Paradise Killer
7.7
Paradise Killer

Jeu de Kaizen Game Works et Fellow Traveller (2020Nintendo Switch)

Bon...

Eh bah autant vous dire que le retour d'expérience que je m'apprête à vous faire au sujet de ce Paradise Killer risque de dénoter quelque peu avec l'assentiment général qui règne ici à son sujet. Et en vrai, j'en serais presque désolé.


Bah ouais, désolé. Parce qu'à bien tout prendre, je ne peux pas retirer les qualités qu'on ne cesse de vanter au sujet de ce jeu. C'est vrai que l'atmosphère y est unique et incomparable. C'est vrai aussi qu'il y a là une vraie audace à mêler jeu d'enquête et monde ouvert. Et je peux également entendre qu'on nous ait servi là une intrigue très dense, nécessitant de notre part beaucoup d'implication, le tout étant au service d'une vraie démarche critique nous appelant à questionner la place de la justice dans un ordre social gangréné par les rapports de classes. Tout ça, je le perçois bien et ne saurais retirer ces mérites à Paradise Killer...

Mais malgré tous ces points soulevés (et sur lesquels je vais revenir), moi je ne peux occulter ce que fut la réalité de mon expérience face à ce jeu et...

...Et bah désolé mais, pour moi, ce Paradise Killer, ça a été synonyme d'une purge sans fin.

Une souffrance.

Un enfer.


Ça a commencé dès la première minute de partie.

Un écran noir, puis du texte. Et encore du texte... Ça parle d'exil, de dieu, de conseil, de versions de paradis détruits puis reconstruits, d'aliens, tout ça sur une page entière... Alors je sais bien qu'on va avoir affaire à un jeu d'enquête qui implique de lire des tartines de texte (en fait, non, moi à ce moment-là, je n'en savais rien, mais passons) mais ça ne retire rien au fait que, de base, j'ai déjà un gros problème avec ce genre de démarche qui consiste à te faire de l'exposition d'univers en te balourdant une notice comme ça, dans la gueule, sans le moindre effort de mise en scène ou d'écriture, surtout quand l'univers posé est aussi barré.

Sous prétexte que je vais devoir incarner une détective qui est censée déjà tout savoir sur ce monde, alors les petits gars de Kaizen Games Works se sont sûrement dit que ça collerait mieux à leur démarche de m'envoyer un simple memo introductif avant de me lancer dans le vif du sujet mais, sauf que... Bah non.

Il s'agit d'un jeu d'enquête, or il se trouve que cette enquête va aussi impliquer de notre part de comprendre aussi l'univers dans lequel s'inscrit notre affaire. Donc, dans ce cas-là, pourquoi ne pas moduler l'intrigue de telle manière a ce que notre avatar soit lui-même contraint de redécouvrir les choses ? Après tout, on nous l'a mise en exil pendant 7 millions de jours notre Lady Loves Dies (oui c'est son nom dans le jeu, et non je n'exagère pas le nombre de jours). Donc, partant de là, c'était si compliqué que ça de nous la faire sortir d'une sorte de stase qui lui aurait altéré sa mémoire, ce qui aurait justifié une amnésie à la con que notre avatar aurait cherché à masquer à notre réveil histoire de sortir fissa de notre prison dorée ?


Et ce n'est pas un détail que je pose-là hein. Parce que ce début de partie, il est quand même rude au regard de la plâtrée d'informations qu'on doit se coltiner d'entrée. Vraiment, ça aurait pu être géré autrement. Et tout le jeu est ainsi fait. En cela je le trouve globalement assez mal écrit. Alors certes, pour ce qui est du verbiage et de la caractérisation de chaque personnage, il sait faire le boulot – là-dessus, pas de souci – par contre, pour ce qui est de la structure globale du scénario, en tant que fil directeur qu'on se doit de démêler et de suivre, je trouve que c'est vraiment mal goupillé.

Le jeu est d'ailleurs contraint de passer par un système de stockage et de classement des infos pour nous assister et sans lequel on ne pourrait strictement pas nous en sortir tant il part dans toutes les directions, noyant le tout dans des kilotonnes de small talks qui, certes peuvent aider à poser les personnages et à développer le lore propre à chacun, mais qui nuisent clairement à la fluidité de l'ensemble.


