Schizophrénique
FFXVI est un jeu schizophrénique capable de souffler le chaud comme le froid d'une heure à l'autre. Pour une fois, les bonnes comme les mauvaises critiques sont légitimes, et les exagérations...
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le 5 juil. 2023
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Nous vivons décidément dans un monde bien étrange. J’ignore encore si je verrai un jour un GTA encensé par la critique comme le meilleur RTS de tous les temps, ou un Mario canonique révolutionner le concept des FPS multijoueur en ligne. Mais une chose est sûre : j’aurai vécu cette improbable année 2023 qui aura vu le mode World Tour de Street Fighter 6, jeu de baston émérite, proposer une composante RPG plus poussée que le dernier Final Fantasy. Selon sa vision du jeu vidéo moderne, chacun jugera s’il vaut mieux s’en réjouir ou s’en attrister, mais de mon côté, la situation est finalement très simple. Il ne reste dans Final Fantasy XVI, absolument rien de ce qui m’a toujours fait jouer à la série. En tant que vieux joueur, j’ai personnellement découvert Final Fantasy par l’intermédiaire d’un épisode d’initiation sorti en France sur Super Nintendo sous le nom de Mystic Quest Legend. On ne peut sans doute pas le considérer aujourd’hui comme un grand jeu, mais c’est bien lui qui m’a fait découvrir ce qui allait devenir l’un de mes genres de jeu favori : le RPG. Par la suite, je me suis dirigé vers l’extraordinaire Final Fantasy 6, puis me suis machinalement tourné vers tous les autres épisodes d’une série qui se démarquait des licences concurrentes de par sa capacité à toujours se réinventer, sans jamais trahir son genre initial. Certains épisodes sont sans doute plus qualitatifs que d’autres, et quelques fondamentaux comme le combat au tour par tour ont fini par céder leur place. Cependant, quelle que soit sa forme, la dimension RPG est toujours restée au cœur même du gameplay de la licence de Squaresoft puis de Square Enix. Et au-delà de toutes les histoires épiques, chocobos, cristaux, invocations, ou ce que vous voudrez, le seul et unique tronc commun qui m’a toujours fait jouer à Final Fantasy reste sa vision malléable, mais toujours présente, du RPG Japonais. Il m’est donc bien difficile aujourd’hui d’accueillir d’un bon œil la démarche de ce Final Fantasy XVI, qui préfère tout simplement la rejeter plutôt que de faire l’effort de la remettre en question. La volonté de changement est tout à fait louable, notamment dans une série qui en a fait sa marque de fabrique. Cependant, elle ne justifie en rien de se renier soi-même, et elle se doit surtout de garder un semblant de base afin d’éviter de tomber dans le hors-sujet. Un piège dans lequel Final Fantasy XVI tombe malheureusement à pieds joints, trop obsédé par sa conquête d’un public plus large à des fins mercantiles trop évidentes. Ne reste alors plus qu’à faire son deuil afin de profiter de cette expérience nouvelle pour ce qu’elle est, et pas dans une optique nostalgique qui semble définitivement morte et enterrée. C’est dans cet état d’esprit un peu forcé que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure de Clive Rosfield, en sachant pertinemment qu’elle risquait de me décevoir, mais suffisamment intrigué par la narration prometteuse initiée par la démo. Je ne m’attendais en revanche pas du tout à voir ce Final Fantasy XVI peiner à ce point à assumer sa mue, dans un résultat aussi superficiel que frustrant.
Honnêtement, après les réticences que les previews de ce Final Fantasy XVI m’avaient laissées, je ne peux pas dire que la démo m’avait spécialement rassuré. Peu convaincu par un character-design assez lisse, une ambiance « RPG occidental » aux antipodes d’un jeu japonais classique, ou un système de combat qui me laissait dubitatif, je n’étais guère enthousiaste à l’idée de me lancer dans cette nouvelle aventure. Cependant, le scénario mis en place, copieusement et ouvertement inspiré par la série Game of Thrones, semblait suffisamment dynamique et attrayant pour donner envie d’en connaître la suite. C’est donc sur cet aspect-là que j’ai décidé d’appuyer mon expérience, espérant ainsi que mon intérêt habituel pour les jeux narratifs, ainsi que la qualité d’écriture aideraient à faire passer les autres pilules. Hélas, si l’histoire de Clive Rosfield ne m’a pas paru foncièrement désagréable, elle est rapidement plombée par son impressionnant catalogue de maladresses. C’est d’autant plus dommage qu’elle n’avait pas si mal commencé avec son héros à la Jon Snow, devenu Pourvoyeur après avoir supposément tué son jeune frère Joshua d’un monde ravagé par les conflits politiques et sociaux, guerres de royaumes et autres Fléau Noir. Le début du récit sans être d’une grande subtilité, nous est conté avec sérieux et énergie, et appuyé par une mise en scène de haut vol qui donne facilement envie d’en savoir plus. On nous présente ainsi des personnages relativement attachants et parfois très charismatiques, à l’image de l’incontournable Cid, vraie réussite de la première partie du jeu.
