Dishonored
7.6
Dishonored

Jeu de Arkane Studios et Bethesda Softworks (2012PlayStation 3)

Dishonored, c’est le jeu qu’on aurait quasiment taillé pour moi, le gamer qui passe (passait) un peu trop de temps sur les forums à discuter de la meilleure manière de faire un jeu. On y aurait mis tous les ingrédients nécessaires à un grand jeu : une direction artistique inspirée, un background original, un scénario un brin politique et pas trop manichéen, un large éventail de solutions, de l’infiltration pure à l’action débridée, un soupçon de conséquences et de réflexion morale, et une accessibilité salutaire. Les références sont toutes là, de Deus Ex Human Revolution à Hitman en passant par BioShock .

Tout ça pour dire que ça ne colle malgré tout pas tout à fait. En premier lieu, on nous refile encore en 2012 un personnage muet comme une carpe. D’autant plus rageant qu’on n’incarne pas le premier venu, mais le supposément très important Garde de l’Impératrice. Pour résumer (et spoiler) rapidement, l’impératrice est assassinée sous nos yeux dès notre arrivée par un commando capable de se téléporter, et forcément, on est accusé. Un temps de chargement nous explique que six mois se sont écoulés et que tout le monde nous en veut, et on se retrouve dans une cellule. Une faction « loyaliste » décide de nous aider à nous échapper car elle nous croit innocent, parce que, voilà, et puis un personnage mystique nous apparaît et nous donne des pouvoirs occultes, parce que, voilà.

On se retrouve donc à suivre scrupuleusement les missions que nous confient les responsables de cette faction, ce qui prive du même coup le personnage de la moindre initiative et de la moindre personnalité. Comme l’assassinat nous était incompréhensible (malgré le ralenti fort esthétique), on n’a aucun moyen de savoir que faire pour rétablir notre nom. La question contre qui se venger pourrait légitimement se poser, mais le jeu y répond pour nous directement, par un écran de chargement (décidément !) puis par une scène d’interrogatoire où les responsables nous l’avouent tranquillement : il s’agit de machin et bidule (je ne retiens pas les visages et les noms aussi vite), qu’on a croisé deux secondes pendant l’intro. S’ajoutent à ces deux compères un tas de personnages qu’on ne connait ni d’Eve ni d’Adam, mais que nos comparses loyalistes nous assurent être mêlés au complot.

Pour résumer, rien n’est fait pour mettre en scène le désir de vengeance qui est censé être au coeur de l’histoire. Officiellement, on agit pour mettre la jeune Emily sur le trône, mais la tagline du jeu est bien « Revenge solves everything ». Il faut également noter l’ironie de commettre un tas d’assassinats pour se défendre d’une accusation de meurtre, même s’il est heureusement possible de ne tuer personne. On fait donc le larbin contre mauvaise fortune bon coeur pour découvrir les tenants et les aboutissants de l’histoire, en ayant cependant au moins une bonne raison de préférer toutes les méthodes alternatives à la violence létale.

Contrairement à seblecaribou donc, je me suis senti l’obligation de jouer sérieusement infiltration. A tel point que je me laissais mourir et rechargeais quasi systématiquement quand je me faisais découvrir (j’ai eu une poignée d’alertes et une dizaine de morts sur l’ensemble du jeu). Et pourtant, intellectuellement, le concept de devoir assumer les conséquences d’une infiltration ratée me séduit beaucoup, et les temps de chargement sur PS3 étaient bien pénibles également, mais rien à faire, je rechargeais malgré tout. La violence ne me semblait pas justifiée en effet à l’égard de gardes qui travaillaient auparavant pour moi, et il ne tenait qu’à moi de faire l’effort de les épargner (être capable d’endormir quelqu’un à coup sûr avec un étranglement ou une fléchette, c’est toujours aussi peu réaliste, mais c’est suffisamment pratique et fiable pour ne pas être décourageant). La non-violence est de plus encouragée par la relation entre la prolifération des cadavres et celle des rats : comme les rats sont une nuisance pour le joueur et une plaie pour la société, on est encouragé à limiter nos penchants meurtriers, à la fois par le gameplay et le contexte narratif.

Cette abnégation particulière m’a permis de trouver un challenge parfaitement adapté à mes attentes. Après un léger temps d’adaptation aux capacités du héros, comprenant notamment le Clignement (ou téléportation pour le commun des mortels) et la possession d’animaux et d’humains, on découvre rapidement l’éventail d’opportunités qui s’offre à nous. En désactivant les flèches d’objectifs, on se retrouve ainsi à explorer à l’ancienne des niveaux magnifiques, complexes et plutôt crédibles, recelant de nombreux secrets. Les développeurs ont gracieusement évité le piège de l’xp qui récompense chacun de nos pas ou pire, le fait de se débarrasser des ennemis, mais il y a toujours de quoi récompenser les plus aventureux, avec argent, et surtout runes et bone charms. Je ne me suis cependant pas senti obligé de tout fouiller non plus, mon style de jeu privilégiant l’efficacité discrète se contentant de peu de pouvoirs. La téléportation fait de plus des merveilles pour explorer les lieux très verticaux, mais elle ne dispense jamais de devoir se faufiler discrètement tout près des gardes. La possession d’êtres vivants est un autre ajout original qui vient rafraîchir l’exploration, et qui permet de justifier pour une fois le passage par les tuyaux d’aération. Et si les pouvoirs permettent également de voir les gardes et leur champ de vision à travers les murs, leur effectif ne rend pour autant pas toujours la tâche si aisée. Bref, la boucle de gameplay observation, planification, attente, exécution, réaction fonctionne toujours aussi bien, et le personnage est un plaisir à manier.

