De la maîtrise. Mais pas de surprise.

Jadis, dans un lointain passé, j'étais jeune et innocent, j'avais une Super Nintendo, et j'ai poncé "Donner Kong Country" comme jamais.
...Mais vraiment poncé.
Et visiblement je n'étais pas le seul puisque le jeu a été à l'époque un record de ventes.

Et puis j'ai appris plus tard que Dieu Miyamoto lui-même s'était étonné d'un tel succès.
Pour lui, "Donkey Kong Country" c'était juste beau pour son époque, mais en termes de gameplay ce n'était pas si folichon que ça non plus.
Et c'est là que j'ai réalisé qu'en fait il n'avait pas totalement tort.
C'est vrai qu'à son époque j'adorais surtout jouer à "Donkey Kong Country" parce qu'il y régnait une atmosphère peu commune.
L'air de rien la technologie graphique employée pour ce jeu ainsi que les choix thématiques opérés pour les niveaux (les ruines abandonnées, les forêts sombres, les pics enneigés ou bien encore la zone industrielle) participaient grandement à développer une ambiance mélancolique que les superbes musiques de David Wise contribuaient à entretenir.
Et oui, au fond le gameplay n'avait rien d'extraordinaire. Il était efficace et assez varié mais il ne révolutionnait et n'apportait clairement rien de neuf.
D'ailleurs, j'avoue que passé cet épisode j'ai un petit peu eu du mal à suivre le reste de l'aventure "Donkey Kong". Des suites sur Super Nes jusqu'au portage sur 64, je n'ai jamais retrouvé ailleurs cette singularité du premier "Donkey Kong Country".

Si je précise tout cela avant d'aborder le cas de ce "Donkey Kong Tropical Freeze" c'est bien évidement parce qu'on sent l'envie incontestable de la part de ce jeu de renouer avec ses fondamentaux ; avec ce qui a fait le succès et la réputation de la franchise "Donkey Kong".
Et sur ce point là il faut bien reconnaître que Retro Studios a su y mettre les formes.
C'est vrai que ce "Tropical Freeze" est un vrai récital en termes de plateformer-2D ; une démonstration encyclopédique de tout ce qu'on peut faire avec le genre.

Six îles, une dizaine de niveaux par île (dont une partie cachée) et tellement d'idées par niveaux...
Ah ça on ne s'est pas foutu de nous, c'est certain. On a mis les petits plats dans les grands. C'est varié, bien dosé, maîtrisé, malin... Et tout ça dans le plus pur esprit de "Donkey Kong Country".
Personnellement je ne vois vraiment pas ce qu'on pourrait reprocher à ce "Tropical Freeze" sur ce seul aspect là.
Globalement c'est très pro. Réfléchi. Cohérent. Rien à redire...
C'est du très bon "Donkey Kong" ; une vraie réussite en la matière.

Seulement voilà, on est aussi en droit de se poser la question de ce qu'apporte vraiment du très bon "Donkey Kong" aux joueurs que nous sommes aujourd'hui.
Parce que justement, comme je le disais plus haut en introduction de cette critique, le succès de "Donkey Kong Country", au fond, c'était surtout le produit d'une étrange singularité, presque d'un accident propre à son époque.
En soi, la saga "Donkey Kong" n'a jamais rien apporté à son genre et n'a d'ailleurs jamais prétendu chercher à le faire.
"Donkey Kong" n'est pas une franchise sur laquelle on expérimente. Celle-ci s'est toujours simplement contentée de reproduire des mécaniques connues et installées ailleurs, sans aucune autre ambition que celle de séduire par un univers et des graphismes autres qu'un "Super Mario".
Du coup je pose la question : qu'apporte vraiment un "Donkey Kong Tropical Freeze" dans le contexte d'aujourd'hui ?

Alors oui, ce jeu offrira une magnifique porte d'entrée aux plateformers-2D pour tous les jeunes joueurs qui sont amenés à découvrir le genre.
Pour ceux-là, "Donkey Kong Tropical Freeze" sera du caviar, surtout que le mode facile et coopératif est très bien pensé pour eux.
Rien que pour ça, ce jeu a toute sa légitimité.

OK aussi pour dire que "Donkey Tropical Freeze" saura faire plaisir aux nostalgiques de la première heure qui, comme moi, n'ont pas eu l'occasion de croquer de la plate-forme 2D depuis un bout. (D'ailleurs j'inciste : ce jeu a su me distraire, je ne le renie pas.)