L’autre vrai point positif viendra de cet univers au background étoffé, très largement détaillé par l’une des meilleures idées de ce Final Fantasy XVI : l’Encyclopédie. Véritable paradis pour comprendre dans les moindres détails tous les secrets du monde Valisthéa, ou plus simplement pour clarifier quelques trous de mémoire en cours de route, cette brillante base de données représente le meilleur témoin de la richesse de cet univers. Il sera d’ailleurs avantageusement secondé par la non moins intéressante Chronographie accessible dans la seconde partie du jeu, facilitant notamment la bonne compréhension de la temporalité des évènements. Une démarche qui permet de profiter au mieux d’un scénario toujours efficace dès qu’il s’intéresse aux conditions de vies et inégalités des citoyens de Valisthéa, particulièrement dans la première moitié de l’aventure.
Avec tous ces atouts, il est donc regrettable de voir cette histoire supervisée par Kazutoyo Maehiro finir par se prendre les pieds dans le tapis. Trop influencé par les séries américaines à succès afin de séduire un plus large public, Final Fantasy XVI a souvent tendance à singer ses modèles sans en retrouver la subtilité, ce qui se traduit par plusieurs problèmes. Et en premier lieu par un développement trop rectiligne à l’image de nombre de ses personnages. Si certains parviennent à se montrer classes ou attachants, presque tous restent cantonnés à des archétypes emprisonnés dans une ligne de conduite dont ils ne s’écarteront jamais. Quelle que soit la dureté des évènements auxquels ils sont confrontés, ces derniers coulent sur eux sans jamais les faire chavirer, douter, ou les inciter à se remettre en question. Je veux bien croire que le monde de Valisthéa soit rempli de citoyens psychologiquement très solides, mais voir aussi peu de variables dans les comportements amoindrit forcément la cohérence et l’intérêt de l’ensemble. De ce fait, nombre de séquences et de rebondissements deviennent artificiels, et surtout prévisibles. On pensera notamment à ces nombreux conseils d’états animés par des figurants qui parlent pour ne rien dire, avant de se faire rabattre le caquet par la punchline ou le coup d’épée d’une tête d’affiche. Mais aussi et surtout à cette maladroite narration cultivant twists et mystères dont les révélations surprendront bien plus ses acteurs que les joueurs.
C’est d’ailleurs plutôt étonnant de voir un récit structurellement aussi clair s’égarer autant parmi tous ses enjeux. Perdu entre ses histoires de cristaux-mères, de Pourvoyeurs persécutés, de Fléau Noir, ou ses multiples personnages cannibalisés par un Clive trop omniprésent, Final Fantasy XVI laisse sur le bord du chemin nombre des sujets qu’il aborde. Il faut dire que l’une des promesses initiales était de se focaliser sur un seul personnage principal. Une fausse bonne idée qui s’accompagne d’un bon paquet de frustrations narratives. Car si Clive, bien qu’un peu benêt, se montre relativement agréable à côtoyer, il monopolise l’aventure au détriment de bien trop de choses. C’est à cause de lui que l’intéressant focus sur le traitement des pourvoyeurs sera soudainement laissé de côté. C’est encore à cause de lui que certains Primordiaux seront sous-exploités, voire ignorés, et pour la plupart non-jouables. Et c’est encore à cause de lui que nombres de personnages peinent à exister, quand ils ne sont pas carrément mal écrits. Le plus grand symbole de ce dernier échec est incarné par l’effroyable traitement des personnages féminins, encore plus maltraités ici que dans le pourtant peu glorieux Final Fantasy XV. Au mieux, ils auront leur moment, par l’intermédiaire de quelques quêtes annexes, à l’instar d’Apolline