Cinéphilie obsessionnelle — 2024
Longs métrages uniquement.
↑↑ "Notre corps", de Claire Simon (2023) ↑↑
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Mois après mois, pour le meilleur et pour le pire des découvertes :
Janvier (1→82)
744 films
créée il y a 11 mois · modifiée il y a environ 3 heuresLe Bras armé de la Loi (1984)
Saang gong kei bing
1 h 41 min. Sortie : 11 juillet 1984 (Hong Kong). Policier, Drame
Film de Johnny Mak
Morrinson a mis 5/10 et a écrit une critique.
Annotation :
►Janvier◄
Chaînon intéressant du cinéma action/policier HK, qui chez moi fait le lien entre les deux bouts des années 80, avec d'un côté "L'Enfer des armes" de Tsui Hark (1980) et de l'autre "Le Syndicat du crime" de John Woo (1986). Il y a des marques d'exagération typiques, pas de doute sur l'origine du film, mais sans sombrer dans les excès qui deviendront très désagréables par la suite. Et il y a en outre une touche d'originalité notable à travers l'histoire de ce gang chinois franchissant la frontière avec Hong Kong pour y entrer clandestinement et commettre divers coups, dans le but d'amasser de grandes quantités d'oseille et vivre leurs vieux jours riches de retour chez eux. Cette mission illustre une aspiration à une meilleure vie, avec des rêves d'argent facile que la vie hongkongaise fait miroiter comme un miroir aux alouettes, que je n'avais jamais vu auparavant.
En 1984 le polar made in HK n'est pas encore à son apogée, et Johnny Mak investit un registre sans cette composante spectaculaire (et excessive, à mon sens), loin de la grandiloquence et de la tonalité mélodramatique qu'on connaît si bien. Ici les protagonistes n'ont vraiment pas grand-chose qui tiendrait du héros, ils sont d'ailleurs interprétés par des acteurs non-professionnels il me semble, parfaits pour incarner cette frange de la population chinoise qui n'a plus rien à perdre en marge de l'expansion économique hongkongaise. De manière presque évidente, pourrait-on dire, les plans des criminels rêveurs ne se passeront pas comme prévu, et la Citadelle de Kowloon (une enclave chinoise, jusqu'à sa démolition au début des années 1990, avec une densité de population phénoménale, 1,9 millions hab./km² en 1987) offre un décor labyrinthique incroyable pour la séquence finale avec, entre autres, une grosse fusillade entre le gang et la police. Ambiance très surprenante en ces lieux qui laisse penser que beaucoup d'autres films auraient pu exploiter cet environnement si particulier et aujourd'hui disparu.
Il y a pas mal de détails qui clochent malgré tout, les histoires de trahison à répétition notamment, même si Mak ne s’en sort pas trop mal avec les écueils habituels du genre, mais ils sont contrebalancés par le vie empreinte de réalisme construite autour des personnages, quelques particularités (les vigiles indiens, la visite dans un bordel, les salles d'arcade glauques) et quelques scènes efficaces — l'assassinat du flic à la patinoire par exemple.
Fair Game (1986)
1 h 30 min. Sortie : 24 juillet 1986 (Australie). Action, Épouvante-Horreur, Thriller
Film de Mario Andreacchio
Morrinson a mis 2/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Cette concentration en bourrin de série B aurait presque ses côtés (involontairement, bien sûr) drôles, pas de doute, on est bien dans ce que la ozploitation a pu produire de plus dégénéré. À noter cependant que cette frange du cinéma 80s aura des répercussions sur le reste de l'histoire, avec jusqu'à récemment un film qui semble tout particulièrement calqué sur celui-ci, "Revenge" de Coralie Fargeat. On reconnaît dans Fair Game ce qui a tant plus à Tarantino (qui en parle avec beaucoup d'enthousiasme dans le docu "Not Quite Hollywood") et qu'il a pillé, comme à son habitude, pour le retranscrire dans "Death Proof" : la fameuse séquence où une femme est attachée à l'avant d'une voiture lancée à balle, qui ici est un substitut de la partie "rape" du rape & revenge.
