Escape Dead Island
5.5
Escape Dead Island

Jeu de Fatshark et Deep Silver (2014PC)

Cachez cet ours polaire que je ne saurais voir...

Bon alors des arbres qui bougent tout seul en faisant plein de bruits bizarres, genre Grou-Grou-je-vais-te-bouffer, on a.
Des trappes mystérieuses, ouvertes sur les profondeurs de la terre, on a aussi. On a même à foison, il y avait une promo sur les conduits souterrains tout rouillés.
Des laboratoires top-secret où ont eu lieu des expériences malsaines, on a aussi, c'était équipé de série avec des lecteurs de cartes magnétiques.
Pour être sûr de faire les choses dans les règles, on a même pris l'option facultative avec les pluies de containers.
Ok, on n'a pas pu avoir d'ours polaires, mais des autochtones hostiles, ça, on n'en manque pas.
On a même des murs qui respirent.
C'est vous dire si on y a mis du coeur.


"J'ai comme un sentiment de déjà vu", déclare le ténébreux Cliff Calo au commencement (?) de l'aventure. Le joueur ne peut qu'être de son avis. Non qu'il n'y ait pas d'originalité dans l'enrobage cell-shadisé qui donne son identité visuelle à l'aventure, ni dans le mélange des genres que propose le scénario sur des bases convenues, mais qui ont fait leurs preuves.


Seulement voilà.


Dès les premières minutes, on pense (avec raison) à Triangle, l'angoissant ovni ciné de Christopher Smith, mais c'est à la série Lost qu'Escape Dead Island emprunte le plus ouvertement (le personnage principal, ainsi que le dénouement, ressemblent d'ailleurs à s'y méprendre à ceux de l'adaptation de ladite série en jeu vidéo), jusque dans les intitulés de ses succès à débloquer ou sa B.O. aux accords Giacchinoëns (à vos souhaits !). Même le game-play a un vrai goût de déjà-pratiqué. En effet, si les aficionados de la licence n'y trouveront pas leur compte, les amateurs de promenades aux frontières du réel auront reconnu Alan Wake, reconverti en journaliste-fils à papa. Lequel, de la même façon, entend bien écrire sa grande aventure dont il est le héros.


Les développeurs ont toutefois eu le bon goût de tirer des leçons du jeu dont ils s'inspirent. Là où le père Wake était condamné à piquer des sprints désespéré d'un lampadaire à l'autre, la faute à des ombres capables de le repérer à 400 mètres dans le brouillard, Cliff propose au contraire de la jouer discret, dans le genre "oh-regardez-un-buisson-qui-bouge-c'est-assorti-aux-murs-qui-respirent" (petite touche de finesse dans un monde de brutes, qui manquait cruellement à son aîné). Pour autant, sa progression ne sera pas une partie de plaisir, les ragequit ne sont jamais loin : si les débuts sont assez easy-peasy, il va vite falloir apprendre à jouer les solid snake façon Denis Brognard et choisir ses cibles avec soin, dans le bon ordre, sans quoi ce sera gang bang de zombie et game over dans la foulée. Ou reboot de réalité, le cas échéant. C'est que sur Narapela, la moindre erreur peut rapidement devenir (très) punitive, façon die and retry pas toujours très bien calibré, d'autant que les armes à feu ne servent pas à grand chose et que les armes de mêlées sont relativement imprécises.


Pour le reste, les amateurs de Resident Evil et de Koh Lanta se retrouveront en terrain connu : des zombies, un virus, les joies simples de la randonnée en forêt tropicale, du réchauffé au micro-ondes. Rien qui aurait mérité que l'on s'y attarde, si le visuel n'était pas venu plaquer un vernis inédit sur cette recette de mauvais fast-food, et si la réalité ne s'entêtait pas à dérailler en cours de route, tantôt par petites touches et tantôt par wagons entiers (au sens propre). Les esprits cartésiens risquent de faire grise mine (ou bien auront-ils été mordus par la mauvaise personne ?), les autres y trouveront de quoi relancer un peu l'intérêt. Une approche trop timorée, mais originale, qui fera le bonheur des quelques Losties ayant su pardonner à leur série fétiche un dénouement en demi-teinte (plus intelligent et sensé qu'il n'y paraît, plus simpliste également).


Les fans de Dead Island, eux, seront en droit de crier au scandale tant le jeu n'en porte que le nom, et ce ne sont pas les quelques éléments de scénario (d'un classicisme honteux), disséminés sur l'île sous forme de rapports divers et variés (!), qui viendront satisfaire leur soif de continuité.


