessibles lors du prochain embranchement. Aussi est-on incité à toutes les actionner afin de s’assurer que rien ne nous échappe, si bien que tout ça, cumulé aux multiples réflexions issues de notre for intérieur, finit par générer une certaine fatigue…
…Oui de la fatigue. Ce qui est tout de même con pour un jeu dont le charme tient justement au fait de s’y lover un certain temps.
Or ce qui est triste, c’est que tous les choix audicieux qui ont été pris par les studios ZA/UM pour dynamiser leur jeu finissent à chaque fois, à la longue, par se retourner contre lui.
Prenons par exemple le développement de notre personnage. Dans la bonne tradition des RPG, le jeu nous invite – sitôt on gagne de l’expérience – à débloquer des capacités ou des souvenirs supplémentaires.
Selon ce qu’on débloque, notre héros sera plus ou moins performant lors de ses interrogatoires, de ses inspections ou de ses actions physiques, ce qui impactera aussi le taux de réussite de certains lancés de dés (…lancés de dés dont je parlerai un peu plus loin.)
Or, comme la grille de compétence est très large et les points d’XP peu nombreux, il apparait très vite évident qu’on ne pourra pas implémenter toute la grille et que des choix vont dès lors s’imposer à nous (ce qui me va très bien)…
…Sauf que le souci, c’est que plus on renforce certaines capacités, comme l’intuition, le sang-froid, l’autorité, l’esprit de corps, que ces capacités vont s’immiscer de plus en plus régulièrement dans la conversation, la rendant ainsi encore plus dense et décousue, ce dont le jeu n’avait justement pas besoin, surtout au regard du peu que ça apporte en termes de possibilités de jeu (et de cela on en reparlera aussi).
Et à côté de ça, il y a donc aussi des souvenirs à obtenir. Souvenirs qu’il faut implémenter dans des slots à débloquer dans notre esprit ; et dont il faut gérer le nombre limité.
Au départ intrigant, cet aspect de notre partie se révèle vite assez vain car – à bien tout considérer – ces souvenirs ne servent qu’à une seule chose : ouvrir de nouveaux arcs narratifs – un petit peu comme des missions secondaires – ce qui participe au final – là-aussi – à allourdir et fragmenter encore plus la narration, surtout qu’on ne sait pas trop quand il devient vraiment pertinent de se séparer d’un souvenir pour libérer un slot…
…Pénible.
Autre idée qui se retourne aussi contre le jeu : ces fameux lancés de dés.
Car en effet, assez régulièrement dans l’intrigue, le jeu nous invite à prendre des risques (ou non) pour faire avancer l’enquête. Inspecter un cadavre, interroger un témoin, tenter une cabriole nous sont présentés comme autant d’actions hasardeuses dont la réussite est amenée à dépendre d’un lancé.
Alors OK, dans un premier temps j’avoue avoir trouvé l’idée intrigante mais sympa, tant le lancé de dés a vraiment une incidence sur notre partie. Réussir c’est clairement s’ouvrir une porte de l’intrigue mais rater c’est voir cette même porte se claquer à notre nez et rester fermée pour au moins une journée in game ce qui, dans Disco Elysium, est très long.
Or le souci avec cette logique c’est d’abord qu’on peut très vite se retrouver avec pas mal de portes qui se ferment dès le départ d’une journée et devoir alors ensuite s’occuper avec des affaires secondaires moins intéressantes. Et l’autre souci, c’est qu’en fin de compte, on ne peut pas vraiment interragir sur le pourcentage de chance au lancé en jouant notamment sur nos capacités.
Par exemple, au début de notre partie, on a la possibilité d’inspecter le cadavre autour duquel va tourner notre enquête. Seulement l’odeur de putréfaction est très forte et nos tripes ayant été trop malmenées par la biture de la veille, qu’il devient difficile de résister à une profonde envie de vomir. Aussi, pour retenir ses boyaux, il est nécessaire de procéder à un lancé de dés. Mais comme le taux de réussite étant très faible au regard du peu d’endurance qu’on a (environ 10%), j’ai donc décidé de lâcher l’affaire…
…Seulement au cours de ma première heure de jeu, voilà que je récupère un premier point d’XP. Au moment de l’attribuer à une compétence je me rends compte que mon endurance est très faible. Je repense alors à mon inspection de cadavre et décide d’attribuer mon point à cette compétence.
Sûr de mon coup, je reviens au cadavre, m’apprête à faire mon lancé de dés… Sauf que mon taux de réussite n’a monté que de 5%, soit rien. J’ai donc perdu un point d’XP pour que dalle.
Au final, pour réussir à ne pas vomir, c’était d’un souvenir dont j’avais besoin et pas d’une compétence.