Toujours aussi étonnant de voir juxtaposés des éléments aussi dissemblables. Il y a tout le contenu, vulgaire et débile au dernier degré, avec des caricatures ambulantes pour personnages secondaires, et puis il y a ce cadre exquis de l'outback australien, ces terres rougeoyantes et ce forêts denses. Je ne connais pas ou très peu d'associations semblables ailleurs dans le cinéma. La caractérisation des inimitiés entre la jeune femme et les trois chasseurs de kangourous est vraiment pathétique, du grand n'importe quoi dans le registre "plus c'est gros et con, plus ça passe", même si le contraste entre la gentille femme qui s'occupe d'une réserve naturelle et les trois attardés qui déciment la faune locale n'est pas dénué d'intérêt. D'autant plus troublant que l'héroïne, interprétée par Cassandra Delaney, a des faux airs de Sarah Connor aka Linda Hamilton dans Terminator.
Mais il y a beaucoup trop de choses impossibles à supporter. Ces nappes de synthé hideuses dégueulent sur presque tout le film là où elles sont censées rendre plus angoissantes les séquences de chasse à l'homme, une vraie abomination dont on ne sort pas indemne. Dommage, donc, que l'écriture (personnages et intrigue) n'ait pas bénéficié d'un meilleur talent car il y avait beaucoup d'ingrédients intéressants (à commencer par cet iconique 4x4 rouge avec son énorme pare-chocs en alu) pour faire un thriller horrifique d'un autre niveau. En l'état, on est plus proche de "Razorback" que de "Wake in Fright"...
Simple comme Sylvain (2023)
1 h 51 min. Sortie : 8 novembre 2023 (France). Comédie dramatique, Romance
Film de Monia Chokri
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Un film de Monia Chokri est extrêmement décevant, et ce d'autant plus qu'ayant vu récemment "La Femme de mon frère", la différence qualitative saute aux yeux et se fait très accablante. Il n'y a vraiment que quelques points de détails, la langue québécoise et deux-trois scènes réussies, pour m'empêcher de le saquer outre-mesure. J'ai en tout état de cause énormément de mal à ne pas voir "Simple comme Sylvain" comme un remake à peine moins bourrin et stupide de "Pas son genre", la comédie romantique de Lucas Belvaux (2014) dans laquelle Loïc Corbery le prof de philo tombait amoureux de Émilie Dequenne la coiffeuse —Dequenne qui d'ailleurs ressemble étonnamment à l'actrice principale, Magalie Lépine-Blondeau, la boucle étant ainsi bouclée.
Chokri empile une quantité de stéréotypes proprement hallucinante, sans nuance, sans subtilité. Ce genre d'excès et de traits grossis est un procédé classique dans le registre de la comédie mais il est ici mobilisé avec une telle absence de finesse que ça en devient surprenant de sa part. Tout transpire le cliché, ça en devient très vite indigeste : l'environnement de la protagoniste prof de philo à Montréal en couple bien homogame, baignant dans un milieu intellectuel comme le film pourra nous le matraquer du début à la fin à travers les amis, la famille, les discussions, les goûts, etc. et celui du gars qu'elle rencontre à sa maison de campagne, un charpenter viril issu d'une famille de prolo qui aime les tatouages et la muscu, raciste sur les bord, et profondément déficient en culture. On peut laisser deviner qui des deux baise bien et qui baise mal.
Même le coup de foudre est filmé sans intérêt, le film s'enfermant dans des schémas archi convenus une fois les premiers rapports esquissés. On sent poindre l'autocritique à la Woody Allen du milieu intellectuel avec une naïveté et un manque de recul que je ne m'explique toujours pas (je crois que le mépris de classe n'est pas loin), qui semble beaucoup s'amuser de confusions entre Rimbaud et Michel Sardou. Chokri adopte une vision par le prisme des différences de capital culturel qui s'intensifie sur la fin et vire vraiment au massacre scénaristique.