ou de Kharonne, à l’échelle, bien sûr, du peu de temps qui leur sera consacré. Parfois, on les ignore presque intégralement, comme la si sympathique mais pourtant si rare Tarja, qui aurait mérité meilleur traitement, au même titre que Jote. Mais la palme du naufrage reviendra à Jill, personnage fonction par excellence n’ayant pour autre but que de constituer l’intérêt amoureux du héros, alors même qu’elle fait pourtant partie des protagonistes. Quelques vagues paroles et une courte parenthèse, hélas menée par l’inévitable Clive, tenteront succinctement de nous convaincre de la consistance de la jeune femme. Mais son régulier statut de demoiselle en détresse fatiguée aux relents eighties aura tôt fait de renforcer la vacuité de notre charmante coquille vide. Et ce régulier manque de consistance chez les différents personnages est en partie dû à la trop grande suprématie de Clive. Il est le seul héros, et les trop nombreux alliés qui gravitent autour sont secondaires, point. Cela crée forcément un déséquilibre assez dommageable qui ne font que regretter l’absence d’une vraie gestion de groupe, plus propice à l’intégration de quêtes principales ou annexes dédiées à nos compagnons, favorables à un développement poussé. Le souci s’étend également aux antagonistes, parfois intéressants, mais pour la plupart trop peu présents. Si la narration fait parfois l’effort de quitter Clive pur aller voir ce qu’ils complotent, ils sont en majorité circonscrits à leurs arcs respectifs. Beaucoup sont donc survolés comme les pourtant charismatiques Sylvestre Lesage ou Benedikta Harmann, quand d’autres comme Annabella ne voient pas carrément certaines de leurs intrigues abandonnées. D’autant plus regrettable que les plus présents ne sont pas forcément les plus subtils, à l’image d’un Hugo Kupka ou du fameux Ultima, aux motivations tout de même très convenues.
Et comme si ça ne suffisait pas, il faudra ajouter à cela de sacrés problèmes de rythme, notamment dans la deuxième partie du jeu. Et je ne parle pas que des épouvantables quêtes annexes réparties tout au long de l’aventure sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Non, on parle bien ici de longues périodes d’attentisme, au cours desquelles le cheminement principal nous oblige à attendre l’arrivée de renseignements nouveau, ou bien tout simplement qu’il se quelque chose. Et afin de tuer ce temps, nous serons cordialement invités à multiplier les allers-retours pour échanger deux à trois lignes de dialogues, ou enchainer une batterie de quêtes annexes déguisées. A ce titre les passages avec Mid ont fini par me faire prendre en grippe l’insupportable jeune fille, et je dois bien avouer que seul le nom Final Fantasy m’a poussé à ne pas abandonner le jeu dans ses pires ventres mous. Et si on devait y trouver quelques réminiscences de la saga, elles se situeraient dans la mise en avant des invocations, ici appelées Primordiaux, aux rôles prépondérants et très appréciables. Dommage toutefois que la surenchère ponctuant chacune de leurs apparitions jure un peu avec le ton posé et très (trop ?) sérieux du récit, créant parfois un décalage quelque peu dissonant. Le vrai problème, c’est que l’écriture de plus en plus maladroite et les nombreux couacs déjà cités ôtent beaucoup d’intérêt à suivre ce scénario bien trop cousu de fils blancs pour être honnête. Constituant ma principale motivation pour accepter ce jeu, ma déception finale n’en a été que plus grande. Et comme je l’avais envisagé au préalable, le reste de la proposition n’a pas été capable de sauver les meubles. A commencer par ce si adulé système de combat au potentiel vraiment intéressant, mais pourtant tellement vain dans l’exécution.