En fait, c'est tout con, mais déjà je trouve que le premier gros défaut du jeu passe par le fait que l'essentiel des informations qu'on va collecter, que ce soit aussi bien pour l'enquête, pour le lore ou pour la compréhension de l'univers, va passer par les dialogues et quasiment exclusivement par les dialogues. En cela, l'espace dans lequel on est amené à se balader est totalement sous-exploité. On y trouve et on y déduit que peu de choses. À se demander d'ailleurs ce qu'il fout là vu comment l'essentiel tient dans les dialogues. En conséquence, vu le poids conséquent de parlotte qu'on se bouffe, l'inégalité de leur intérêt, et surtout le fait que le jeu ait mis à notre disposition un outil de triage d'infos qui nous mâche tout le boulot, l'envie apparaît assez rapidement de spammer la plupart des discussions. C'est qu'en plus de ça, notre partie va nous obliger à pas mal d'allers-retours ; à rediscuter régulièrement avec les uns et les autres, alors le button mashing va très vite s'imposer comme étant LA solution pour essayer de rendre sa partie un temps soit peu digeste. Or ça, pour moi, c'est déjà révélateur d'un échec.


Mais si seulement ça s'arrêtait à ça...

Parce que bon, quand bien même il faudrait spammer pour clarifier les enjeux que, malgré tout, ça serait une solution de posée sur la table pour profiter de l'enquête et pour mieux s'y investir. Certes, mais sauf qu'il y a un autre obstacle à prendre en compte : le monde ouvert.

Alors ça, j'avoue : c'est ma plus grande interrogation concernant ce jeu.

J'y ai passé quelques heures dans ce monde ouvert et, à dire vrai, plus je m'y suis baladé et moins j'ai vu son intérêt. Pire que ça, c'est pour moi un incroyable boulet qui vient savater toute possibilité d'immersion dans l'enquête ; à la fois en termes d'atmosphère, mais surtout en termes de rythme.

Parce que bon – attention, récit d'expérience personnelle – moi quand je suis sorti de chez le juge tout au début de ma partie et que je m'apprêtais à me lancer dans mon investigation, voilà que j'ai surpris sur mon chemin un collectible en équilibre sur un rebord d'escalier. J'ai cherché à le choper mais, comme j'étais en début de partie et que je ne maîtrisais pas encore bien les sauts, je suis tombé et me suis retrouvé dans le quartier en contrebas. J'ai recherché un chemin pour remonter. Je n'en ai pas vu. Alors du coup j'ai ouvert ma carte. J'ai un peu galéré pour la trouver dans le menu. J'ai ensuite galéré à la lire parce qu'elle était vraiment rudimentaire, surchargée et globalement illisible. Du coup, je n'ai pas eu d'autre choix : j'ai essayé de naviguer à vue, de retrouver mon chemin, et de découvrir – tant qu'à faire – ce monde ouvert qu'on mettait à ma disposition...

...Eh bah j'y ai bien passé trois bonnes heures à retrouver mon chemin. J'ai fait tout le tour de l'île, ramassé des collectibles à gogo, débloqué des bornes de voyage rapide (qui ne m'étaient alors d'aucune utilité, on en reparlera), ouvert des sanctuaires, croisé des témoins à qui je n'avais pas encore beaucoup de questions à poser vu que je n'avais toujours pas eu l'opportunité d'aller sur les lieux du crime. Du coup, entre égarements réguliers, ramassage de collectibles dont je n'avais rien à foutre, et conversations stériles, un constat s'est vite imposé : putain, que c'est vide.


Rien ne va dans ce monde ouvert. Il est ouvert mais on ne peut rien y faire, on y croise quasiment personne et on y collecte que de la daube. Alors je sais bien que l'intrigue le justifie, tout comme je ne suis pas dupe non plus des grandes restrictions techniques qui expliquent ce choix opéré par le studio, mais malgré ça, reste donc ce terrible constat : ce foutu monde ouvert ne sert à RIEN.


Il est trop rudimentaire, moche et esthétiquement discutable (on en rediscutera) pour jouer un vrai rôle de narrateur environnemental, mais surtout il s'impose à nous comme une interface incroyablement fastidieuse entre les témoins !