Leave No Trace (2018)
1 h 49 min. Sortie : 19 septembre 2018 (France). Drame
Film de Debra Granik
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
"Leave No Trace" a l'avantage, sur une thématique balayée maintes fois par le cinéma américain, de se faire plus humble et mesuré sur la marginalité en forêt que le film qui avait marqué les esprits en 2016, "Captain Fantastic", avec son petit côté moralisant désagréable. Debra Granik dépeint la relation entre un homme et sa fille, clandestins des bois, et c'est ce moteur-là qui permet au film de s'élever, grâce à Thomasin McKenzie et Ben Foster relativement à l'aise dans leurs rôles. On peut regretter, dans les différents temps du récit (vie sereine dans les bois / retour contraint à la société / fuite / nouvelle communauté), pas mal de considérations esthétiques tape-à-l'œil du genre de l'escargot filmé en contre-plongée et à contre-jour, par exemple. Mais ça ne nuit pas de manière fatale à l'atmosphère qui se dégage de cette relation, dans ces conditions : la réalisatrice parvient à trouver un équilibre pour ne pas en faire trop en matière de détails survivalistes tout en montrant les conditions de l'exercice de cette vie particulière.
Granik réussit aussi à rendre compte de cette famille fortement atypique dans sa composante fusionnelle, avec une sincérité et une simplicité évidentes, qui sautent aux yeux du spectateur, tout en maintenant un niveau d'interrogation satisfaisant chez les différentes personnages secondaires qui sont amenés à se demander si la nature de cette relation père-fille ne pose pas problème. Il y a malgré tout le côté programmatique du scénario, car on n'y croit jamais à l'intégration de ces deux extraterrestres, avec scolarité pour l'une et travail pour l'autre. Cette incompatibilité constitutive est montrée avec peu de nuance, de la même manière que la métaphore des abeilles sera usée lourdement pour signifier qu'on peut ne pas recevoir d'agression en retour si on accepte et respecte l'autre. L'ombre pesante du père devient peu à peu l'objet principal, et la fille de s'en libérer, jusqu'au final qui semble quand même étrange — toute la délicatesse du film ne laissait pas penser le père capable de se séparer de ce qu'il considérait comme le centre du monde. Intéressant, mais un peu trop imparfait aux endroits importants.
Perfect Days (2023)
2 h 03 min. Sortie : 29 novembre 2023 (France). Drame
Film de Wim Wenders
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Pris en tenailles entre la surprise de voir Wenders sortir de la léthargie qui semblait l'étreindre depuis peut-être vingt ans et la vague de mièvrerie qui menace de faire sauter la digue du bon goût pendant les deux heures que dure "Perfect Days", j'aurais presque envie d'opter pour le nul, l'ex aequo, le ne se prononce pas. J'ai envie d'apprécier la réussite de l'interprétation de Kôji Yakusho dans un rôle quasiment mutique, de me laisser aller sur les flots de la contemplation un peu trop ostentatoire, mais il n'y a rien à faire, il y a toujours un petit truc qui dérange périodiquement, comme un caillou dans la chaussure impossible à retirer.
Le plus évident, mais sans doute pas le plus préjudiciable, c'est cette façon d'utiliser la musique chez Wenders, qui ne date certes pas d'hier, mais qui reste toujours aussi agaçante. Une fois, pourquoi pas, mais l'insérer aussi artificiellement dans le récit à 10 reprises, comme un catalogue de morceaux-étendards qui se contente de citer des classiques, c'est vraiment trop. The Animals, Patty Smith, The Velvet Underground, Otis Redding, The Kinks, Van Morrison, Lou Reed, Nina Simone... C'est un peu abusé. Il y a juste un morceau de Sachiko Kanenobu au milieu pour détonner.
Après on peut savoir gré à Wenders d'avoir su aller au-delà de la commande de l'office de tourisme de Tokyo, et d'avoir cousu une histoire autour de la promotion de ces toilettes publiques designées par des artistes internationaux. On peut aussi rire dans le cliché de l'homme urbain japonais parfaitement propre, étant donnée la propreté des toilettes que le protagoniste Hirayama (coucou Ozu) récure avec opiniâtreté pendant tout le film. Il y a aussi quelque chose d'agaçant dans le portrait formulé de cet homme qui s'épanouit totalement dans sa vie, avec son boulot objectivement de merde — avec un peu d'organisation et d'abnégation, tout passe facilement, c'est un peu l'employé modèle du point de vue patronal. Mais on peut aussi considérer que Wenders s'intéresse en premier lieu à une routine, avec ses passions (lecture, musique, photo) gérées de manière aussi métronomique que le reste. Il insiste beaucoup sur son côté bloqué dans le passé, avec son attirail analogique (appareil photo argentique, cassette audio, et j'aurais envie de dire livres en papier), mais au final ce ne sera pas un motif d'opposition avec la nouvelle génération, bien au contraire, ce sera davantage un lien.