Clarifions d’abord une chose. Même si je reste un fervent défenseur des combats au tour par tour, j’étais tout à fait prêt à accepter de voir la licence Final Fantasy achever sa migration amorcée avec FFXI et XII vers une direction plus action. Mais même en partant de ce principe, on était en droit d’attendre de cette nouvelle itération qu’elle garde un minimum de base. L’arrivée de Ryota Suzuki, ayant officié sur la saga Devil May Cry, aux commandes de ce nouveau système ne dispensait pas pour autant ce Final Fantasy XVI d’au moins rester l’action/RPG revendiqué par Square Enix jusqu’au dos de la boîte. Une promesse dans le cas présent, très loin d’être tenue, tant l’aventure de Clive prend un malin plaisir à épurer son contenu de toute mécanique se rapportant au genre. Et lorsque je disais dans mon introduction que le mode World Tour de Street Fighter 6 était plus un RPG que Final Fantasy XVI, il ne s’agissait en aucun cas d’une volonté de troller ou de paroles en l’air. Alors oui, nous avons droit à quelques menus éléments de « Light » RPG. Notre Clive sera ainsi tout de même capable de monter en niveaux d’expérience même si le procédé, trop peu influent sur les affrontements, reste très artificiel par souci d’accessibilité. On nous accordera également le droit de gérer trois pièces d’équipements. On pourra ainsi acheter ou forger une nouvelle ceinture, un nouveau bracelet, ou une nouvelle épée, seul type d’arme disponible tout au long de l’aventure. Inutile toutefois de paniquer devant d’éventuels dilemmes ou excès de statistiques, la pratique se limitant à booster au maximum attaque ou défense, avec parfois un petit gain de points de vie. On pourra également gagner quelques bonus par l’intermédiaire de trois accessoires, mécanique que les moins aguerris pourront complètement écarter en utilisant les anneaux d’assistances. Ce petit tour d’horizon s’achèvera avec l’arbre de compétences qui n’en est pas vraiment un. Il servira ainsi essentiellement à étendre sa palette de coups au fur et à mesure qu’on accumule les primordiaux, puis à améliorer leur puissance et leur portée en les améliorant. Bref, pas de quoi passer des heures dans des menus typés RPG qui se seraient avérés trop redondants pour nombre de joueurs contemporains. Alors place à l’action.
En pratique, le feeling se révèle effectivement assez proche des sensations d’un Devil May Cry. Un bouton assigné aux coups d’épées, on remplace les armes à distances par le tir magique, on substitue les Primordiaux à l’arsenal de Dante, et le tour est joué. Il ne reste plus qu’à utiliser intelligemment esquives, parades ou capacités spéciales affiliées à la touche « Rond », puis d’enchainer les combos avec style pour envoyer la plupart des adversaires ad patres dans une débauche d’effets et de couleurs à s’en éclater la rétine. Les gros ennemis ou boss bénéficieront d’une barre d’endurance qu’il faudra vider pour les étourdir un petit moment, mais rien de suffisamment révolutionnaire pour vraiment briser la routine. Admettons que le principe est amusant au début. Les joutes sont souvent funs et spectaculaires, tandis que la curiosité prend le dessus à la découverte de chaque nouveau Primordial, de par l’envie de tester leur palette de coups. Mais les nombreuses limites de l’ensemble génèrent une lassitude désagréable d’autant plus problématique lorsqu’elle survient au bout d’une vingtaine d’heures de jeu seulement.
Car en dehors de quelques séquences scriptées gavées de QTEs, les affrontements se révèlent aussi pauvres en variété d’adversaires que de situations de jeu. Concrètement, la plupart des combats s’appréhenderont de la même façon, seuls les gros boss demandant une courte étude de leur petit nombre de patterns afin de les esquiver correctement. Exit donc toute forme de faiblesse élémentaire ou de changement de statut. Par voie de conséquence, l’habitué de la série sera sûrement quelque peu décontenancé d’anéantir des Bombos à coup de flamme sans peiner, ou de voir les Morbols ici privés de leur compétence de prédilection : le changement de statut cumulé. Et il sera encore plus circonspect de constater que le fait qu’un Ifrit contrôle le feu ou une Shiva la glace se restreignent à des considérations exclusivement cosmétiques ou scénaristiques. Mais surtout, cette partie action se résumera bien vite à enchainer d’incessantes vagues d’ennemis ou de boss sacs à PVs sans jamais varier les plaisirs, et sans jamais trop réfléchir.
D’aucuns diront que faire l’effort de varier son gameplay épargnera cette sensation de répétitivité, d’autant que l’interface a l’idée maligne de nous laisser changer notre build à volonté, sans la moindre contrainte. Toutefois, je répondrai que ce n’est pas au joueur lui-même de se forcer à multiplier les modifications afin de tromper l’ennui. C’est au développeur lui-même d’offrir des situations de jeu suffisamment variées pour amener l’utilisateur à éprouver le besoin d’exploiter les différentes mécaniques mises à disposition. De toute façon, alterner tous azimuts les approches sans en éprouver un quelconque besoin ne fait qu’accentuer cette sensation de game-design simpliste, pensé pour éviter de trop faire fuir les vieux fans trop conformistes du tour par tour, parce que les jeux d’action sont par définition trop difficiles pour eux. On se retrouve donc avec un système de combat fort dynamique et potentiellement intéressant, plombé par des situations de jeux d’une pauvreté et d’une répétitivité accablante. Un échec retentissant qui n’a ni les velléités stratégiques d’un bon action/RPG, ni même la variété ou la profondeur des standards actuels du beat them all. Et l’efficacité d’un système aussi simple(t) ne peut tenir sur toute une soixantaine d’heures. Peut-être un New Game+ en niveau de difficulté supérieur pourrait-il sauver les meubles. Mais si elle consiste à tester la capacité du joueur à spammer la touche d’esquive au bon moment, sur d’interminables pugilats s’étalant sur plusieurs dizaines de minutes, on pourra en relativiser l’intérêt véritable. Quoi qu’il en soit, il me parait bien peu approprié de juger un jeu sur une replay-value aux attraits discutables, et qui ne concernera de toute façon qu’une minorité.
