Resident Evil 4 est décidemment le jeu de tous les paradoxes.
- Premièrement, parce qu'il s'agit probablement de l'épisode à la fois le plus connu et le plus en décalage avec les principaux épisodes, à tel point qu'il pourrait faire office de spin off.
- Parce qu'il est autant considéré comme le sauveur que le fossoyeur de la licence par les fans
- Parce qu'il s'agit d'un jeu aussi hilarant que mélancolique.
- Parce que son remake est à peu près aussi génial qu'exaspérant
RE4, c'était donc ces moments kitsch inoubliables comme l'arrivée au village, une grosse baleine dans un lac, un volcan tout en haut d'un château, un robot géant qui nous poursuit, un combat mythique contre Krauser et plein d'autres. C'était les répliques d'un Leon edgy badass de 2005, c'était Saddler qui aimait blaguer, c'était Ashley déguisée en popstar qui nous rendait sourd (ce dont les développeurs s'amusent avec la dernière cinématique du jeu où Leon nous ferait presque un clin d'oeil face caméra après un tout dernier "Leeooon !")
Bref, c'était un joyeux bordel.
Mais en parallèle, c'était aussi et surtout une ambiance inoubliable, inquiétante dans une première run, puis mélancolique à force de relancer le jeu...
on se surprend à être étonnamment seul dans l'aventure et Leon ne parle pratiquement pas en dehors des quolibets renvoyés aux méchants du jeu.
Deux musiques reviennent en tête lorsque l'on pense à RE4 : la save room bien sûr, et Serenity, lorsque l'on se trouve en présence du marchand (qui est, ironiquement doublé par la même personne que Leon)
Et puis ce village, bien que supposément situé en Espagne, qui nous semblait être au bout du monde, dans un endroit abandonné de Dieu... aucune trace de vie aux alentours, un brouillard si épais que l'on se serait cru à Silent Hill...
bref, un jeu qui envoie !
vous vous rappelez de tout cela ?
bien, parce que ça n'a rien à voir avec le remake !
RE4 (2023) part du principe que le joueur connaît par cœur le jeu d'origine et essayera toujours de le piéger en proposant les mêmes niveaux en partant du côté opposé, en proposant des pièges ici et là pour ralentir la progression ou en retardant un élément que l'on suppose arriver à l'instar de l'original.
Pour toutes ces raisons, RE4 est un remake amusant à faire car il sait jouer avec les attentes et renouveler l'expérience.
C'est toujours aussi ludique et le game design rappelle un savoir faire ancien. Comme les précédents remakes, RE4 dénote par rapport à son époque avec des mécanismes d'un autre temps mais qui ont bénéficié d'une nouvelle couche de peinture pour qu'on y adhère !
Là où Capcom a été malin, c'est en allant puiser dans les bonnes idées trop peu exploitées dans le jeu original (qui, on le sait, a eu un développement compliqué et dont la version finale a été rushée). Ainsi, les quêtes secondaires -qui existaient déjà dans une moindre mesure- sont ici totalement retravaillées et bénéficient d'un vrai soin tout du long. Les séances de tir sont bien plus dynamiques, avec un système de récompense loin d'être anecdotique pour la suite de l'aventure, et ça se paye même le luxe de remixer un autre grand classique de l'ost originale dans un style flamenco/disco qui fera plaisir aux vétérans. Parmi les récompenses de l'attraction, on notera le mini-striker qui donne un boost de vitesse à Leon, en référence au fameux striker glitch très utilisé dans les speedrun. Le jeu se paie aussi le luxe de quelques références aux premières versions de RE4 (ou RE 3.5 comme certains aiment l'appeler) dans l'excellente séquence où l'on incarne Ashley. Un remake fait avec amour, donc !