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_2023/3416005
Crin blanc (1953)
47 min. Sortie : 13 décembre 1953 (France). Drame
Moyen-métrage de Albert Lamorisse
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Un long-métrage relativement court d’Albert Lamorisse qui apparaît comme l'œuvre duale du court-métrage qu'il réalisera quelques années plus tard, "Le Ballon rouge". "Crin Blanc" adopte de la même manière le format du conte pour enfant, avec en accompagnement les commentaires très didactiques du narrateur pour aiguiller et souligner ce que les images disent déjà très explicitement de la relation entre un enfant et un cheval de Camargue. Une histoire d'amitié avant tout, racontée pour l'œil adulte principalement par la photographie presque irréprochable d’Edmond Séchan, dans un noir et blanc percutant. Le ton du film invite à observer paisiblement les paysages tout en observant une crainte latente vis-à-vis de la nature que les hommes cherchent, inlassablement, à dompter. Un récit d'émancipation également pour l'enfant et l'étalon, les deux fuyant en quelque sorte la même menace, l'homme adulte et sa volonté d'asservir son environnement. Le cheval sauvage résistera aux tentatives de domptage, s'échappera de l'enclos, et acceptera l'amitié proposée par l'enfant Folco, avant que les deux ne prennent la mer pour fuir le feu sur la terre. La fin est à ce titre assez déstabilisante, là où la voix off explique à un jeune public que les deux vont trouver un endroit où l'on accepte leur amitié, il est quand même tentant d'y voir une fuite vers leur mort teintée d'une dimension suicidaire à peine voilée.
Siberia (2020)
1 h 32 min. Sortie : 2 juillet 2020 (Italie). Drame, Expérimental
Film de Abel Ferrara
Morrinson a mis 3/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Abel Ferrara a toujours eu une certaine inclination pour l'excès, pour le mauvais goût et pour les grosses conneries imbitables : "Nine lives of a wet pussy" et "Bad Lieutenant" peuvent en témoigner, pour couvrir un spectre qualitatif très large. Ces dernières années il s'est paumé dans des projets bizarres, illustrations probables de lubies personnelles qui n'intéressent pas grand monde à part lui, la vie d'un projectionniste de Manhattan (The Projectionist), la vie d'un prêtre catholique (Searching for Padre Pio), et bien d'autres choses qui garnissent l'arrière-plan documentaire d'une toile qui n'avait pas encore été commencée dans sa filmographie. Willem Dafoe, toujours fidèle de Ferrara, sur le pont encore une fois, est de tous les plans de "Siberia" ou presque mais on ne peut pas dire qu'il parvienne à faire grand-chose dans ce sac de nœuds psychanalytiques et métaphysiques qu'on ne nous donne jamais vraiment envie de démêler.
En fait c'est ça, "Siberia" : une série ininterrompue de figures mentales représentées in extenso, dont le sens cryptique ne sera jamais précisé mais dont on devine les contours — sans aucune forme d'intérêt, à titre personnel. Histoire de resserrer encore un peu plus la veine autobiographique, il implique dans son projet sa femme Cristina Chiriac et sa fille Anna pour matérialiser deux des quelques personnages qui bordent ce voyage désagréable dans une forme un peu hystérique et un peu horrifique de subconscient. C'est une des choses sûres en tous cas : Ferrara est parvenu à créer des vignettes (alignées de manière vraiment gratuite et non-constructive, sans liant entre elles) marquantes, avec des ambiances très particulières qui pourraient être utiles et efficaces si elles s'inscrivaient dans un objectif un peu plus structuré pour leur donner du sens global. On passe d'une bizarrerie à l'autre, Ferrara nous montre ses images mentales sans conviction, et le tunnel est bien long jusqu'à la sortie. Alors c'est sûr, les décors enneigés avec son filtre vert dégueulasse, ça marque, tout comme la femme enceinte dont Dafoe embrasse le nombril ou quelques microcosmes travaillés en lumière et en couleur (la grotte inondée rougeoyante). Mais bon, Ferrara a sans doute un peu trop abusé sur son dernier fix (il devait y avoir des pages de Freud et Jung dedans) et s'est trop reposé sur le symbolisme. Tout surgit brusquement, avec un montage abrupt et fatigant, sans cohésion d'ensemble. À la limite, un film intéressant pour son psychiatre.
