Signalis
7.6
Signalis

Jeu de Rose-engine et Humble Games (2022Nintendo Switch)

Dans ce très vaste monde qu'est devenu le jeu vidéo, il faut bien se l'avouer : il y a en a pour tous les goûts et pour tous les publics, mais à l'inverse il y a aussi des succès qui ne sont pas à mettre entre toutes les mains parce qu'ils ne s'adressent pas à tous les types de joueur. Aujourd'hui, il faut donc savoir faire le tri parmi ces titres qui sortent du lot si on ne veut pas subir des déconvenues, et s'il y a bien un titre pour lequel ce conseil me paraît avisé, c'est bien ce Signalis, tant ce dernier semble avoir pour cœur de cible les joueurs de ma génération.


Ah ça ! Si vous êtes né(e) dans les années 80 ou 90, vous les avez forcément connus ces débuts de la 3D un peu glauque ; ces jeux cherchant à poser des atmosphères lugubres tout en subissant (ou en jouant) des polygones douteux ou de la pixelisation excessive liées aux contraintes techniques de l'époque. Une époque dont certains semblent manifestement nostalgiques vu comment se multiplient, depuis peu, ces jeux qui surfent sur cette esthétique étrange et sans pareille (il y a même eu un épisode de Game Next Door sur le sujet, si ça vous intéresse ;-), et Signalis fait indéniablement partie de ces titres-là.


Dès les premières minutes en contact avec le jeu, le doute n'est plus permis. La démarche est plus que jamais affichée, si ce n'est revendiquée. Visuels pixelisés lardés de stries propres aux affichages de vieux tubes cathodiques usés et références esthétiques qui puent les années 80 et 90 : entre d'un côté ces personnages qui renvoient directement aux mangas cyberpunk de l'époque et de l'autre cet univers mêlant ex-RDA et colonisation spatiale façon Alien ou Planète hurlante, il ne peut y avoir de doute sur la marchandise ! ...Et je dois bien avouer que, sur un natif des années 80 comme moi, ça a su faire tout de suite son petit effet. Ça m'a immédiatement brossé dans le sens du poil, surtout que la chose est faite avec style. Les oppositions rouge-bleu / brun-blanc imposent tout de suite une marque, pour ne pas dire un charme. Même chose pour ce qui est de ce gloubiboulga germano-nippon qui, bien que farfelu (et jamais vraiment expliqué) présente ce mérite de créer cette sensation surprenante mais séduisante d'être en total terrain connu, mais tout en n'ayant jamais vraiment vu ça.


Côté gameplay, on se retrouve d'ailleurs avec les mêmes premières sensations. Cette vue du dessus et ces déplacements un peu rigides rappellent clairement le premier Metal Gear Solid sur PS1. La structure des niveaux en salles entrecoupées de (très petits) temps de chargement et dans lesquelles il faut savoir collecter des clefs et des ressources limitées rappelera très vite des souvenirs aux adeptes du premier Resident Evil. Idem, les points de sauvegarde matérialisés en rouge tout comme cette façon de faire évoluer notre espace de jeu vers des textures rouillées et souillées, éveillera forcément quelques souvenirs aux joueurs des premiers Silent Hill. Il y a même des phases en première personne où on se déplace en cliquant à la façon d'un Myst. Pour le coup, c'est tout une génération de jeu qui se retrouve ici mobilisée.


En cela, l'expérience revival n'est pas désagréable – bien au contraire – surtout que les petits gars de chez Rose-Engine ont eu cette lucidité de savoir prélever l'état d'esprit de la période mais sans en reproduire à l'identique les contraintes.

OK, le maniement est rigide, comme un bon vieux jeu PS1, mais les ennemis ne sont pas forcément plus habiles que nous. Le skill n'est clairement pas un enjeu, ce qui compte avant tout c'est de savoir gérer ses munitions et s'interroger en conséquence si ça vaut le coup de rentrer dans une phase de combat hasardeuse ou pas. En cela, la rigidité du gameplay parvient à apporter suffisamment d'inconfort sans pour autant que la difficulté ne vienne nous faire rager sur ses limites. En cela la formule de Signalis fonctionne très bien, du moins en son début.


Parce qu'en effet, petit à petit, le concept finit malgré tout par se heurter à ses insuffisances.

Car si au départ un vieux de la vieille comme moi peut sourire de ces anciennes mécaniques usées jusqu'à la corde consistant à nous faire ouvrir des flopées de portes fermées par des clefs administrateur, clef du hibou, clef des quatre éléments, etc. Au bout d'un moment, la répétition du stéréotype cesse d'être un clin d'oeil mais s'impose vite comme une fainéantise, voire comme un ennemi à toute forme d'immersion.


