Arrivé à un certain point, ça devient quand-même dur d’être original, quand on y pense…
Voilà un peu plus de dix ans que la scène indépendante est en train de bouleverser le monde du jeu vidéo – plus de dix ans qu’on se mange des claques d’innovation, d’intelligence et d’élargissement du champ des possibles – à tel point qu’il devient de plus en plus difficile de s’imaginer qu’on puisse repousser encore davantage les horizons.
Peut-être même sommes-nous parvenus à une époque où il n’existe plus vraiment de nouveaux concepts à explorer ; qu’on a fait le tour…
C’est en tout cas ce que je me suis dit en jouant à ce Superliminal…
…Du moins au début.
Parce qu’en effet, découvrir Superliminal c’est découvrir un jeu original mais qu’on a forcément déjà un peu joué.
Voilà qu’on nous bombarde simple patient d’une entreprise de thérapie par les rêves. Et on nous annonce que chaque stage sera à percevoir comme un songe jouant avec le réel, la logique et les perceptions, dans le but de nous « soigner ».
Vaste programme…
Alors certes, sur le papier c’est original, mais sitôt avance-t-on un peu que tout ça parait bien familier.
Les salles d’expérimentation, la voix-off automatisée qui nous briefe sur les épreuves, l’enchainement des puzzles pour passer d’une phase d’apprentissage à une véritable phase d’épreuve : tout ça rappelle Portal. Et pas qu’un peu.
Idem, sitôt le jeu commence-t-il à nous offrir des chemins alternatifs dont il dit pourtant qu’il ne faut pas les suivre ; sitôt rentre-t-il dans une narration perturbante pour notre logique et adaptée à notre cheminement qu’il nous fait clairement nager au sein de Stanley Parable.
Rajoutons à cela un petit peu de The Witness pour cette manière dont le jeu s’amuse parfois à disséminer des solutions dans le décor et on se rendra vite compte qu’avec Superliminal on navigue quand-même grandement en terra ultra cognita.
Ainsi – je le confesse – durant ma première session de jeu (environ une grosse heure), le titre du studio Pillow Castle ne m’a que moyennement convaincu.
Certes les jeux de perspectives étaient malins. Certes la mise en scène de l’univers était efficace (n’étant pas d’ailleurs sans rappeler Paprika, un film dans lequel on soigne aussi par les rêves). Et certes, quelques effets censés générer de l’étonnement fonctionnaient comme il se devait.
C’était un titre plein de bonnes intentions, mais un titre qui n’était pas sans échouer sur des points pourtant essentiels à mes yeux.
D’une part j’ai eu du mal à pleinement adhérer au scénario du jeu, qui faisait plus justification pour des puzzles plutôt que véritable démarche discursive et environnementale.
Et puis d’autre part le jeu a eu du mal à me convaincre sur l’efficacité et la pertinence de ses mécaniques.
Lors de cette première session, il m’a fallu consulter deux fois une soluce, et malheureusement pour les mauvaises raisons.
La première fois c’était lorsqu’il fallait faire passer le dé au-dessus de la paroi. J’avais trouvé l’idée, j’avais expérimenté la chose plusieurs fois, mais sans succès, du coup j’étais passé à autre chose. Si j’ai échoué, ce n’est donc pas parce que je n’avais pas résolu l’énigme, mais juste parce que la mécanique de gestion des perspectives fonctionnait d’une manière dont je n’avais pas encore pleinement intégré la pleine logique ; logique que j’ai trouvé vraiment discutable.
La seconde fois, c’était avec cette histoire de lune à choper dans le ciel. Là encore, j’avais l’idée, mais parce que le jeu estimait que je n’étais pas à la bonne distance et suffisamment bien cadré par rapport à l’ouverture opérée dans la verrière au plafond qu’il n’a pas fait apparaitre l’icône « main » pour que je puisse saisir. Là encore, je me suis donc retrouvé à chercher en vain une autre solution alors que j’avais saisi la bonne quasiment depuis le début.
Et je tiens d’ailleurs à préciser que, dans les faits, il est arrivé quelques fois aussi où la solution m’est apparue un peu par hasard – pour ne pas dire par chance – comme c’est le cas au moment où il fallait utiliser le panneau sortie pour dézinguer les cloisons mal fixées.
Et pour être vraiment honnête, ce manque de conviction et d’entrain, il m’a quand même pourchassé sur l’ensemble des deux premiers tiers de ma partie, ce qui n’est quand même pas rien.
Il était donc malin et sympa ce jeu, certes…
Mais parfois malin-et-demi, voire sympa-et-demi.
Et pourtant…
Et pourtant – comme vous pouvez le constater avec ma note de 8/10 – je n’ai pas manqué d’être généreux avec ce Superliminal.
Or, celles et ceux qui me connaissent savent à quel point ce n’est pas trop mon genre de me lâcher à ce point, surtout quand les deux premiers tiers me sont apparus comme simplement convenables et régulièrement perfectibles.
Seulement voilà, ce dernier tiers, me concernant, il a vraiment tout emballé.
Ce dernier tiers, c’est celui qui justifie tout. C’est celui qui excuse tout.
Parce qu’il y a dans ce dernier tiers une vraie montée paroxysmique de la partie qui change la donne.
Les épreuves gagnent en rythme, en malice et surtout en effet d’immersion.
Oui, là, j’ai senti le rêve !
Là j’étais dans Paprika !
Là j’ai senti mon rapport à la perception changer.
Mais la vraie force de ce dernier tiers c’est surtout son sens de la narration.
Narration par le fait d’imposer son tempo de jeu, par le fait de surprendre, par le fait de percuter le joueur.
J’ai trouvé cet élan vraiment très efficace, appuyé par une musique du meilleur aloi et surtout par des idées de mise-en-scène et de conception environnementale absolument brillantes
Mon préféré reste encore ce moment où on enchaine les salles qui se réduisent à des figures épurées à l’extrême, ne se limitant qu’à de simples oppositions géométriques blanches et noires, et parmi lesquelles – soudain – apparait la figure d’un escalier blanc sur fond noir avec le panneau « sortie ».
On approche. On découvre que l’escalier n’a pas de relief. Il n’est qu’un motif. Mais sitot le colle-t-on de trop près qu’on se rend compte qu’on peut le traverser. Et l’escalier se trouve de l’autre côté, en négatif.
J’ADORE ce genre d’idée.
Ça marche sur tous les aspects : à la fois esthétiquement, symboliquement et surtout significativement.
C’est bien simple, à ce moment-là, j’ai eu l’impression de revivre l’échappée de Truman dans le Truman’s Show de Peter Weir… Une sensation qui ressurgira sur le parking nocturne.
Un délice.
…
Et c’est donc sur ce dernier tiers là que, selon moi, Superliminal est parvenu à réussir ce que j’attendais le plus de lui : repousser à nouveau le champ des possibles ; offrir une véritable nouvelle expérience de jeu.
Et même si au fond tout ce propos autour de la perception était déjà un élément intégrant de The Witness, je trouve que sur une expérience de jeu bien plus courte Superliminal parvient à offrir une déclinaison singulièrement différente et que je jugerais presque davantage efficace.
Donc oui, c’est dur après plus de dix ans de productions indés d’être encore original…
…Mais c’est justement pour ça qu’il est indispensable de se ruer sur les jeux qui, aujourd’hui, parviennent encore à l’être.