Faits divers (1983)
1 h 48 min. Sortie : 1 juin 1983.
Documentaire de Raymond Depardon
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Vertu étonnante de parcourir la filmographie essentiellement (mais pas uniquement) documentaire de Raymond Depardon des années 1980 à 2000 en même temps que celle de Frederick Wiseman : des passerelles assez nettes se dessinent entre les deux corpus, comme si le photographe rhodanien avait été influencé par le style très caractéristique du documentariste de Boston. Si le style caméra à l'épaule domine tout "Faits divers" en lui conférant une dynamique particulière (pour le dire rapidement, il n'arrête pas de courir derrière les gendarmes du cinquième arrondissement pour suivre leurs occupations quotidiennes), l'éloignant de la méthode beaucoup plus posée de Wiseman toutes époques confondues, cette captation du réel au plus près de l'action et totalement dénuée de commentaires, autant que les thématiques investies, rend le parallèle presque inévitable. Ou alors je fais une grosse fixette sur Wiseman en ce moment, ce qui est tout à fait probable.
Chose marquante, et qu'on pourrait presque qualifier de drôle si le sujet n'était pas désespérément tragique, regarder "Faits divers" donne un peu l'impression de retourner aux sources de deux autres de ses documentaires, "Urgences" (1988) et "10e chambre, instants d'audience" (2004). Comme si les gardiens de la paix parisiens que l'on suit ici étaient ceux qui présentaient les différentes personnes, victimes ou coupables, aux institutions étudiées dans les deux autres films. Mais non, on est à l'été 1982 et on sillonne la capitale aux côtés d'un petit groupe de gendarmes et on navigue dans les quartiers avec eux dans leur fourgonnette.
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1983/373467
Baïonnette au canon (1951)
Fixed Bayonets!
1 h 32 min. Sortie : 19 novembre 1952 (France). Guerre
Film de Samuel Fuller
Morrinson a mis 5/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Quand j'avais découvert "J'ai vécu l'enfer de Corée" (The Steel Helmet), la comparaison avec "Côte 465" (Men in War) réalisé quelques années plus tard par Anthony Mann m'avait sauté aux yeux : même sujet, la guerre de Corée sous l'angle des difficultés du camp américain, même budget limité, même approche sous la forme d'un exercice de style (qui s'est sans doute imposé naturellement étant donnée la limitation des moyens). Mais en réalité il y avait encore plus proche : même sujet, même budget, même approche... et même réalisateur, ainsi que même année, et même acteur principal, puisque Samuel Fuller réalisait également en 1951 "Fixed Bayonets!" mettant en scène Gene Evans. Drôle de cumul de points communs, alors que le résultat est sensiblement différent.
Retour sur le front coréen, alors que la guerre est encore active à l'époque, pour examiner une autre dimension (un peu moins sordide, même si on ne peut pas dire que la joie soit franchement au rendez-vous). Un immense régiment américain comptant 15000 hommes doit fuir face à la domination des troupes communistes dans la région. Pour éviter que la retraite soit trop ostensible, ce qui laisserait à l'ennemi le moyen de leur infliger de lourdes pertes, une petite escouade d'une cinquantaine d'hommes est formée pour simuler une présence stable dans un lieu stratégique et permettre au restant de la troupe d'évacuer les lieux. Pas de bol pour ces hommes, même si le calcul est vite vu d'un point de vue purement comptable : il va falloir résister le plus longtemps possible dans le froid, dans les montagnes.