A bien tout prendre donc, on n’a en fin de compte aucune véritable emprise sur le lancé de dés. Ce sont juste des barrières arbitraires qui ne sont là que pour nous fermer ou nous ouvrir arbitrairement des possibilités d’enquête.
Dit autrement ce n’est pas toi qui choisis quel aspect de l’intrigue tu as envie de creuser, c’est le hasard qui le fait à ta place.
Bref, une contrainte de plus qui, se rajoutant à toutes les autres, te rappelle qu’en fait, depuis le départ, tu n’as d’emprise sur rien.
Or cet aspect-là – cette impression qu’en fait on n’a finalement la main sur que dalle – c’est peut-être ce qui a le plus pesé – sûrement même davantage que le poids colossal des dialogues – sur le fait que je finisse par m’enliser tristement dans ma partie.
Parce qu’au fond, si on n’a d’emprise sur rien, où se trouve le jeu ?
Car un jeu c’est quoi en fin de compte ?
Un jeu c’est certes un divertissement, mais c’est aussi et surtout une implication dans une « partie ». Et j’entends par là une implication qui relève de l’ordre du défi.
Jouer c’est se confronter à des règles ou à d’autres joueurs via des règles.
Sans confrontation, sans obligation de déjouer l’opposant, il n’y a pas de possibilité de jouer.
Dit autrement, jouer c’est déjouer.
Or, dans Disco Elysium qu’a-t-on vraiment à déjouer ?
Est-ce que par exemple nos longs interrogatoires nécessitent une stratégie particulière ?
Réponse : même pas.
Comme dit plus haut, 90% du temps, le choix des réponses qu’on nous propose n’impliquent ouvertement aucune incidence sur les dialogues à venir. Quant aux 10% restants, ils donnent certes l’illusion qu’ils vont avoir un impact durable et irréversible sur l’intrigue, mais dans les faits il n’en est rien.
A plusieurs reprises, je me suis amusé à recharger une partie en amont afin de reprendre une conversation mais en adoptant des choix de réponses diamétralement opposés.
Conséquence ? A chaque fois je finissais toujours par retomber sur les mêmes conclusions.
Donc au final – et à bien tout prendre – le jeu ne nous laisse vraiment aucun choix.
Pire que ça, la partie se bloque sitôt cherche-t-on à s’en tenir à ce qu’on croyait être un choix. Et à ce sujet-là, j’ai encore le souvenir bien frais d’une mission qui est une parfaite illustration de toute cette absurdité ludique.
Cette mission, c’est celle qui a consisté à enquêter pour le compte de Wild Pines sur le trafic de drogue qui incrimine l’un des camionneurs en grève.
Pour mener l’enquête, il est donc nécessaire d’interroger les cammionneurs un à un afin de collecter des indices.
Or, à un moment donné, vient le moment de cuisiner un camionneur plutôt sympa et avec lequel j’avais décidé jusqu’à présent d’être plutôt cool, en espérant que ça puisse avoir une incidence sur le reste de la partie.
Possibilité m’est alors soudainement donnée soit de malmener ce brave type dans mon interrogatoire soit au contraire de le ménager.
Mon intuition intervient alors pour me signifier qu’en choisissant la méthode forte, je perdrais forcément son amitié.
En tant que joueur, j’y vois une instruction ludique. Le jeu me fait explicitement comprendre que j’ai le choix entre deux possibilités et que ce choix sera irréversible. Et histoire d’être cohérent avec mes choix passés, je décide donc de le ménager.
…Sauf qu’en fait il n’y avait pas de choix à prendre.
Pour avancer il fallait forcer, un point c’est tout.
Mon intuition ? En fait, elle m’a embrumée la partie plutôt qu’autre chose puisqu’en définitive, plus jamais je n’aurai besoin de ce personnage par la suite.
Depuis le départ donc, il n’y a pas eu de choix.
Dans toute cette histoire donc, le choix n’était qu’une illusion.
Et à chaque fois où j’ai voulu voir un choix là où le jeu me l’avait explicitement signifié qu’au final je me suis retrouvé bloqué dans ma partie.
En fait, dans ce jeu, il n’y a jamais de choix.
Et le moyen le plus sûr d’avancer reste encore d’activer tous les dialogues, tout le temps, en mode bourrin, jusqu’à ce que l’intrigue se débloque.
En somme, à bien tout considérer, ce jeu ne se limite qu’à faire défiler des dialogues sans réfléchir.
Les compétences à développer ? Les lancés de dés à opérer ? Tout ça au fond n’est qu’accessoire et ne sert factuellement qu’à ralentir la progression.
De là en découle une absurdité assez aberrante : dans Disco Elysium le jeu a beau être quasiment inexistant qu’il n’en reste pas moins notre principal ennemi.
Car quiconque voudrait se raccrocher au seul plaisir fourni par l’univers et l’intrigue que ce dernier se retrouve systématiquement saccagé par les rares mécaniques ludiques mises à disposition.