Reste à boucler cette partie action en parlant plus avant des combats de Primordiaux, sans doute la partie qui fera basculer ce Final Fantasy XVI au rang de jeu culte chez certains. Il faut bien dire que quoi qu’on pense du jeu ou du gameplay de ces phases, leur mise en scène de folie les rende, pour la plupart, assez mémorables au moins visuellement. Se rappelant aux bons souvenirs de références comme Asura’s Wrath ou L’Attaque des Titans, ces affrontements entre invocations proposent un gameplay une nouvelle fois assez simple, mais finalement assez diversifié compte-tenu du principe. Aussi riches en QTEs qu’en moments forts, ils mettent une bonne rouste à la concurrence en termes d’intensité. Deux d’entre eux atteignent d’ailleurs des sommets d’un point de vue dimension épique, qui ne sont pas sans rappeler dans leurs meilleurs moments un certain Kingdom Hearts 2 et son incroyable combat final. Sincèrement, après la désillusion Bayonetta 3 dans ses lourdes rixes façon Kaijus, l’expérience FFXVI se montre bien plus concluante en la matière. Mettant à l’amende le plus spectaculaire des affrontements d’un certain God of War Ragnarok, on ne peut s’empêcher de se dire que Square Enix a au moins réussi ce qu’on attendait de Santa Monica Studios l’année dernière.
Cela dit, même si on se souviendra sans doute longtemps de certaines de ces batailles homériques pour leur mise en scène, la qualité de cette dernière n’efface pas le fait qu’elles se montrent parfois plus agréables à regarder qu’à jouer. Je le disais plus haut, on pourra ainsi facilement reprocher à un certain nombre de phases leur réel manque d’intérêt ludique. Un problème qui n’en serait pas un si ces combats grandiloquents ne trainaient pas autant en longueur. Ayant fait de la surenchère leur maître mot, ces débauches de spectacles ne savent jamais vraiment quand s’arrêter, quitte à voir nombre de situations s’éterniser ou se répéter plus que de raison. Evidemment, les effets pyrotechniques s’y enchainent à outrance, tels des bouquets finaux de feux d’artifices, aussi beaux que nuisibles à la lisibilité de l’ensemble. Gorgés de QTEs jusqu’à l’écœurement, ou de nombres factices façon RPG censés appuyer la puissance des coups portés, ces affrontements aux allures shônen ont également le démérite d’être en inadéquation avec le ton général plus sérieux de cet épisode. Franchement, au sein d’une écriture se voulant plus adulte, voir ces entités capables de détruire des planètes entières, s’échanger coups de poings et pouvoirs à faire pâlir n’importe quel combat de Dragon Ball Z pourra quelque peu choquer. Surtout lorsque les Emissaires qui les contrôlent ont éprouvé les pires difficultés du monde à traverser un pont à peine cassé qu’ils pouvaient facilement enjamber quelques heures plus tôt. On pourrait enfin s’étonner d’avoir des affrontements finaux bien plus sages qu’à mi-parcours, ce qui nuit un peu à l’intensité de la conclusion. Cela dit, ils restent suffisamment au-dessus du lot pour dissuader de trop s’en plaindre.
Plutôt doué dès qu’il s’agit de détailler le background de son univers, Final Fantasy XVI n’est malheureusement pas aussi à l’aise dès qu’il s’agit de proposer de l’explorer. L’idée principale était surtout ici de se débarrasser de toute notion de monde ouvert afin d’éviter de reproduire les innombrables erreurs du traumatisme Final Fantasy XV. Une démarche qui me paraissait pertinente dans un jeu très centré sur la narration, afin de ne pas trop la diluer ou la noyer sous un excès d’ellipses si caractéristiques des aventures de Noctis. Et avouons qu’au milieu des galaxies d’open-world qui envahissent le jeu vidéo depuis des années, voir le retour d’une structure un peu plus linéaire a le mérite de faire du bien. Cependant, réduire le terrain de jeu ne dispensait pas pour autant de rendre la visite cohérente et intéressante. Si l’intégration d’une carte du monde par points d’intérêts – par ailleurs au style très Game of Thrones – pouvait effrayer son monde, elle a le mérite d’être d’une grande clarté et de faciliter la navigation. Mais une fois téléporté dans les différentes zones de Valisthéa, plusieurs éléments finissent en pratique par poser problème.