Le choix des conditions hivernales est intéressant car il permet de dresser un contexte peu fréquent, mais il se heurte malgré tout très vite aux problèmes de moyens — tout est bien sûr tourné en studio et on ne peut pas dire qu'une fortune ait été dépensé dans les décors... C'est rachitique, à tel point que même la neige ressemble à du sable blanc (l'avantage de la pellicule noir et blanc), ça en est même probablement. …
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1951/374197
L'Hypothèse du tableau volé (1978)
1 h 03 min. Sortie : 4 avril 1979. Drame
Film de Raoul Ruiz
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Projet farfelu s'il en est, Raoul Ruiz nous invite dans une sorte d'expérience de pensée cinématographique, un exercice de style loufoque mais sérieux, qui consiste à écouter un prétendu collectionneur un poil excentrique disserter sur une série d'œuvres d'un peintre qui aurait existé au XIXe siècle. Un certain Frédéric Tonnerre, qui serait tombé dans l'oubli, mais dont le personnage possède six toiles et au sujet duquel il s'interroge sur la possibilité d'un tableau manquant, au terme d'une longue exploration très singulière de ses peintures. Le format pose les conditions d'apparition d'un mystère agrémenté d'un scandale, qui expliquerait l'oubli dans lequel le peintre est tombé : pour se lancer dans un décryptage méthodique des œuvres, il se glisse à l'intérieur de ces dernières au travers d'une mise en scène sur mesure de chacune d'entre elles, à l'aide de figurants, de costumes et d'accessoires, comme si de rien n'était. La vie insufflée à ces tableaux est un non-événement pour lui tandis que pour nous, spectateurs, c'est une immersion dans toutes les dimensions cachées derrière les peintures.
Autant dire que le parti pris est très fort, à plus d'un titre : construction d'un mythe autour de faux tableaux et d'un faux artiste, élaboration d'un mystère à travers les connexions multiples entre les œuvres, et reconstitution en trois dimensions des scènes en question. Malgré les discours éminemment intellectuels et raffinés, l'exercice se veut divertissant avant tout, un peu comme si on lisait un romain à la "Da Vinci Code" j'imagine — pour rester sur le thème de l'art et des complots cachés. Personnellement je trouve cette succession de ramifications et cette abondance de symbole vite limitée et poussive, avec un trop-plein de références hétérogènes et d'allusions obscures. L'enchâssement des énigmes et des coïncidences ne s'accommode pas très bien du registre fictionnel, et j'aurais préféré voir éclore cette méditation archi-littéraire dans un cadre plus documentaire, ou du moins sur la base de toiles existantes. Très curieux sur le plan de la narration et de l'esthétique, mais globalement peu convaincant sur le thème du non-dit et de l'implicite.
Les Yeux de feu (1983)
Eyes of Fire
1 h 25 min. Sortie : 1983 (France). Épouvante-Horreur, Western
Film de Avery Crounse
Morrinson a mis 4/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Avery Crounse n'aura pas été l'homme de beaucoup de films, mais il est à peu près sûr qu'il avait quelque chose de radicalement "différent" à proposer au cinéma. "Eyes of Fire" n'est pas avare en maladresses et en ratages, pour beaucoup en lien avec des moyens de production limités (on peut l'imaginer en tous cas), et pourtant il parvient à maintenir une sensation d'intérêt permanent du début à la fin de son histoire, aussi bizarre, bariolée, obscure, et saugrenue qu'elle soit. Il investit totalement le registre de la folk horror au travers de son cadre, le milieu du XVIIe siècle sur le continent nord-américain, à l'époque de la colonisation de ces régions par les Européens, avant que la déclaration d'Indépendance des États-Unis ne soit proclamée. Un groupe de pionniers réunis autour de leur révérend est chassé de son village pour des raisons morales (on accuse le révérend d'adultère) et part explorer les forêts inhospitalières des environs dans l'espoir d'y établir une nouvelle colonie. Et ce sera le début des ennuis sérieux.
Sur ces territoires inexplorés, le groupe sera confrontés à des dangers de plus en plus importants et mystiques, d'abord à cause de la perturbation occasionnée sur les peuples Shawnees (indiens Chaouanons en français) qui montreront en réponse une hostilité variable, pour embrayer ensuite sur quelque chose de beaucoup moins tangible évoquant des puissances surnaturelles. Ils étaient pourtant prévenus, on leur avait fortement déconseillé de s'installer dans cette forêt que même les Indiens craignaient... Ils découvriront malgré eux l'ampleur de la malédiction qui hante cette terre isolée, avec de sombres histoires d'Amérindiens morts depuis bien longtemps.