Sitôt j'obtiens un témoignage et que j'ai envie de le confronter à celui d'un témoin précédent que – OH NON ! – il faut que je me rende à l'autre bout de la map et que je vais mettre vingt minutes avant de le retrouver.

Alors vous allez me dire : « oui mais ce n'est pas grave, parce que désormais tu as débloqué les bornes de voyage rapide ! » Eh bah même pas ! D'une part, ces bornes sont mal disposées et jamais vraiment à proximité des points qui nous intéressent, et puis surtout elles sont payantes ! Même quand on se décide à finalement ne pas les utiliser ! Ça m'est arrivé dès ma première utilisation ! J'ai voulu me téléporter. La carte est alors apparue, totalement illisible, donc j'ai décidé d'annuler mon voyage. Eh bah ça m'a quand même coûté une goutte de sang ! Et quand on sait à quel point c'est casse-burne de collecter les gouttes de sang, il y a de quoi rager !


Mais au bout du compte, ce n'est pas vraiment ça qui a fini par m'achever. LE vrai problème que j'ai rencontré avec ce Paradise Killer, c'est juste que son univers me sort par les yeux (expression à prendre en son sens presque littéral). Et sur ce point – encore une fois – loin de moins l'envie de reprocher à ce jeu d'avoir produit une identité forte et singulière entre toutes... Mais, sur moi, ce parti pris là, c'est juste un repoussoir sur tous les aspects. Couleurs agressives à base de turquoise et de mauve, musiques « citypop » à gogo, personnages farfelus déguisés comme un jour de mardi gras : ce monde est un gigantesque parc d'attraction radioactif où toute forme d'overdose est envisageable voire envisagée. Non seulement je trouve ça moche au possible (même si j'entends que ça soit une note d'intention qui puisse avoir sa logique), mais surtout je trouve ce monde usant pour les sens. L'observer est usant. Le parcourir est usant. L'écouter est usant. Même le lire est usant. Parce que oui, non seulement il a fallu que le jeu soit une annuaire à lire en termes de quantité, mais en plus de ça, il a fallu que ça se fasse sur fond de couleurs criardes, de contrastes marqués et de musiques de supermarché. Mais moi – et je ne sais pas pour les autres – quand je finis une session de jeu, j'ai mal au crâne et les rétines qui fondent quoi !

Alors quand en plus de ça, cette souffrance je me l'impose pour découvrir ce qui a pu arriver à ce petit monde peuplé de Lady Loves Dies, Snoop Scratchy Scratch et autre Kevin MonCulSurLaCommode (j'exagère à peine les noms), autant vous dire que je ne vois pas pourquoi je devrais m'imposer un tel châtiment.


Vous l'aurez donc compris, je ne suis pas allé au bout de ce Paradise Killer. Je dirais même que je ne suis vraiment pas allé bien loin. Passé une demi-douzaine d'heures à errer à travers un monde vide, moche et finalement pas si ouvert que ça, tout ça dans l'espoir de tomber sur un nouveau dialogue à spammer, j'ai lâché l'affaire.

Alors bien sûr, j'ai quand même voulu connaître le fin mot de l'histoire et je me suis écouté un podcast de Fin du Game à ce sujet, histoire de savoir à côté de quoi je passais, et j'en suis arrivé à ce bilan que vous connaissez déjà : au fond je n'ai pas eu l'impression de louper grand chose.

Alors bien sûr, je n'ai pas eu l'occasion d'expérimenter par moi-même la frénésie du procès final, j'entends bien. Mais d'un autre côté, je pense qu'il faut aussi entendre en contrepartie que la totalité des obstacles qui ont été mis sur mon chemin pour m'empêcher de mener mon enquête jusqu'au bout l'ont été par le jeu lui-même. Or ces obstacles, ils n'étaient pas que le fruit de contraintes de développement. OK, les petits gars de chez Keizen Games Works ont voulu réduire leur charge de taf en cachant leur textures dégueulasses derrière une esthétique flashy rappelant le charme désuet d'un Vice City. D'accord, ils ont voulu alléger leur charge de travail en vidant leur monde de toute population et en réduisant les rares personnages présents à de vulgaires pancartes qui nous attendent sans bouger. Ce sont des choix forts – et affichés comme pleinement assumés – qui appellent clairement à l'indulgence des joueurs. Il y a l'idée derrière ça d'un message explicite : « on n'avait pas les ressources pour le polish donc on s'est focalisé sur l'essentiel, soyez tolérants et jouez le jeu » ce qui est une philosophie qui, dans l'absolu, ne me dérange pas du tout, bien au contraire.