J’ai été un peu surpris et déçu que le jeu semble reprendre le modèle d’Hitman une mission = une cible mais qu’il situe l’action majoritairement dans des zones hostiles. En effet, cela rend caduque la justification du masque de Corvo censé le rendre incognito, et cela nous prive surtout de rencontrer réellement la population de Dunwall dans ses occupations quotidiennes. On voit bien quelques survivants, quelques pestiférés, quelques voyous et bandits mais les gardes qui attaquent à vue n’offrent pas une entrée en matière des plus accueillantes. Heureusement, le jeu se rattrape sur sa structure assez dynamique, avec des quêtes annexes à découvrir au fil de nos rencontres, qui épaississent la trame scénaristique et font vivre les lieux visités. Leur écriture est plutôt réussie, puisqu’elles sont moins innocentes qu’il peut paraitre, une partie faisant miroiter d’alléchants bonus en récompense d’actes peu recommandables. Il est d’ailleurs assez facile de commettre des atrocités sans trop s’en rendre compte.

Assez étrange d’ailleurs de voir les alternatives « pacifiques », systématiques mais qu’on découvre souvent de manière impromptue, et dont la mise en application surprend également : il suffit de discuter avec un bandit pour qu’il s’occupe de deux aristocrates. Qu’il leur coupe la langue et les envoie dans leur propre mine au passage, c’est peut-être mieux que la mort, mais ça reste sujet à discussion et j’aurais apprécié être prévenu avant. La solution nous arrive aussi parfois de manière téléphonée, sans qu’on ait vraiment cherché. Là encore, le manque de motivation et d’initiative du protagoniste se fait cruellement sentir.

Ce qui passe beaucoup mieux par contre, c’est le monde de Dunwall. Comme dit auparavant, la direction artistique est très réussie, avec un style steampunk bien particulier, des visages très expressifs, un level design tortueux qui renforce l’atmosphère et la cohérence des environnements. Les temps de chargement qui découpent l’aventure sont regrettables, surtout en ce qui concerne les transitions du scénario, mais le terrain de jeu reste la plupart du temps suffisamment vaste pour ne pas poser de problème au cours des missions. On voit toujours le reste de la ville depuis les niveaux, et les livres, si peu agréables qu’ils soient à lire sur mon écran cathodique, réussissent à suggérer une culture, un monde extérieur. En plus des conversations que Corvo peut entendre et des déductions que l’on peut tirer des lieux visités, l’item Coeur constitue une inestimable source d’informations sur l’univers. Avec un phrasé sophistiqué et une perspective unique, il s’acquitte de son rôle avec brio, en réussissant à trouver sa place dans la fiction.

Dishonored est donc un jeu que j’admire, qui coche la plupart des cases qu’il « faut » cocher. Pourtant, j’ai aussi eu du mal à y jouer, avec ces reloads et ces temps de chargement à n’en plus finir, qui ont plus que de raison fractionné mes parties. J’ai hâte d’y rejouer de façon plus bourrinne, de me servir un peu plus des pouvoirs, des armes et des pièges, un peu trop orientés vers le massacre sanglant. Le rythme et mes nerfs devraient sans doute en bénéficier, même si mon style de jeu m’a au moins permis de réduire à néant tous les prétendus problèmes de durée de vie. Je crains juste que le scénario n’en ressorte pas grandi, exposant encore un peu plus l’incongruité du mystère non résolu de l’Outsider, et le classicisme du « twist » (décidément, ils n’auront rien appris sur comment trahir et disposer efficacement de Corvo). Je préfère ne même pas parler de la fin expédiée en moins d’une minute, qui continue cette tradition aberrante de petit monologue de narrateur sur fond de saynètes défilantes. A mon grand regret, je ne retiendrais sans doute du cast que le personnage de Samuel, Emily étant trop classique et bien moins intéressante qu’une Eleanor Lamb ou une Clementine de The Walking Dead. Je peux donc comprendre les critiques, mais le jeu assure quand même sur bien des plans, se montre ambitieux et intelligent, et je ne trouve pas les louanges si imméritées. S’il ne gagne pas complètement mon coeur, il a tout mon respect, et j’espère que son exemple sera suivi et amélioré à l’avenir.

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le 12 nov. 2012

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upselo

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