Comme s'ils semblaient s'être satisfaits d'avoir trouvé-là un angle nostalgique qui leur autorise une certaine légèreté en termes de level design, les petits gars de Rose-Engine donne l'impression d'avoir oublié que si Resident Evil, Silent Hill et Metal Gear Solid avaient su enthousiasmer à l'époque les foules au-delà de leurs évidents défauts, c'était aussi parce qu'ils proposaient quelque chose de nouveau ; parce qu'ils constituaient des pionniers au sein d'univers vidéoludiques inexplorés. C'est ce qui faisait qu'à l'époque on passait à ces jeux un paquet de choses et c'est aussi ça qui faisait qu'on avait envie de se mettre dedans et d'y croire.

Or là, en présence de ce Signalis, la situation n'est clairement pas la même : à force d'avancer dans notre partie, on finit par trouver nos marques dans cet univers qui se révèle rapidement n'être qu'un pot pourri de plein de choses qu'on a déjà vues ici ou là ; le gameplay lasse assez vite tant il s'enferme dans des conventions assez pauvres et répétitives ; si bien que le seul élément qui aurait pu faire la différence – et qui est vraiment un énorme point fort en première partie du jeu – se retrouve progressivement délaissé et lessivé par ces choix plus que discutables. Je veux parler de la narration.


C'est LA force du jeu, et cela dès le départ.

L'histoire et l'intrigue ont beau se révéler très rapidement convenues que, malgré ça, la manière qu'a Signalis de nous y conduire sait faire toute la différence.

Le jeu joue d'inserts visuels et sonores aussi cryptiques qu'inattendus. Soudain des cuts avec des écrans rouges, des visages en plans serrés, des achtung entendus à la radio. La mise en scène surprend souvent et instaure un inconfort et une immersion bienvenues. Et pour le coup, cette qualité se transpose également dans la manière dont le jeu alterne entre les différents modes de jeu. J'évoquais par exemple tout à l'heure quelques passages en point and clic à la Myst, eh bien ceux-ci savent eux aussi nous tomber dessus comme ça, au dépourvu, changeant brusquement notre angle de vue – au sens propre comme au figuré – sur cet endroit qu'on arpente. Alors certes, ça peut parfois totalement tomber à plat...

Moi je me souviens par exemple de ce passage qui survient en tout début de jeu, où on se retrouve en dehors du vaisseau, en plein blizzard. À ce moment-là, je n'avais pas encore pleinement identifié cette mécanique « vue subjective = point and clic ». J'ai cru à une nouvelle phase de jeu, inédite, nécessitant de se déplacer à la première personne au joystick. Problème : vu qu'à ce moment-là l'écran est saturé de blanc et de bourrasques pixelisées, je n'ai pas vu que je n'avançais pas. Je suis resté coincé comme ça pendant dix bonnes minutes, à me décaper les yeux, avant d'être contraint de mater un walktrough pour comprendre comment m'en sortir. Pour le coup, je n'en tiens pas trop rigueur au jeu, mais j'avoue que cet énorme loupé m'a quand même marqué.

Mais la plupart du temps, ces passages marchent forts, imposant des lieux, des mécaniques et des personnages de manière pour le moins marquante.

J'avoue que mes quelques gros coups de cœur à l'égard de ce jeu ont eu lieu lors de ces moments. La rencontre dans le train, la découverte de la radio dans cette tour enneigée ou même ces espèces d'internats géants se dégageant comme d'immenses barres soviétiques à travers les blancheurs interminables de Sierpisky, ce sont clairement des images qui me resteront.

C'est donc d'autant plus dommage, que ce travail narratif soit au final savaté par tous ces choix de game design qui ne sont clairement pas à la hauteur.


Parce que tout ce temps qu'on passe à aller chercher des clefs à droite et à gauche en traversant tout le temps les mêmes salles, systématiquement avec les mêmes précautions, au bout d'un moment, ça gave. Ça hache le rythme. Pire, ça nique l'effort narratif.

À quoi bon faire monter la sauce avec des cutscenes qui appellent à notre immersion et notre questionnement pour ensuite ne pas suivre le fil de cette même logique pour ce qui relève de la narration environnementale ? Dans une salle, je trouve une clef d'accès en plein cœur d'un four à haute pression... Mais qu'est-ce qu'elle fout là ? Pourquoi elle n'a pas fondu ? Et puis cette autre clef : qu'est-ce qu'elle fout dans la bouche de ventilation d'une chambre lambda ?

Alors OK – j'ai bien compris – tout ça fait très « Resident Evil PS1 » : la clef du feu dans le four ; la clef du vent dans la ventilation, etc. Mais par contre, dans la diégèse du jeu, je trouve cette logique totalement con. Même chose d'ailleurs pour cette idée qui consiste à bloquer une seule porte avec quatre clefs élémentaires soit dit en passant. Ça marche en tant que clin d'oeil, mais ça casse toute démarche de narration environnementale. Pour le coup, c'est vraiment un mauvais calcul, je trouve.


