Si aujourd'hui Mega Man est un héros de jeu vidéo tertiaire, malgré sa réapparition très remarquée dans Smash Bros 4, il n'en a pas toujours été ainsi. Ou presque, ce serait oublié que le premier opus, malgré toutes ses bonnes idées et ses qualités n'avait pas eu un succès foudroyant, et aurait pu laissé Mega Man comme un petit jeu d'action sympathique, mais tombé dans l'oubli. Enfin ça, c'est s'il n'y avait pas eu le 2.
Mega Man 2 est le tournant décisif de la licence, celui qui aura non seulement entériné les codes de cette dernière pour la très grande majorité des opus à venir, mais en aura en plus fait un incontournable de l'histoire des jeux d'action. En bref : Mega Man 2 est un gros morceau de l'histoire du jeu vidéo, et un passage obligé pour tous joueur s'intéressant au retrogaming.
L'air de rien, Mega Man 2 apporte pourtant relativement peu de nouveauté : comme pour le premier opus, le principe est d'aller péter les boulons de quelques robots sortis de l'imagination d'un enfant de 9 ans dans l'ordre que l'on veut, chaque boss vaincu nous laissant son arme qui servira à grandement se faciliter la tâche face à d'autres boss, avant d'aller chercher le Dr.Wily dans sa forteresse.
Cela ne veut pas dire que le 2 est un bête clone du 1 pour autant, bien au contraire : c'est une pure amélioration à tous les niveaux du matériau de base, et pour s'en rendre compte, il faut d'abord dire quelques mots sur le premier opus. Le premier Mega Man demeure un bon, voire un très bon jeu, mais néanmoins perfectible, la faute à un level design punitif, voire parfois franchement mal branlé à cause de trop nombreux pièges inesquivables, et des phases de plate-forme parfois mal étudiées (ceux qui se souviennent des plate-formes aux mouvement aléatoires qui nous tirent dessus dans le niveau de Ice Man devraient avoir un flashback tragique à ce moment là). En résultait une difficulté à la limite de l'atroce des fois (le combat contre le Yellow Devil, aaaaargh !) qui fera malgré tout parti à la fois de la marque de fabrique et du charme de la série. Le jeu était également amputé d'une partie de son contenu à cause des limitations de mémoire, qui se sont également ressentie sur la BO qui aurait pu être bien plus grandiose si elle n'avais pas été limitée à des boucles de quelques dizaines de secondes.
Avec tous cela en tête, il devient aisé de comprendre pourquoi Mega Man 2 a séduit le grand public bien plus facilement que le 1 : si la base de gameplay demeure largement la même, si les règles n'ont pas changé, si la difficulté reste relevée, si le jeu comporte son lot de passages punitifs où perdre une vie sur un saut mal calculé arrive souvent, le tout est également bien plus maîtrisé et équilibré que chez son aîné, le jeu est moins avare en vie et en bonus, quelques ajouts comme les items ou les energy tanks font leur apparition pour faciliter l'expérience de jeu, mais surtout un système de sauvegarde par mot de passe vient se greffer au tout, et cette seule amélioration justifie que si seul une poignée d'élite peut se vanter de finir Mega Man 1, le 2 est bien plus accessible au tout venant un peu persévérant. A noter que si cela ne suffisait pas, la version occidentale est dotée d'un mode plus facile (quel peuple d'assisté qu'on fait, j'vous jure !).