Par contre, j'avoue malgré tout que j'ai du mal à m'enthousiasmer pour ce jeu. Pour être franc je l'ai même oublié sitôt parcouru et n'ai nullement envie d'y retourner.
Pourquoi ?
Eh bien justement, je pense que c'est lié au fait que cet épisode "Tropical Freeze" s'est simplement contenté de reproduire une mécanique - certes avec beaucoup de maîtrise et d'exigence - mais sans parvenir à générer une quelconque singularité ; ce que "Country" avait su faire et cela (presque) malgré lui.

Parce qu'à vouloir fournir un épisode bien calibré de bout en bout sur des plate-formes sans surprise et avec des technologies qu'on a désormais bien en main, Retro Studios n'a fait que nous fournir un produit lisse ; un jeu tellement sans accroc ni étrangeté qu'il glisse tout seul.
Tout seul jusqu'à l'oubli.

Et c'est sûrement sur ce point que, à mon sens, ce "Donkey Kong Tropical Freeze" passe en partie à côté de son hommage, voire même de l'intérêt vidéoludique qu'il aurait pu avoir.
Car s'il y a bien un élément sur lequel cet épisode n'a pas fait preuve de richesse et de diversité c'est bien sur son ambiance.
Tout du long, "Donkey Kong Tropical Freeze" n'est qu'un océan de couleurs chamarrées dans lequel s'empilent bestioles et décors sans réelle logique sinon celle d'un Parc Disney.
Alors certes, ça a été pensé pour les enfants et les enfants aiment bien les couleurs flashys et les bébêtes qui font de drôles de têtes. Mais pour le coup quel manque d'ambition et d'imagination. Quelle régression même à l'égard de "Donkey Kong Country" premier du nom...

Parce que l'air de rien, dans l'épisode de Rare de 1994, progresser de monde en monde, c'était progresser dans une narration.
L'île était divisée en deux versants, le monde des Kongs d'un côté et celui des Kremlings de l'autre. Et quand bien même l'opposition était simpliste, l'opposition était là.
Le monde des Kremlings était un monde industrieux, militariste et basé sur l'exploitation de ressources jusqu'à l'agonie. De l'autre il y avait le monde des Kongs, un monde naturel dont les équilibres s'étaient soudainement retrouvés perturbés par l'arrivée des Kremlings.
La présence de ruines civilisées et de villages abandonnés dans les cimes avaient d'ailleurs ceci d'intéressant qu'ils laissaient suggérer (volontairement ou non) que le monde des Kongs s'était construit sur les vestiges d'une opposition similaire à celle que subissent Donkey et les siens et qui a abouti à l'inévitable extinction des deux camps.
Encore une fois c'était simpliste, mais c'était là. Et l'esthétique sombre et cabossée (parce que mal maîtrisée) de l'époque, ainsi que l'atmosphère musicale posée par les compositions de David Wise participaient à raconter quelque chose à travers ce parcours...

Or rien de tout ça dans "Tropical Freeze".
Les îles sont de simples zones thématiques d'un parc d'attraction.
Les ennemis des peluches qui bougent sur un stand de tir qui sent la barbe à papa...

Du coup voilà.
Moi, avec ce "Tropical Freeze" j'ai juste eu l'impression d'avoir fait mon tour du parc à attractions et rien de plus.
J'ai accepté les Mickey et les Minnie en guise de héros, les peluches à la con, les lettre KONG à choper au stand de tir et les pièces de puzzle à collecter sur les gobelets en plastique.
Mais on ne va pas se mentir non plus : si j'ai accepté tout ça ce n'est pas parce que c'est ce que j'apprécie. Non, si j'ai accepté tout ça c'est simplement parce qu'il s'agit de conventions tellement installées qu'au fond de moi je ne cherche même plus à lutter contre elles.

Alors du coup oui, je m'interroge : "Donkey Kong Tropical Freeze" est-il vraiment une telle réussite ?
Nintendo et Retro Studios ne se la sont-ils pas joué un peu trop facile sur ce coup là et nous, joueurs, par simple convention, ne nous satisfaisons-nous pas un peu trop rapidement de ce manque cruel d'audace ?

Peut-être me répondra-t-on : "en même temps, ce n'est que du" Donkey Kong" alors qu'espérer de plus ?"
Eh bien justement : ne serait-ce pas cela dont il faudrait prendre conscience ?...Que du très bon "Donkey Kong", au fond, ça ne reste que du "Donkey Kong" ?