Il est tout d’abord question de cohérence, dans la mesure où Valisthéa nous est dépeint comme un monde composé de cinq royaumes que l’on peut deviner d’une certaine densité. Dans les faits, il semble bien peu aisé de se rendre compte de leur supposée ampleur tant les régions accessibles semblent engoncées dans une topographie générale à l’échelle trop réduite. Concrètement, il est possible de couvrir la distance d’un royaume entier en quelques minutes à pied. Difficile dans de telles conditions de crédibiliser des PNJs incapables de rejoindre un lieu parfois situé à quelques dizaines de mètres de leur position. Plus grave, le peu d’espace libre sur la carte générale rend difficile d’envisager de vastes étendues riches en villes ou en villages, même extérieures à l’aventure. Ces illogismes distanciels, mettant à mal toute impression de grandeur, nuisent quelque peu à la sensation de voyage promise par un tel périple.
Mais surtout, parcourir ce dédale de couloirs ornés de murs invisibles et de zones parfois assez ouvertes semble terriblement vain, dans la mesure où il n’y a jamais vraiment grand-chose à y faire. Très avare en secrets véritables, le terrain de jeu morcelé de Final Fantasy XVI peine régulièrement à offrir de vraies bonnes raisons de s’y balader. On y trouve bien des coffres, mais ces derniers renferment essentiellement et cætera de matériaux ou de gils dont on sera rapidement surchargé à ne plus savoir qu’en faire. Et ce ne sont pas les rares potions ou pièces d’équipement qu’elles contiendront à la fréquence d’un personnage SSR dans un gacha-game qui parviendront à en justifier la recherche approfondie. On trouve bien çà et là quelques points d’intérêts, comme des hameaux ou bâtiments susceptibles d’attirer l’attention. Mais il ne servira à rien de s’y rendre de soi-même sans y avoir été préalablement invité par une quête annexe. Finalement, seules les chasses aux monstres d’élite inciteront réellement à sortir un peu des sentiers battus, même si leur emplacement approximatif dévoilé par leur contrat évitera d’avoir à trop chercher. Les « donjons » principaux ne sont guère plus inspirés, se cantonnant essentiellement à ne proposer qu’une sommaire ligne droite à peine égayée de quelques menus embranchements, et surtout d’une belle collection de vagues d’ennemis à occire. On aurait tout de même aimé un brin d’inventivité ou quelques énigmes, afin de rompre avec une monotonie bien trop vite installée.
Mais parlons-en alors, de ces fameuses quêtes annexes légitimant ces quelques détours autrement vides de sens. Enfin, pas sûr qu’elles légitiment grand-chose étant donné leur médiocrité affolante. Elles ont au moins le mérite de confirmer ce qu’on savait déjà depuis quelque temps. Square Enix ne sait, aujourd’hui, plus faire de quêtes annexes dignes de ce nom, comme l’ont déjà prouvé la plupart de leurs récentes productions comme Valkyrie Elysium ou Final Fantasy 7 Remake. Et ce n’est pas ce Final Fantasy XVI qui viendra corriger le tir. Reprenant au pied de la lettre le concept de quête Fedex, ces basses besognes nous demanderont systématiquement d’alterner des allers-retours pour aller parler à quelqu’un, trouver divers objets, et/ou tuer quelques monstres. Dans la plupart des cas, on pourra s’estimer heureux si elles nous rapportent quelques points d’expérience ou de compétences. Mais la plupart n’ont rien de valable à offrir, ou même à raconter. Notons tout de même parmi ces tâches ingrates quelques rares élans de générosité qui permettront d’obtenir quelques récompenses clefs comme l’amélioration des effets des consommables ou l’obtention d’un Chocobo. Parfois, certains dialogues auront aussi le bon goût de venir un peu étoffer l’univers du titre, ou les nombreux personnages secondaires majoritairement laissés de côté par le scénario principal. Comme souvent mal réparties, elles poperont aléatoirement tout au long de l’aventure, lorsque cette dernière daignera leur accorder un peu de place afin de remplir ses blancs narratifs. Peu nombreuses au début, elles finiront par apparaitre en surnombre jusqu’à l’écœurement vers la fin du jeu, ce qui empêchera de profiter des dernières pourtant plus fortes émotionnellement, même si elles se montreront bizarrement plus naïves dans leurs rebondissements que l’histoire principale. A ce stade, si ce Final Fantasy XVI ne réussit, à mon sens, pas grand-chose, il avait au moins le mérite de ne rien proposer de vraiment mauvais…jusqu’à l’arrivée de ces quêtes annexes typées MMORPG, et inqualifiables pour une superproduction de ce calibre.