Seulement, moi, ce n'est pas ce que je vois dans ce Paradise Killer.

Quand je passe une demi-heure dans le quartier résidentiel à ouvrir des grilles et faire le tour de baraques pour juste aller choper des collectibles à la con, ce n'est pas la faute à une restriction technique. Ça, c'est la faute à une fainéantise de game design.

Quand je constate que, dans mon champ de vision, un même personnage (Shinji en l'occurrence) apparaît simultanément à trois endroits différents alors qu'il est censé n'être qu'une seule et unique personne qui se balade aléatoirement sur la map, ce genre de fist opéré à l'encontre de ma suspension d'incrédulité, il n'est pas le produit d'une contrainte technique, mais bien celui d'une mauvaise réflexion de l'espace. Et quand je perds mon temps à faire des allers-retours interminables pour interroger à nouveau A par rapport à ce que m'a dit B au regard de ce que m'avait initialement déclaré A, ce n'est toujours pas le produit d'une restriction technique, c'est juste le produit d'une mauvaise décision visant à insérer, dans un jeu d'enquête, un monde ouvert qui lui était totalement inadapté.


Ce jeu, il y avait plein de façons de le rendre meilleur.

Réduire la taille de son monde ouvert d'abord pour favoriser les interactions entre les personnages. Faire de ce monde ouvert un lieu de narration plutôt qu'un simple labyrinthe dans lequel faire la chasse aux œufs et aux témoins cachés. Faire vivre les personnages dans le monde afin de justifier nos mouvements pour aller les chercher (parce que là, pourquoi ne pas tous les ramener au poste et les interroger chacun dans une salle différente ?! Là tu en faisais des économies de développement !)


Mais bon, malgré tout je n'ai pas trop envie de tirer sur l'ambulance non plus. Encore et toujours, je ne veux pas reprocher à Kaizen Games Works d'avoir tenté quelque chose. Je ne peux pas non plus leur reprocher d'avoir fait un choix de DA qui me rebute au plus haut point (et qui, accessoirement, m'a rendu à moitié aveugle) alors que j'entends bien qu'il s'agit là d'un parti pris qui a su faire mouche auprès d'autres joueurs et que, si j'avais eu la chance de faire partie des heureux élus, j'aurais sûrement été le premier à vouloir passer outre tous les défauts que je viens de vous évoquer pour davantage vous parler de l'habilité de la formule ici expérimentée.


D'un autre côté, je ne veux pas tomber non plus dans le piège que certains studios se plaisent parfois à nous tendre, que ce soit avec plus ou moins de malice. Parce que ce n'est pas la première fois qu'en ce qui me concerne, je tombe sur un jeu au concept engageant et / ou à l'esthétique qui claque (SCHiM, Dordogne, Carto, Haven, Arise) mais pour qu'au final je découvre qu'au bout du compte, on me l'avait un peu fait à l'envers ; qu'on s'était juste contenté de l'effet d'esbroufe et que le travail de réflexion nécessaire pour permettre le plein épanouissement du titre n'a au final été mené qu'à moitié si ce n'est parfois au tiers.


Or, moi, je trouve quand même qu'il y a aussi pas mal de ça dans ce Paradise Killer.

Derrière la prise de risque louable, il y a aussi là-dedans pas mal de facilité, de choix cache-misère et de vraies grossièretés qu'il serait selon moi inconvenant de passer sous silence sous peine de participer à la normalisation d'une certaine nonchalance, voire d'une certaine fainéantise dans le jeu vidéo.

Car oui, j'en suis persuadé : s'ils avaient pris la peine de pousser davantage la réflexion, les petits gars de chez Kaizen seraient peut-être parvenus à pondre un jeu mieux pensé et plus immersif, et qui n'aurait peut-être pas nécessité de faire fondre mes yeux pour chercher à m'éblouir... ;-)

Créée

le 27 janv. 2025

Modifiée

le 27 janv. 2025

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