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1983/373467
Le Cercle des neiges (2023)
La sociedad de la nieve
2 h 23 min. Sortie : 4 janvier 2024 (France). Drame, Historique
Film de J. A. Bayona
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Tout le monde ou presque aujourd'hui a déjà entendu parler de l'histoire tragique et sordide du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 qui avait a son bord une équipe de rugby uruguayenne en direction du Chili et qui s'est écrasé quelque part dans la Cordillère de Andes le 13 octobre 1972. Sur les 45 passagers, 17 meurent lors de l'écrasement, 12 autres dans les deux mois suivants (dont 8 dans une avalanche, vraiment pas de pot, le sort s'acharne), ce qui laisse 16 survivants. Juan Antonio Bayona, pas le plus finaud des réalisateurs ("L'Orphelinat", "The Impossible, "Jurassic World: Fallen Kingdom", rien que ça), s'attèle à son tour à la reconstitution du drame.
Sans surprise en ce qui me concerne, on n'a pas droit à un monument de sobriété, en revanche on peut être étonné par le minimum de tenue et de retenue dont fait preuve Bayona dans pas mal de séquences. En découpant les différentes étapes, on pourrait identifier : l'introduction présentant à très gros traits insignifiants l'équipe de rugby, le voyage et l'accident plutôt bien mis en scène, la situation de survie à 3600 mètres d'altitude avec ses bons et ses mauvais points, pour enfin terminer sur la mission de sauvetage qui est vite expédiée.
Bayona se gave en voix off et en musique mélancolique, on le surprend en flagrant délit d'excès d'utilisation à de trop nombreuses reprises pour que "La Sociedad de la Nieve" apparaisse comme honnête. La distance qu'il impose à la thématique du cannibalisme est un peu étrange, respectueuse en un sens, mais à mon sens passant à côté d'un sujet en or. Il s'est laissé emporter par la dimension religieuse et cathartique de l'expérience, ce qui donne beaucoup d'impasses spirituelles très embarrassantes. Le quotidien de la survie des 29 rescapés initiaux est pas mal pendant un certain temps, coincés dans cet environnement hostile, mais il avait beaucoup de marge pour rendre cette survie extrême plus intense — ce qui ne veut pas dire bourrin, car ça, Bayona, il l'est dans toutes les directions, l'émotion, la tragédie, la fraternité, etc. De son excessive longueur, le film n'en tire pas grand-chose et rate pas mal de péripéties pourtant importantes, à commencer par le voyage des deux à la recherche des secours, plié en 3 plans. On peut le féliciter de ne pas avoir versé dans le sensationnalisme le plus cru, mais ce n'était qu'une condition nécessaire et pas suffisante : il reste de bien trop gros morceaux d'académisme et de poncifs hollywoodiens dans la sauce.
Le Gang des Bois du Temple (2022)
1 h 53 min. Sortie : 6 septembre 2023. Policier, Drame
Film de Rabah Ameur-Zaimeche
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Rabah Ameur-Zaimeche déploie son film sur un canevas de film policier français / de cité parisienne (alors qu'il a tourné à Bordeaux et à Marseille) très classique : une bande de potes, l'organisation d'un braquage dans un cercle de gangsters de cité, retour de bâton après l'opération pourtant réussie, etc. Sur la base de ces éléments, une fois qu'ils sont établis, "Le Gang des Bois du Temple" pourrait ressembler à une myriade d'autres films du genre — et de fait, dans une certaine mesure, on n'évolue pas en territoire totalement inconnu. Mais il y a quand même une particularité nette qui fait de cette expérimentation quelque chose de différent, et cela a trait à la façon de dérouler le fil narratif et de composer des moments de vie.
En fait, ce qui est le plus réussi dans ce film, c'est la capacité de la mise en scène à brouiller les pistes et à nous laisser dubitatif vis-à-vis de ce que l'on regarde. C'est valable autant à l'échelle globale (est-ce un drame de banlieue, un polar urbain, un film de braquage ?) qu'à l'échelle de quelques temps particuliers (notamment pour deux cas de figure : la mort de la mère de Monsieur Pons et le début de l'opération de braquage, pour lesquels on met un certain à comprendre de quoi il s'agit). Cette sensation a priori inconfortable de ne pas savoir où l'on est ni où l'on va se transforme très vite en une sensation agréable de dépaysement.