Discussions à plusieurs entrées qui alourdissent la narration pour rien, multiplication des voix du héros qui interviennent dans les dialogues, lancés de dés qui ferment aléatoirement des portes…
En fait, tout ce qui fait que Disco Elysium est une purge à parcourir est intégralement lié au fait qu’il soit un jeu…
…Ou plutôt devrais-je dire un faux jeu.
Et le pire dans tout ça c’est que, même techniquement, Disco Elysium est un jeu qui savate sa narration.
Parce qu’à bien tout prendre, me concernant, la goutte d’eau qui a fini par faire déborder le vase, au fond, ça a été les temps de chargement.
C’est tout con hein, mais associé à tout le reste, ces temps de chargement ont clairement constitué la nuisance de trop.
Il y en a partout. Sitôt on franchit une porte ou qu’on monte un escalier qu’il faut qu’on se bouffe un écran de chargement.
Et puis pas toujours des petits hein ! Là-dessus aussi c’est du vrai lancé de dés ! Des fois ça relève de la minute !
Du coup quand il s’agit dans le jeu de partir de sa chambre pour aller interroger le gros Tony qui se trouve dans son conteneur à littéralement 200m, il va falloir se bouffer CINQ temps de chargement à l’aller et CINQ temps de chargement au retour ! (J’ai compté.)
Alors pour peu que le gros Tony n’avait finalement rien à nous raconter de plus qu’à notre dernière visite, autant vous dire qu’on peut perdre facilement un petit quart d’heure juste pour un trajet qui n’aura au final servi à rien. Un quart d’heure passé d’ailleurs pour l’essentiel à zieuter des temps de chargement ou – comme ça a fini par être mon cas – à lire des critiques de SC sur mon téléphone en attendant ! (L’idéal en termes d’immersion.)
Et si d’un côté je peux entendre que le problème est peut-être accentué par le fait que mon PC ne soit pas une bête de compèt, de l’autre je me demande franchement ce qui, en 2021, nécessite autant de ressources pour un simple jeu en 3D isométrique !
Du coup – oui je l’avoue – au bout d’une dizaine d’heures de jeu j’en ai clairement eu ma claque.
Ma claque au point que je zappais quasiment tous les dialogues que je lisais rapidos et en traviole.
Ma claque au point de relancer des sauvegardes à chaque lancé de dés foirés.
Ma claque au point de lire de temps en temps des soluces pour essayer d’aller au plus vite à la fin…
Le pire c’est que ce jeu est même parvenu par me dégoûter de cet univers.
Car si au départ on m’avait fait rêver en parlant de plein de lieux, j’ai vite compris qu’au final on ne quittera jamais vraiment Martinaise.
Et si Martinaise est certes un endroit qui possède indéniablement son charme et son épaisseur, au bout d’un moment – à force de nous y faire trainer en longueur – le sentiment d’avoir fait le tour s’impose rapidement.
Pire, le sentiment qu’au fond tout ça relève aussi de la décoration de surface finit lui aussi par dominer.
D’accord on nous a parlé de communisme, de consortiums et de coalition, mais tout ça pour en dire quoi franchement ? …Pas grand-chose.
D’accord on nous a parlé de continents, de races et de cryptobestioles, mais tout ça pour nous en montrer quoi ? …Pas davantage je le crains.
Au final, tout ça a des allures de pays d’Amérique latine pendant la Guerre froide et où la seule singularité tient aux brassages des cultures qui s’y trouvent…
…Même de ça, en fin de compte, Disco Elysium n’a pas l’air d’avoir su en tirer le plein potentiel.
Bref, tout ça pour arriver à ce triste bilan, mais un bilan que, pour ma part, je trouve riche d’enseignement.
Et ce bilan c’est le suivant : on a beau avoir un bel univers, une belle histoire, de jolis décors et une patte soyeuse qu’en définitive ça ne pèsera jamais grand-chose dans un jeu vidéo si derrière toute la base ludique est aux fraises.
(Après, bien sûr, cet enseignement n’engage que moi.)
Parce que oui – et ça me fait vraiment mal de le dire aussi crument – mais je n’arrive pas à faire d’autre bilan : mis à part le souci des temps de chargement, tout ce qui plombe ce Disco Elysium tient à ses seules mécaniques ludiques.
Comme quoi l’audace et la créativité, dans le jeu vidéo c’est bien, mais encore faut-il savoir les mobiliser sans oublier les bases, au risque de passer à côté de l’essentiel.
Et ce qui est triste dans tout ça, c’est que ce jeu a réveillé en moi une envie de point and click bien ouvragés…
…Mais que malheuserement, au jour d’aujourd’hui, Les chevaliers de Baphomet ça commence clairement à dater.