A mon sens, le gros du changement réside surtout dans la réécriture des personnages qui présentent enfin un intérêt (eh oui !) : Aussi incroyable que cela puisse paraître, Luis n'est plus ce gars qui pop aléatoirement pour sortir 2 répliques beauf pour repartir juste après ! Ashley n'est plus une ado chiante juste bonne à être jetée dans une poubelle pendant les combats ! Leon n'est plus ce clown cynique qui se demande ce qu'il fout ici. Les personnages (alliés, du moins) vont tous bénéficier d'une petite évolution au cours du jeu et d'un moment de gloire à un moment donné. On dévie clairement dans un cadre plus sérieux, au détriment de l'humour propre à RE4 original. Une bonne chose ? pour la continuité des évènements, oui bien sûr. Il est évident que Capcom cible autant les joueurs de 2005 que ceux ayant découvert la série avec le remake de 2019. Sur certains points, cela fonctionne bien puisque Leon a -pour la première fois de son histoire- une évolution logique entre 2 épisodes. Moins taquin que sur gamecube, le personnage est plus en adéquation avec son portrait dressé en 2019.
A l'inverse, les antagonistes sont réduits à quelques apparitions et on perd l'intégralité des fameux dialogues en facecam de 2005. Mention spéciale à Saddler qu'on aperçoit à 30 minutes du générique de fin et qui devient un méchant on-ne-peut-plus banal. Salazar, lui, a préféré concentrer toutes ses répliques originales pour le combat de boss où il parle sans arrêt pendant sur toute la durée du fight : spoiler - c'est insupportable, surtout quand on recommence la séquence plusieurs fois. Seul Krauser arrive à tirer son épingle du jeu parmi les méchants, déjà avec une première apparition en introduction du jeu, qui fait qu'on le reconnaît en même temps que Leon par la suite (ce qui était presque un gag dans l'original où on comprenait rien à la séquence), et avec des retrouvailles plus fortes à mi-chemin qui donne une raison au joueur de s'investir dans le combat.
Mais ce ton plus sérieux, il vient aussi empiéter sur l'environnement. L'univers visuel est bien moins inspiré qu'auparavant. On quitte totalement le brouillard épais digne d'un Silent Hill pour revenir à quelque chose de plus générique et photoréaliste. Ainsi, la campagne espagnole, bien que très jolie, ne dégage pas grand chose d'inquiétant. On est à l'aise entre ces montagnes pleines de verdure, ce coucher de soleil magnifique qui donnerait presque envie de voyager au delà des Pyrénées. Le village est certes délabré, mais finalement, on se dit qu'avec quelques planches et des vis, on pourrait en faire un endroit sympa. Peut-on en dire autant du village sur gamecube ? certainement pas !
Un défaut que RE4 partage avec d'autres remakes, notamment Shadow of the Colossus qui remplaçait en 2018 son ciel nuageux épais plein de mysticisme pour un ciel dégagé totalement banal. Oui, le brouillard épais est un artifice très répandu à l'ère de la PS2 pour réduire la distance d'affichage, mais comme de nombreux contraintes techniques, celle-ci était utilisée à bon escient. Que propose cette évolution graphique en dehors d'un joli panorama ? voilà voilà...
En voulant apporter du réalisme à son monde, ce remake réussit au moins une chose : le château a enfin une vraie cohérence architecturale ! ce qui semble essentiel quand on voit le nombre d'allers et retours nécessaires pour compléter les quêtes secondaires. C'est un gros plaisir que de parcourir les différentes salles et se dire que les niveaux se suivent de manière logique ! Bon, il faut dire adieu aux volcans et autres robots géants qui sont cachés un peu partout en guise de clin d'œil, mais ça valait le coup. A mon sens, le château de ce remake ringardise totalement l'original et représente clairement la meilleure partie du jeu. Même l'île, que beaucoup de joueurs espéraient ne pas revoir a été retravaillée pour ne garder que le meilleur. C'est la partie la plus courte de ce remake mais elle n'a clairement pas à rougir face aux autres. Les regeneradores sont toujours aussi flipants, le dernier combat mythique de Krauser est totalement respecté et à mon sens, surclasse l'original. Finalement, c'est le village qui devient la moins bonne partie du jeu. C'est con, c'est quand même la partie la plus mythique de l'original.