Mais ma foi si, comme moi, vous vous fichez de la licence comme d'une guigne, si vous êtes las des histoires de zombies qui tournent en boucle (rires) et si vous n'avez rien contre les fins en monde ouvert, ce petit canard pas-si-vilain-que-ça saura vous promener quelques soirées durant.


S'il manque de variété et se répète beaucoup (à dessein ?), multipliant les allers-et-retours inutiles pour allonger sa durée de vie (sans toutefois que cela prenne des proportions insoutenables), son esthétique à part et ses partis-pris singuliers sauront séduire un public à la marge, qui ne criera pas au génie mais se fera plaisir en tentant d'élucider cette énigme dont, disons-le tout net pour éviter les déceptions, on ne nous donne pas la solution en fin de partie.


Rien que des pistes.


Et si la plupart des joueurs se contenteront de penser que ce pauvre Cliff a perdu la raison... les adeptes de mindfuck, eux, ne manqueront pas d'éléments pour fantasmer des alternatives plus satisfaisantes.


A chacun de tirer ses conclusions et d'y aller de son hypothèse.


Ou plus si affinités.


Hé quoi ?


C'est le jeu, ma pauvre Lucette.


*


Pour ma part, de la plus plausible à la plus WTF :



  • L'histoire n'est qu'un fantasme de Cliff : plongé dans le coma après le coup à la tête reçu sur le bateau, il imagine tout ce qui lui arrive par la suite. Précisément ce qu'il était venu chercher sur l'île : un rôle de héros positif, qui déjouerait les plans d'un groupuscule machiavélique, et volerait à la rescousse des demoiselles en danger. D'où l'esthétique "comics" pour souligner l'aspect fictionnel de l'aventure, le fait que la cohérence narrative s'estompe dès lors qu'il cesse de se concentrer, et certaines répliques du genre "personne n'a rien trouvé en plusieurs mois et toi, en quelques heures, tu as récupéré toutes les infos ?".


  • L'histoire n'est qu'un fantasme de Cliff : plongé dans le coma après le coup à la tête reçu sur le bateau, il est amené au complexe Geopharm par Aaron afin que le Dr Kimball puisse expérimenter sur lui (ainsi que sur ses deux compagnons), à la recherche d'un vaccin.


  • L'histoire n'est qu'un fantasme de Cliff : plongé dans le coma par la morsure d'Evan, son corps lutte désespérément contre le virus tout en essayant de se réveiller. Piégé dans ses souvenirs, il revit en boucle les évènements qui l'ont conduit à cette issue tragique, qu'il essaie de changer à chaque nouvelle boucle. En vain, puisque tout n'est qu'un rêve.


  • L'histoire alterne entre les phases de réalité et les phases de fantasme : le coup à la tête reçu sur le bateau amène Cliff à perdre régulièrement conscience, ou à vivre des rêves éveillés, qui s'intercalent avec les phases de réalité "pure". Exemple : après avoir été blessé sur le bateau, il se réveille dans un container et affronte plusieurs dizaines de zombies (phase de fantasme), avant de se réveiller à nouveau sur la plage en compagnie de ses amis, comme s'il ne s'était rien passé (réalité). L'idée serait alors de refaire le jeu en essayant de faire la distinction, pour chaque séquence de jeu, entre réel et imaginaire.


  • Rien n'est imaginaire : comme suggéré par l'un des rapports, le virus est capable de répliquer des objets inanimés ("faire pousser des steaks sur les arbres"). On peut alors imaginer qu'il a contaminé l'île toute entière, qui mute à sa manière et s'en prend aux organismes vivants (ou morts-vivants) qui la parasitent. Ce qui expliquerait pourquoi des lampadaires peuvent pousser au milieu de nulle part, ou comment des containers peuvent tomber du ciel. Le virus serait si puissant, peut-être, qu'il pourrait contaminer ensuite jusqu'à la réalité elle-même, réorganiser les atomes comme il le fait avec les cellules du corps humain, au point de pouvoir jouer avec le temps. On pourrait même aller jusqu'à imaginer que le vrai Cliff est mort noyé au début du jeu, mais que l'île le réplique, encore et encore, dans le but de s'en servir pour se débarrasser de ses hôtes indésirables...


Liehd
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le 5 avr. 2016

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