Avant de conclure, difficile de parler d’un nouveau Final Fantasy sans en aborder les aspects visuels et sonores, ayant souvent contribué par leur régulière excellence au succès de la série. Des domaines dans lesquels Final Fantasy XVI souffle, là encore, le chaud et le froid. Techniquement d’abord avec un rendu parfois disgracieux de par un travail de textures pas toujours très propre, ou des PNJs secondaires beaucoup moins soignés que les personnages principaux aussi bien dans leur modélisation que dans leurs animations. Un prix peut-être un peu excessif, mais qu’on accepte volontiers de payer quand on voit la multitude d’effets en tout genre que la Playstation 5 est en mesure d’activer simultanément, en particulier sur ses différents combats. Une prouesse qui a dû constituer une véritable gageure à réaliser sans trop d’impact sur la fluidité. De toute manière, sorti du comportement désastreux des PNJs lambdas, l’aventure de Clive est animée de manière assez exemplaire. Quant aux graphismes proprement dits, en dépit d’un character-design très inégal, ils sont largement compensés par une direction artistique générale de très bonne facture. Il est ainsi difficile de rester insensible à certains panoramas assez grisants, à l’instar des Chutes de Dzemekys, en terre Dalmèque. Reste maintenant à régler la fluidité en mode Performance, toujours assez instable à l’heure où j’écris ces lignes.
Vient maintenant l’épineux sujet de l’OST composée par Masayoshi Soken, déjà à l’œuvre sur Final Fantasy XIV. Si je n’ai pas vraiment joué à ce dernier étant donné mon peu d’attrait pour les MMORPG, cela ne m’avait pas empêché de m’intéresser à sa bande originale qui m’avait particulièrement impressionné par sa densité et sa richesse. Cela ne fait qu’accentuer ma grande déception autour de celle de Final Fantasy XVI qui sans être ratée, restera pour moi la moins convaincante de toute la saga. Ainsi, nombre de morceaux se limitent à habiller efficacement action ou narration, mais se montrent trop passe-partout pour inciter à une écoute extra-ludique. Certains thèmes posent même question quant à leur pertinence, tant ils m’ont semblé en complet décalage avec les émotions recherchées, notamment lors de certains moments graves. Sans doute trop étouffé par les contraintes d’une production destinée à un public trop large, Masayoshi Soken rend une copie trop sage et dépourvue de prises de risques, qui ne s’envole qu’en de trop rares occasions. Elle atteint souvent son apothéose lors des combats de Primordiaux, et réserve quelques beaux moments dans le dernier tiers du jeu, comme l’excellent Indomitable accompagnant notre voyage à Valoed. Des réussites qui font regretter une proposition générale trop quelconque, qui avait pourtant les moyens d’aller beaucoup plus loin. Mais en l’état, elle n’est pas parvenue à me faire ressentir les émotions escomptées.
