Dès le premier regard, j'ai su.
J'ai tout de suite senti qu'entre cette Lorelei et moi, il allait se passer quelque chose.
La prise de contact fut si évidente. A peine le titre lancé que déjà j'étais dedans. Ça s'est joué dès l'écran de chargement, c'est vous dire. Pourtant c'était juste un écran noir avec en son coin une icône indiquant le chargement. Mais quelle icône... Un œil ouvert au reflet tournant, noir et blanc, style rétro. Quelques notes montent une fois l'opération terminée. Le titre du jeu apparaît alors sur fond de chœurs légers. Ah Lorelei... Tu ne perds jamais une occasion de chercher à me séduire...
D'ailleurs, à peine la partie lancée que l'opération séduction s'est poursuivie encore.
Noir et blanc magnifique. Géométries étranges au sol accompagnées de quelques touches fuchsias qui posent tout de suite l'identité du jeu. Et surtout cette limpidité de la prise en main... Une seule touche d'action pour ne pas surcharger la cognition du joueur ; espace restreint pour guider tout de suite l'esprit égaré vers cet hôtel qui sera le cœur de notre aventure ; mise en surbrillance de tous les éléments avec lesquels on peut interagir (du moins sitôt s'en rapproche-t-on) afin de clarifier tout de suite les enjeux de chaque tableau. Tout est fait pour que l'immersion se fasse au mieux et au plus vite. Et j'avoue que, sur ce point, je n'ai jamais connu mieux et rarement aussi bien.
Ainsi ne m'a-t-il pas fallu longtemps pour comprendre à quel type d'aventure j'étais en train de me livrer avec cette Lorelei. Il a suffi de me retrouver face à mes premières portes cadenassées pour comprendre. On avait affaire là à une pure logique d'escape game : une histoire racontée par un lieu qu'on investit (et qu'on investigue) ; un lieu qu'on ne peut dévoiler qu'en ouvrant des nouvelles pièces et des nouvelles pièces qu'on ne peut ouvrir qu'en assimilant les éléments de cette histoire qu'on nous raconte... Ce cercle vertueux-là, cette Lorelei nous le fait très vite assimiler : le premier cadenas est à quatre chiffres et à côté on trouve une lettre dont la date est soulignée au fuchsia. Pas possible de se tromper, ni sur les mécaniques, ni sur l'état d'esprit du jeu. On fait vitz comprendre à notre avatar – comme à nous – que rien n'est là par hasard. On nous a invités, nous dit-on. D'un côté, un soit-disant magicien s'amuse à nous narguer derrière des écrans. De l'autre, un réalisateur nous laisse message sur message pour nous expliquer à quel point notre présence ici va être l'occasion de sublimer l'essence même de l'art. Un tel postulat ne peut que créer une association perspicace entre notre position de joueur et la position de notre avatar. On se croirait dans une version vidéoludique de The Game (le bien nommé), le tout enrichi d'une approche ostensiblement métatextuelle, pour ne pas dire « métalepsuelle ».
Vraiment, tous les champs possibles d'expression du jeu semblent avoir été investis – et avec le goût du détail s'il vous plaît – donc autant vous dire que j'ai très vite été disposé à me laisser embarquer. Et je n'ai pas eu tort car, je ne le savais pas encore, mais c'était le début de 25 heures d'une très belle histoire d'amour...
Parce qu'elle a beau être claire d'entrée sur ses intentions cette Lorelei, qu'elle cache malgré tout plutôt bien son jeu.
Comme tout bon escape game qui se respecte, on finit toujours par se retrouver avec des salles secrètes qui se révèlent au fur et à mesure de notre avancée et auxquelles on n'attendait pas. Sauf qu'ici – jeu vidéo oblige – cette Lorelei se permet de pousser la logique un peu plus loin en offrant plus qu'une simple logique de « pièce » secrète, et je n'oserais trop en dire de peur de gâcher le plaisir de la découverte.
Et là où ces effets de surprise fonctionnent d'autant mieux, c'est qu'ils savent à la fois se faire déroutants mais tout en sachant reconstituer rapidement un univers familier. Car c'est l'autre grande force de cette Lorelei : au fond elle nous perd sans nous perdre. Le but n'est pas de nous bloquer mais de nous faire cheminer et, l'air de rien, c'est un exercice délicat que de parvenir à poser une réelle résistance au joueur sans pour autant se retrouver dans la situation frustrante d'avoir à se heurter contre un mur d'incompréhension ; d'un crypticisme abusif qui ferait perdre toute envie de se plier aux règles imposées.
Je ne vais d'ailleurs pas vous mentir : elle est là ma source de fascination à l'égard de ce titre. Outre l'esthétique sublime, outre les clins d'oeil évidents mais malicieux à des grands classiques de toutes les époques du jeu vidéo, ma source de fascination a clairement été cette remarquable composition du puzzle global. Parce que – chose plus que remarquable pour un jeu du genre – j'ai régulièrement été bloqué mais sans jamais être coincé. Certes, je ne cessais de découvrir de nouveaux verrous et autres mécanismes mais je ne cessais pas d'avancer pour autant. C'est que toutes ces énigmes sont liées entre elles par une même logique et parfois, en découvrir d'autres, permet soudainement de cerner une logique d'ensemble. Certaines énigmes ne semblent même n'être là que pour être résolues afin de nous aiguiller dans nos raisonnements.
Plus fort encore, j'en suis même arrivé à me demander si certains événements aléatoires...
(Je pense par exemple à l'apparition impromptue des hommes-labyrinthes)
...ne sont pas juste là pour combler nos périodes de pérégrinations stériles.
