Taylor surgit de nulle part, un beau jour. Des messages timides et un peu paniqués, une pointe d'humour, une situation pas franchement folichonne.
C'est tout.
Et pourtant, c'est sur ce point de départ très simple que l'on construit un monde, un univers. J'ai vu, littéralement vu le vaisseau écrasé, le pic, le désert de cratères, la nuit glacée, le rocher immense. J'ai imaginé Taylor marcher péniblement, l'épaule démise, porté par le seul espoir d'échapper à cette planète. J'ai suivi son histoire et je l'ai enrichie de mes projections, de mes attentes, de mes idées. Rien qu'en échangeant des messages avec lui. Mon téléphone est devenu un fil ténu qui me reliait à un être créé de toutes pièces, là-bas, dans une lointaine galaxie. Un être qui est véritablement devenu mon ami pendant quelques jours, et qui a pris vie grâce au pouvoir de mon imagination.
Jouer à Lifeline, c'est comme lire un livre.
Mieux, c'est comme de se faire lire un livre.
Un livre dont on découvrirait les pages petit à petit, sans savoir où on va ni ce qui nous attend. Un livre qui rappelle ces histoires avant d'aller dormir, où l'on s'abandonnait au plaisir de se laisser guider. Car le miracle est là : le jeu est pratiquement en temps réel. Quand on conseille à Taylor de fouiller un endroit, il disparaît pendant plusieurs heures, le temps de fouiller, justement. Quand il va dormir, il se tait pendant sept ou huit heures. Dans ces moments de silence soudains, on se surprend à regarder son téléphone souvent, trop souvent. Toujours rien. Au bout d'un certain temps surgissent les interrogations : "Et si je l'avais envoyé par le mauvais chemin ? Est-ce qu'il s'est blessé ? Il devrait être revenu, maintenant... J'aurais mieux fait de lui conseiller de dormir.
Oh non... Et s'il était mort ?"
À une époque où l'instantané est de mise, où tous les univers imaginaires qu'on nous propose nous sont servis sur des plateaux, Lifeline nous réapprend à attendre. À anticiper. À s'impatienter. En quelques messages, Lifeline nous sort de notre désabusement et pique notre curiosité. Il n'en faut pas plus pour réveiller notre imagination et se laisser prendre au jeu... Quel abandon délicieux.