« Les étoiles voient-elles à quel point nous nous battons pour elles ? »
Fin 1995. La série Final Fantasy est à présent respectée. Les dessins d'Amano, les thèmes d'Uematsu et la décision d'unir vastes mondes à parcourir et grandes intrigues tragiques ont conquis le coeur du public. Le dernier épisode en date, grand succès critique et public, a eu les honneurs d'une sortie américaine certes rebaptisée, mais en grande pompe, avec notamment une épaisse notice en couleur.
Commence alors le développement enfiévré d'un épisode qui fera date, qui marquera l'entrée de ces J-RPGs dans la nouvelle génération de consoles. Achevé en un temps record pour une œuvre de cette trempe (un an ! Une vitesse de développement telle que la sortie japonaise sera bâclée et que le scénario devra être achevé à l'occasion de la version américaine !), offrant à un Nomura jusqu'ici figurant l'occasion de briller, multipliant les choix artistiques audacieux, soutenu par Sony, séduisant déjà les magazines, le jeu sera une bombe.
Fruit d'une alchimie compliquée entre les divers producteurs, scénaristes et designers, le scénario de Final Fantasy VII est un produit significatif de son pays et de son temps, intégrant un caractère introspectif et torturé alors à la mode en animation japonaise, des préoccupations écologiques encore pas entièrement étouffées par le paradigme ultralibéral, ou encore le spectre de l'énergie atomique, démon passé de l'archipel, à peine camouflé sous la forme d'une énergie "magique". Le résultat ? Une histoire des plus sombres, des plus riches, un joyau noir, un récit d'horreur, au final, le conte d'un organisme extraterrestre colonisateur qui infecte le corps comme l'âme de ses victimes. The Thing chez les hippies, c'est la cosmogonie du septième épisode, qui explose dans le présent en une intrigue énergique, aux révélations soigneusement échelonnées, aux rebondissements violents, dans un monde cyberpunk où le tissu même de l'existence se voit vampirisé par les centrales pseudo-nucléaires.
Final Fantasy VII, narrativement, c'est encore bien d'autres choses. C'est une galerie de protagonistes uniques, qui, plus encore que ceux du sixième épisode, demanderont des comptes à l'oppresseur... Tous ont perdu quelque chose à cause de la Shinra Inc., tous ont la vengeance en tête, et c'est la vengeance qui les amènera à se battre pour la Planète. Ce sont des antagonistes forts, à commencer par Sephiroth, incarnation trouble d'une horreur lovecraftienne, ou les dirigeants de Shinra, superbes dans l'amoralité. Des personnages secondaires touchants. Des sous-intrigues liées avec élégance à la trame principale. Des grands moments de tristesse ou bien de rigolade. Un rythme soigné, étudié, entre morceaux de bravoure et phases contemplatives. Une ambiance triste.
Sans être le meilleur de la série FF, le système de jeu se hisse au Top 3, avec le raffinement de concepts ébauchés dans les aventures de Terra, Locke et consorts (les Limites par exemple), des invocations enfin efficaces, la meilleure magie bleue qu'on ait vu à l'époque, et surtout le système de matérias, qui, s'il rend les combattants davantage interchangeable, permet surtout des combinaisons de folie et des stratégies adaptées à toutes les situations. Pour ce qui est de la tactique et du combat, Final Fantasy VII en devient même trop riche pour son propre bien, tant il est facile, avec un peu d'habileté, d'abuser du système, et de se retrouver alors dans un état de surpuissance extrême... sauf, peut-être, face aux Armes de la Planète.
Pour éviter qu'une routine ne s'installe, l'aventure multiplie les mini-jeux, bien placés et amusants, et se permet des variations dans la progression principale, entre exploration à large échelle, accès progressif à de nombreux environnements, et passages "en apnée" avec liberté de mouvement restreinte.
Les autres aspects du jeu sont à la hauteur, notamment une BO magistrale, remplie de thèmes inoubliables, ou une direction artistique carrée, nous projetant dans un monde SF-manga clairement marqué du sceau des années 90, entre Gunnm et Dragon Ball, un monde de ruines, de bidonvilles, de grandes vallées verdoyantes et d'architectures industrielles, parcouru par des éphèbes coiffés comme des hérissons et des quasi-humains tentaculaires.
Une expérience forte et tragique, une aventure unique.