(Je me leurre peut-être, mais en tout cas l'impact de ces événements sur ma partie à toujours été du meilleur effet.)
En termes de rythme – il n'y a d'ailleurs pas à dire – je trouve que le jeu, pour un escape game, est une véritable réussite. Il y a toujours un truc à faire. Toujours un truc à découvrir. L'aire de jeu proposée est suffisamment petite et dense pour qu'on se risque à refouiller les choses – y compris pour parfois trouver ce qu'on n'avait pas trouvé jusqu'alors – l'occasion pour nous de faire des liens entre des informations qu'on n'avait pas initialement pensé à connecter. Et puis sinon, au pire, il y aura toujours un dollar à prendre ici ou là, une cartouche de jeu à acheter, voire une clef à récupérer pour qu'on puisse continuer à faire quelque chose (même si c'est parfois pour peu de gain – voire pas du tout – on en reparlera.)
De toute manière, on n'est jamais vraiment découragé d'avancer dans la mesure où les énigmes sont thématisées ce qui nous permet de jongler d'une logique à une autre selon qu'on bloque ici plutôt que là. D'ailleurs, souvent, c'est en passant ainsi d'un casse-tête à une autre qu'on parvient, au bout d'un moment, à identifier l'énigme qu'on est le plus proche de résoudre et de parvenir ainsi à nos fins.
Alors après, histoire de ne pas non plus totalement travestir le réel, il reste vrai que tout n'est pas non plus parfait dans cette expérience Lorelei.
C'est par exemple frustrant de se rendre compte que certaines énigmes sont de véritables culs-de-sacs ou presque.
Moi par exemple, j'ai priorisé la dépense de mes dollars dans l'achat de figurines... Et j'ai l'impression que je n'y ai rien gagné comme clefs de compréhension ou clefs de salle. Juste des figurines quoi...
Idem, la résolution des énigmes des neuf chambres permettant d'ouvrir des boîtes à souvenirs ne donnent au final accès qu'à... des souvenirs. Des souvenirs qui, au bout du compte, n'auront jamais à être réinvestis par la suite pour avancer dans l'intrigue. C'est juste du lore bonus quoi Rien de plus...
Alors pourquoi pas, hein... C'est pas tant un mal que ça puisqu'en définitive la vraie gratification tient au fait de dévoiler tout ce mystère narratif qu'on nous invite à découvrir, mais d'un autre côté c'est déroutant de sentir parfois un écart substantiel entre le temps investi et la récompense obtenue.
D'un autre côté, heureusement que résoudre toutes les épreuves du jeu n'est pas nécessaire pour avoir accès à sa résolution finale. Ça a notamment été particulièrement appréciable par rapport à une activité périphérique que j'ai fort heureusement pu laisser de côté sans incidence.
(Je pense aux jeux « GameBoy », trop longs, redondants et pour certains obscurs.)
...et je me dis d'ailleurs qu'HEUREUSEMENT que je m'étais gardé ça pour plus tard sans finalement ne jamais à devoir y retourner, car si j'avais pris la peine d'y consacrer du temps pour au final ne RIEN obtenir (du moins je suppose, vu que j'ai fini le jeu à 99%), je pense que je n'aurais pas acquis un souvenir d'expérience aussi extatique que celui que j'ai aujourd'hui.
Parce que oui, au bout du compte, c'est surtout ça que, moi, je retiens de mon expérience avec cette Lorelei aux yeux laser. Je retiens une atmosphère, une histoire et surtout une immersion ; immersion rendue possible par cette remarquable science du tempo ; ce rapport à la difficulté qui a posé l'énigme non comme une barrière mais comme un obstacle nous obligeant à nous mettre intellectuellement en mouvement pour le sauter.
En cela , cette Lorelei s'inscrit pleinement dans l'élan du moment que portent des éditeurs tels qu'Annapurna, Devolver ou bien encore d'autres plus petits encore. L'an dernier c'était Cocoon qui expérimentait le gameplay à un bouton et l'idée d'un jeu conçu comme un parcours de formation plus qu'adversité. L'année d'avant c'était Tunic qui se plaisait à faire de l'énigme par déduction, construisant une grammaire mêlant étroitement narration, gameplay et logiques mécaniques. Et puis quelques années encore avant, c'était Outer Wilds ou bien encore Return of the Obra Dinn qui creusaient le sillon que certains se plaisent à qualifier de knowledgevania. Et autant vous dire que, pour ma part, tout jeu qui participe à alimenter ce genre de courant ne peut que rencontrer ma profonde et sincère sympathie.
(Et tout ça pour vingt balles – prix de lancement – s'il vous plaît...)
Le voilà le jeu vidéo mature que certains appellent tant de leurs vœux. Il n'est à chercher parmi les grosses productions qui, à grands coups de millions, s'efforcent de pathétiquement ravaler les façades de vieilles structures moribondes. Cette débauche de moyens jusqu'à l'absurde n'est au fond qu'un triste chant du cygne – celui du vieux monde – quand à côté de ça, il suffit d'un regard fuchsia de bon aloi pour lasériser les cœurs et raviver les passions pour des aventures riches et nouvelles.
Lorelei est de cette trempe-là. La trempe de celles qui n'usent pas de fards trompeurs pour espérer séduire.
Lorelei rappelle au superflu de la débauche quand on dispose d'une vraie richesse intérieure.
Alors oui, j'assume ma pleine déclaration d'amour. Lorelei, notre aventure n'aura duré bout-à-bout qu'une grosse journée, mais je peux te dire en toute vérité, que de tels yeux lasers couleurs fuchsia, je ne les oublierai clairement pas d'ici là...