Mais le véritable bond en avant, il est bel et bien sur la forme. Mega Man 2 est sorti à une époque où une simple boîte de dialogue dans un jeu qui n'est pas un RPG était encore un doux rêve. Il a fallu faire avec les moyens de l'époque, et bon sang, Mega Man 2 est une leçon en la matière. Rien que la scène de l'intro donne le ton et apprend en moins de 30 secondes à rendre un tas de pixels cartoonesque aussi badass que n'importe quel héros de film d'action. Les entrées de stage avec le petit jingle qui donne envie d'aller casser des gueules, le soulagement en voyant l'entrée de chaque salle de boss après avoir traversé un niveau où on est mort 36 fois, ce petit instant de répit avec ce fameux couloir, avant de passer la seconde porte et d'entendre directement la musique d'introduction qui fait grimper la tension d'un cran, tous ces petits éléments marchent encore du tonnerre aujourd'hui et ne sont qu'une infime partie du génie de la mise en scène du jeu, qui iconise avec brio chaque niveau traversé, où s'enchaîne moment de stress intense, de soulagement, de satisfaction et de courage. Le plus grand moment du jeu étant pour moi la dernière ligne droite avant la dernière phase du boss final, ceux ayant joué au jeu comprendront.
Et comment parler de Mega Man 2 sans mentionner la bande-son ? N'allons pas par quatre chemin : c'est peut-être le plus grand coup de maître en la matière sur NES. De la première seconde jusqu'à la dernière, le jeu ne cessera de vous mettre claque sur claque. La frénésie du thème de Quick Man, le riff aérien du thème de Air Man, la lourdeur étouffante du thème de Heat Man, la ritournelle rythmée de Crash Man, la grande envolée épique du thème désormais légendaire du Dr.Wily, pas une seule piste n'est à jeter, et à chaque instant le jeu s'impose comme un coup de maître de sound design.
Bon cela dit, difficile de fermer les yeux sur certains défauts. La difficulté a été revue à la baisse, mais reste relativement déséquilibré : le stage de Flash Man est d'une facilité enfantine là où celui de Heat Man vous fera casser une ou deux manettes le temps de maîtriser les phases de plate-forme. Cela se ressent également sur les combats de boss qui peuvent aller du quasi-impossible avec l'arme de base (allez-y, je vous regarde pour faire Quick Man au Mega Buster) à la blague si on a la bonne arme (mention spéciale à Metal Man qui se fait vaporiser par sa propre Metal Blade). Visuellement, si le jeu n'est pas moche, loin de là, il est souvent entaché par de nombreux clignotements dès qu'il y a un petit peu de bordel à l'écran. On peut aussi noter le déséquilibre complet entre les différentes armes si vraiment on veut faire chier (l'arme de Heat Man est l'inutilité incarnée quand l'arme de Metal Man permet de rouler sur 50% des boss, tape dans toutes les directions en traversant les murs et en ne consommant quasiment rien).
Mais au-delà de ces quelques défauts, est-ce qu'en 2020 Mega Man 2 est encore un jeu appréciable ? Est-ce que le jeu n'a pas vieilli ? Ce serait mentir que de dire non, mais Mega Man 2 est un de ces jeux NES qui a eu la bénédiction de vieillir non pas comme la pomme oubliée au fond du panier qui fut juteuse et sucrée un jour, rongée par les asticots et la moisissure aujourd'hui, mais plutôt comme un bon vin qu'on aurait pris soin de stocker dans une cave, à la bonne température et bien à l'abri de l'humidité en attendant une grande occasion pour le ressortir. Le jeu accuse quelques erreurs de jeunesse du média qui aujourd'hui ne passerait sans doute plus, le panel de contrôle de Mega Man semble peut-être un peu trop limité voire rigide, mais le jeu conserve pour lui un rythme effréné, une mise en scène d'une efficacité rarement égalée sur sa console, une OST grandiose et une diversité de level design qui font qu'il demeure encore aujourd'hui très jouable, et même appréciable. Jamais un opus de Mega Man ne ré-atteindra ce niveau dans la série officielle, et si aujourd'hui le héros semble se faire petit à petit mettre sur le banc de touche de façon plus ou moins définitive, c'est tant pis : il nous restera ce vestige quasi-intact, témoin de l'époque où il était encore possible d'avoir la classe avec un physique de contrefaçon d'Astroboy qui aurait eu des rapports douteux avec Cobra.