Peste noire, peur blanche.
A la base, Penumbra était une démo technique de Frictional Games pour leur moteur maison qui est devenu au final une trilogie de jeux d'horreur. Lorsqu'on y joue maintenant, on sent clairement qu'il s'agissait du brouillon de ce que Frictional allaient pondre 2 ans plus tard : Amnesia The Dark Descent.
Les bases sont donc là : un jeu d'aventure horrifique où on se sert principalement de la physique pour résoudre des puzzles, tout en faisant attention à quelques ressources (pilules de soins, piles pour la lampe torche...). La physique sert également à rendre l'aventure plus immersive. Comme dans Amnesia, on doit nous-même reproduire à la souris le mouvement pour ouvrir une porte, pousser une boîte, ouvrir un tiroir etc... plutôt que de juste appuyer sur un bouton d'interaction comme dans la grande majorité des jeux.
Ce deuxième épisode, Black Plague, est sans aucun doute le meilleur de la trilogie. Il corrige pas mal de défauts du premier épisode, Overture. Ce dernier proposait des puzzles un peu répétitifs et pas très inspirés, surtout à base de "pousse cette boîte-là, prend cette clé ici et ouvre la porte là-bas". Dans Black Plague, il y a davantage de trouvailles et on parcourt l'ensemble de manière plus agréable bien que le principe reste globalement le même.
De plus, Overture était encore timide et on sent que les développeurs n'avaient pas poussé le délire assez loin. On pouvait y ramasser des armes difficilement maniables (le principe de reproduire le mouvement à la souris n'est clairement pas adapté pour le coup) afin de tuer les ennemis qui rôdent, à savoir des chiens et des araignées. Dans Black Plague, ils ont plutôt mis des monstres humanoïdes glauques et nous n'avons plus aucune arme. C'est beaucoup plus efficace pour installer la peur. On est obligé de fuir en faisant face à une de ces "choses" et se cacher derrière des obstacles comme une tapette. C'est efficace, et c'est quand même autre chose que de taper sur des chiens (à moins que vous soyez cynophobe).
Enfin, même si on peut pardonner cela à cause du manque de moyens du studio, le premier épisode était quand même assez vilain et cheap dans l'ensemble. Ce deuxième opus, bien que très loin des standards de 2008, est quand même plus travaillé, avec une meilleure ambiance et des décors plus variés.
Cependant, j'ai quand même un problème avec cette série, et c'était déjà le cas avec Amnesia. Bien que je respecte Frictional Games pour leur amour de l'horreur et pour leur inventivité, j'ai quand même l'impression qu'ils ont du mal à raconter une histoire.
Premièrement, il y a un gros problème de base : le pitch. J'aime bien les scénarios complexes dans un jeu d'horreur, mais à condition que ça s'installe progressivement. Si on prend Silent Hill 2 par exemple, jeu réputé pour avoir un scénario torturé, le pitch de base est pourtant simple : "j'ai reçu une lettre venant de ma femme morte il y a 3 ans, elle me dit qu'elle m'attend à Silent Hill". C'est simple et clair, avec un côté fantastique et inquiétant en plus. On est plongé direct dans l'intrigue.
Penumbra c'est totalement l'inverse, le pitch de base est inutilement complexe alors que l'histoire de la série est drôlement classique. "Je n'ai jamais connu mon père, mais j'ai reçu une lettre de sa part lorsque ma mère est morte. Il me dit d'aller récupérer des documents à lui dans une banque et les détruire. J'y vais, et plutôt que de les détruire je les ai regardés. Ça parle d'une base secrète en Groenland, du coup j'ai décidé d'y aller pour voir ce qu'il y a, en oubliant mon manteau alors qu'il fait -30°C dehors." Je ne trouve pas ce pitch crédible, et j'ai eu du mal à rentrer dans l'histoire dès le premier épisode.
Au moins dans Black Plague, l'histoire avance un peu (car dans Overture on faisait totalement du sur-place à force d'aider un PNJ sensé être notre ami alors que c'est un total inconnu). J'ai pourtant ressenti le même soucis qu'avec Amnesia : l'histoire est classique et simple, mais ils ont voulu y rajouter du superflus pour la faire passer pour quelque chose de plus complexe. Je n'ai pas trouvé ça très efficace. Rajoutons à cela plein de documents un peu lourds à lire. Certains doivent aimer ça, personnellement je ne trouve pas qu'il s'agit de la meilleure méthode de narration possible pour un jeu vidéo. Qu'il y ait des documents pour rendre l'univers plus profond (Deus Ex) ou poser une ambiance glauque (Silent Hill), oui, qu'on doit se farcir des longs documents pour tout comprendre de l'histoire car ils n'ont pas pu expliquer ça autrement, non.
Enfin, ce qui m'a surtout agacé dans ce deuxième épisode est Clarence, cette voix intérieure qui nous parle constamment. Je la trouvais vraiment insupportable et lourde, surtout qu'elle est très bavarde. Les développeurs ont fait beaucoup d'efforts pour poser une ambiance puis ensuite mettre des mises en scène horrifique pour nous faire peur, mine de rien c'est beaucoup de travail, et pourtant ils gâchent cela avec un PNJ qui intervient régulièrement et qui nous coupent dans l'immersion. Ça m'a fait rappeler les différents flashbacks et hallucinations trop nombreux dans Amnesia qui cassaient pas mal le rythme du jeu.
Bref, je ne suis pas sorti d'une école de scénariste donc je n'ai pas du tout envie de donner des leçons de comment raconter une histoire, mais je trouve quand même ça un peu mal foutu dans Penumbra, ce qui est dommage car il s'agit pourtant d'un jeu très narratif et où c'est sensé être son point fort.
J'ai pas mal critiqué cet aspect mais pourtant Penumbra est une série sympathique qui se parcourt de manière agréable. Les énigmes sont bien trouvés, l'ambiance est travaillée, et ça réserve pas mal de chouettes séquences. Si vous avez aimé Amnesia, ça serait dommage de passer à côté.
La série est au sommet de sa forme avec cet opus, et on peut d'ailleurs oublier le troisième et dernier épisode, Requiem. Il n'apporte absolument rien à l'histoire, et c'est devenu un simple puzzle-game pas forcément désagréable mais où on avance sans trop savoir pourquoi, dans un univers qui a perdu son aspect inquiétant et mystérieux. Penumbra s'est terminé avec Black Plague.