C'est dommage parce qu'au bout du compte, tout n'a tenu pour moi qu'à une question de dosage.

Globalement le principe et l'univers du jeu sont bien pensés : toutes les bonnes idées étaient là. Mais le problème c'est que ça s'étale trop en longueur pour ce que c'est, ou bien ça ne s'enrichit pas suffisamment pour que ça tienne la longueur.

En ce qui me concerne, ma partie m'a duré une bonne grosse douzaine d'heures, et j'ai clairement senti les premiers signes d'essoufflement arriver à la moitié de l'aventure. À ce moment-là, j'étais sur un rail et plus rien n'allait vraiment venir me surprendre. L'univers est devenu de plus en plus dark au fur et à mesure de ma descente, comme attendu. Les ennemis sont devenus un peu plus corsés à esquiver ou à abattre, comme attendu, quant aux munitions et autres soins, ils sont devenus eux aussi un peu plus difficiles à gérer, comme attendu.

Malgré tout rien d'insurmontable. Certes il y a bien çà et là quelques dysfonctionnements un peu rageants, comme l'oubli de traduction de certains éléments (la carte notamment) ; le fait que des éléments de soin ne te soignent parfois pas du tout ; ces portes qu'on ne voit pas toujours à cause d'éléments de décors, ou bien ces animations qui manquent (notamment de montée ou de descente d'échelle) et qui peuvent nuire de temps en temps à la lisibilité de l'action... mais néanmoins rien qui ne puisse écorner l'expérience. Comme dit plus haut, au final on reste dans cette espèce de zone d'inconfort qui permet de maintenir une tension jusqu'au bout.


Par contre, le problème, c'est que rien ne vient enrichir l'expérience sur le final, si bien que je suis sorti de ce Signalis avec une question toute con sur les bras. Parce que, soit, moi je suis ressorti de ce jeu là plutôt satisfait, émoustillé par le fait qu'on ait su jouer sur mes vieux affects, mais qu'en aurait-il été si je n'avais pas été le cœur de cible ? Qu'en aurait-il été si je n'avais pas ce bagage de joueur de cinquième génération de consoles ?

Alors c'est vrai, moi le premier, j'estime qu'il est toujours vain de réclamer d'une œuvre qu'elle puisse d'appréhender ex nihilo, en dehors de son époque, de l'histoire de son art et des grammaires qui ont pu s'imposer avant elle. Néanmoins je trouve que la question se pose vraiment pour ce Signalis.


Jouer de l'esprit rétro, moi je dis oui. Je signe des deux mains. Mais cacher ses insuffisances – voire ses facilités – derrière ce même esprit rétro, de ça je suis moins fan.

Celeste et Cuphead auraient-ils autant séduit, quelle que soit la génération de joueurs, si leur gameplay n'avait pas été aussi réglé au cordeau et ajusté aux exigences de l'époque ? Même chose pour d'autres jeux qui ont su remettre au goût du jour de vieilles formules comme ont pu le faire des Hollow Knight ou des Hades : aurait-ce été possible de remettre au goût du jour ces genres aussi anciens que le metroidvania ou le rogue-lite si ces jeux-là n'avaient pas fait l'effort d'en repenser leur densité et leur dynamique en fonction des exigences d'aujourd'hui ? Perso, je ne pense pas.

Au bout du compte, Signalis n'a pas eu le succès d'un Celeste, Hollow Knight et autre Hades, et je ne pense pas que ce soit un hasard. En jouant le recours un peu trop facile à la nostalgie, mais sans pousser suffisamment son travail de réadaptation à son temps, le studio Rose-Engine a mécaniquement réduit l'éventail du public à qui leur jeu pourrait parler. Et au bout du compte c'est dommage parce que je trouve que peu de gens s'y retrouvent. D'une part le studio ne connaît pas le succès qu'il aurait pu connaître (car Signalis est loin d'être dépourvu de qualité). De l'autre côté, beaucoup de joueurs vont ressortir frustrés d'un titre soit trop rigide, soit trop limité, soit trop pauvre.

Comme quoi les clins d'œil ont du bon, à condition qu'ils amènent à nous faire regarder vers l'avant.

Or, là, à nous resservir un Resident Evil un peu trop évident,

Signalis ne parvient à transformer l'essai pleinement.

En espérant que les gars de chez Rose-engine saura tirer les leçons de cette première ébauche pour l'avenir, car ils n'étaient vraiment pas loin de nous sortir un jeu riche de frissons et de plaisir.

Créée

le 21 févr. 2025

Critique lue 41 fois

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