Puisqu’on parle d’environnement sonore, un petit mot sur le doublage Français globalement de bonne facture, même si quelques erreurs de ton ou certaines interprétations caricaturales viendront parfois nuire à l’immersion. Vous l’aurez donc compris, au milieu de tous ces débats sur la traduction du jeu, j’ai personnellement opté pour la version Française intégrale. Chacun fait évidemment comme il le souhaite, mais de mon côté, ce choix s’est assez vite imposé de lui-même. Si Square Enix a vendu la version anglaise comme le doublage officiel en basant la synchronisation labiale dessus, c’était pour plus facilement pouvoir vendre son produit à l’international. Mais après l’insultante traduction bourrée de contresens de Xenoblade Chronicles 3 pour ne citer que lui, je n’avais tout simplement pas la force de me coltiner une réécriture à l’américaine passant le plus clair de son temps à cracher au visage du script d’origine, rédigé en Japonais. La traduction Française étant plus proche de ce dernier malgré d’inévitables et parfois inexplicables approximations, j’ai donc opté pour son doublage par souci de cohérence ; le Japonais ne collant à mon sens pas forcément au feeling général de ce Final Fantasy XVI. Un feeling, vous l’aurez compris, bien peu positif en ce qui me concerne, à l’heure de dresser le bilan d’un titre aux intentions créatives aux antipodes de ma sensibilité vidéoludique.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce Final Fantasy XVI aura animé bien des débats, et nul doute qu’il continuera de le faire des décennies durant. Marquant le tournant le plus drastique que la mythique série de Square-Enix ait jamais rencontré, cet épisode questionnera plus que jamais ses fans sur les vraies raisons qui les poussent à aimer une licence vieille de près de quarante ans. Mais quel que soit la réponse que chacun apportera, l’éditeur Japonais n’en a de toute façon plus grand-chose à faire. Plus préoccupé à l’idée de ratisser le plus large public possible que de contenter une encombrante cible de niche trop vieillissante, Naoki Yoshida et ses équipes ont donc décidé de donner un titanesque coup de pied dans la fourmilière. Une direction sûrement très viable d’un point de vue commercial, mais qui me pose de sérieux problèmes sur le plan idéologique. Car si on comprend aisément cette volonté de remise en question qui a toujours été la marque de fabrique de la saga, elle avait jusqu’ici toujours été opérée sous le prisme du RPG. Faisant désormais fi du plus simple de ses fondamentaux, la série préfère donc aujourd’hui se travestir, plutôt que d’essayer de faire évoluer un concept devenu persona non grata dans le cercle de plus en plus fermé d’esprit de la production AAA. Une perte d’essence qui fait d’autant plus mal tant on peut avoir l’impression d’y perdre au change. Flanqué d’un récit maladroit et mal rythmé, d’une exploration factice, ou d’un système de combat très en dessous des standards du Beat Them All actuel, l’aventure de Clive Rosfield se perd souvent dans les artifices, sans toujours tenir ses promesses originelles. Les nouveaux venus et adeptes du changement à toutes les sauces y trouveront sans doute leur compte, attirés par cette recette plus dynamique et tape à l’œil. Ils se réjouiront sans doute de ces combats à l’action débridée, de la mise en scène extraordinaire des affrontements de Primordiaux, ou de la narration très Game of Thrones d’un scénario aux influences moins typés animes/mangas. Mais on est ici tellement éloigné du concept de base qu’il devient légitime de se demander si on a encore vraiment affaire à un Final Fantasy. Chacun aura son avis sur le sujet, mais une chose est sûre : il ne reste dans ce Final Fantasy XVI absolument rien de ce qui m’a toujours fait m’intéresser à la licence. Et ce ne sont pas quelques chocobos ou un nom facilement apposé sur une boîte qui lui en donneront l’esprit. Je n’ai rien contre le changement à partir du moment où il est opéré à bon escient. Nombre de licences célèbres ont su évoluer avec le temps, et elles ont surtout su le faire sans se renier elles-mêmes. Cela dit, afin de garder une certaine identité, il me paraît nécessaire de préserver quelques points de repères sur le fond et pas uniquement dans la forme. Evolution et modernité peuvent donner de très bonnes choses, mais si elles dépossèdent une œuvre de ce qui la définit, alors elle a de grandes chances de perdre toute raison d’être. Et dans le cas de Final Fantasy XVI, elles mènent à un résultat aussi bancal que hors-sujet, qui ne conserve qu’un petit panel d’éléments futiles et dispensables. Un parti-pris qui aura ses adeptes, mais qui ne m’intéresse tout simplement pas. Il ne m’intéresse pas de continuer à suivre une licence historiquement encrée dans le domaine du RPG dont la composante est aujourd’hui moindre que dans le dernier Street Fighter (oui, ça ne passe pas !). Pas forcément mauvais mais tout aussi désagréable pour moi qu’un Final Fantasy 7 Remake qui m’avait déjà perdu pour d’autres raisons, ce Final Fantasy XVI sonnera sans doute pour moi le glas d’une série qui ne s’adresse hélas plus du tout à mon profil de joueur. C’est sans doute pour cette raison que j’en viens même à lui préférer un Final Fantasy XV, pourtant bien plus malade. J’en suis le premier attristé en tant que vétéran de la série, mais il est temps de laisser de côté une licence qui n’a personnellement plus rien à m’offrir. Il faudra simplement espérer qu’en perdant un de ses principaux fleurons, le genre du RPG japonais ne finisse pas progressivement par s’éteindre, comme d’autres avant lui.
Créée
le 26 juil. 2023
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