Parmi les nouveautés, on peut désormais s'accroupir pour tuer discrètement les ennemis ! dommage, ça ne sert pas à grand chose car les niveaux ne sont pas pensés pour être complétés ainsi. En revanche, le système de parade est bon, sans être inédit. Il vient surtout empêcher les joueurs d'effectuer les mêmes pattern qu'en 2005 à coup de balle dans les jambes + coup de couteau pour empêcher l'ennemi de se relever, ce qui rendait l'original sacrément facile même en mode Pro. Ce nouveau système fait des merveilles dans le premier combat contre Krauser où il prend tout son sens. Donner une durée de vie au couteau permet aussi d'inciter le joueur à varier les coups et n'exclure aucune arme. On se surprend à utiliser davantage de flingues différents que dans l'original et le marchand vous les rachète enfin à un juste prix, ce qui permet d'essayer globalement tout l'arsenal sans se ruiner.
Le contenu endgame est bon, le mode mercenaires fait partie des meilleurs de la série et la campagne d'Ada (10€, prix honnête au vu du contenu) présente plus d'intérêt que celle sur PS2, ce qui n'était pas très compliqué. On y recycle même quelques segments oubliés de la campagne de Leon comme le téléphérique et le couloir des lasers pour contenter les grincheux du fond. Les défis proposés sont pour la plupart intéressants, même si "compléter le jeu en moins de X heures" ou "sans utiliser tel ou tel objet", dans un jeu qui offre un tel gameplay, je trouve ça plus frustrant qu'autre chose. Le "musée" des modèles 3D est excellent, j'adore découvrir nos bestioles préférées sont tous les angles et c'est toujours frustrant de voir que si peu de studios prennent le temps de proposer l'option aux joueurs.
Nul doute que Capcom est fier de son moteur et s'est gavé sur ses modèles et sur les animations. Parfois trop. Le jeu en fait des caisses. Alors oui, les émotions sur les visages sont bien retranscrites, c'est joli ... mais manette en main, c'est une autre paire de manche. Trop d'animations lourdingues qui viennent parasiter le gameplay, et plus d'une fois on se retrouve incapable de se mouvoir, condamné à se faire enchainer par des péons espagnols. Triste fin pour un agent d'élite surentraîné par les forces spéciales américaines. Au moins, sur ce point, on est sur d'être fidèle à l'original : Leon a toujours une mobilité digne d'un 36 tonnes.
Alors, à la question : "l'original ou le remake ?" la question fait rage chez tous les joueurs ayant apprécié les 2. La version de 2005 fait presque office de jeu d'auteur aujourd'hui, tant on a assimilé le nom de son créateur Shinji Mikami au produit final. Son ambiance surclasse totalement le remake qui se vautre dans un réalisme chiant. Son aspect décalé et ses nombreux passages wtf achèvent d'en faire un jeu culte et son héritage colossal n'est plus à démontrer. Evidemment que ce remake n'a pas les mêmes ambitions. Modestement, celui-ci cherche davantage à proposer une suite logique à son RE2 remake, plus qu'à reproduire le stand-alone wtf qu'était RE4 en 2005. Il va donc davantage peaufiner son gameplay et sa difficulté, gommer toutes les impertinences de son aîné pour en faire un jeu qui rentre dans le moule des productions Capcom de ces dernières années. Un remake "sage", donc, mais efficace. On peut trouver ça dommage, et je fais partie de ceux qui préfèrent le Leon cynique et goguenard de 2005 à l'espèce d'emo chiant que l'on a ici. Mais finalement, les 2 versions se valent totalement et on peut les apprécier pour des raisons bien différentes. A l'instar de RE1 et son remake sur gamecube, les 2 auront leurs défenseurs avec des arguments qui se valent, sans qu'aucune des 2 versions n'efface l'autre de la mémoire collective.