Je reste plus timoré que la moyenne (pour changer) quant à l'enthousiasme de l'ensemble, qui reste bien ficelé et original mais quand même pas tout à fait iconoclaste et par endroits faiblement interprété (les nouvelles têtes sont appréciables). On gardera en mémoire deux moments vraiment étonnants quand même : la scène à l'église, avec une focalisation sur certains détails et objets tenus par le prêtre autour du cercueil ainsi qu'un chant très émouvant, puis la scène de danse en boîte de nuit, avec le personnage du prince saoudien littéralement en transe après avoir éliminé le commando. On sort vraiment du tout-venant, pas de doute, avec un gros bon point pour ce personnage de Monsieur Pons, en retrait.
Deux (2019)
1 h 35 min. Sortie : 12 février 2020. Drame, Romance
Film de Filippo Meneghetti
Morrinson a mis 6/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
Première chose qui frappe et qui intrigue fortement : la présence de Barbara Sukowa, du haut de sa soixantaine avancée et magnifique, dans un rôle dont l'émancipation chevillée au corps mais menacée forme un écho très lointain mais tout aussi tenace avec son rôle dans "Lola, une femme allemande", il y a près de quarante ans chez Fassbinder. L'expérience est vraiment troublante, même si le (premier) film du réalisateur italien Filippo Meneghetti n'a pas du tout la même portée et les mêmes enjeux. Tout dans "Deux" est en réalité porté par le duo d'actrices principales, incluant Martine Chevallier, et dans la nature de leur relation amoureuse, à la fois intense, sincère, hésitante, et instable par nature puisque la famille de cette dernière n'est pas au courant.
Il y aurait beaucoup à redire sur les maladresses du film, sur la pauvreté de certains dialogues, sur la faiblesse d'écriture de certains personnages secondaires (l'aide-soignante et la fille surtout, encore que le personnage de Léa Drucker est doté d'un beau potentiel pas vraiment exploité), sur certains effets de manche pas hyper constructifs (le cambriolage final annoncé une scène plus tôt, par exemple). Mais les scénaristes sont parvenus à esquisser une relation sentimentale dont on ignore tout le passif mais qui s'établit naturellement, dans sa passion comme dans ses contraintes. Et la configuration, très crédible, de ces deux femmes qui ne sont que deux voisines pour le reste du monde, est le terreau fertile pour le développement d'une situation éminemment compliquée lorsque l'une d'entre elles fait un AVC et perd une partie de ses capacités. Cette sensation de tragique est très bien amenée, et renforcée par quelques scènes percutantes comme celle où la caméra se concentre sur les yeux de Chevallier qui alterne entre les deux interlocutrices (sans que ces dernières ne la regarde), prisonniers d'un corps presque immobile.
J'ai adoré la pudeur de la mise en scène, le jeu avec les deux appartements, les doubles vies en toile de fond. Le mélange de complicité presque enfantine, d'attachement puissant, de souffrance soudaine, est très réussi et donne à la scène finale, danse intime sur fond de Betty Curtis (Sul Mio Carro) au milieu de l'appartement retournée, une certaine force. Point de chute d'une dernière partie construit autour d'un suspense grandissant et d'un coming out à demi-raté pas mal gérés.
Anatomie d'un rapport (1976)
1 h 22 min. Sortie : 29 septembre 1976. Drame
Film de Luc Moullet et Antonietta Pizzorno
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Je veux bien croire que "Anatomie d'un rapport" avait eu un certain effet (peut-être pas révolutionnaire, mais quand même) dans les années 70, sur le thème de l'émancipation sexuelle de la femme, et le sujet n'est en outre absolument pas dépassé aujourd'hui. Mais bon, c'est le premier long-métrage de Luc Moullet que je vois et s'enquiller 1h20 de sa voix frêle et nasillarde, de son corps et de sa nudité, c'est vraiment pas une sinécure. Avec ce format long très verbeux, très théorique, mettan en scène deux intellectuels parisiens étudiant de près leurs rapports de couple, c'est la première fois que je perçois le travail de Moullet dans une certaine continuité de la Nouvelle Vague. Il y a probablement une composante autobiographique, même si la femme n'est pas jouée par l'épouse de Moullet — cette dernière apparaîtra à la fin, après une fausse fin, comme une mise en abyme pour discuter du film dans le cadre même du film. Le côté extrêmement suranné du film rend le visionnage éreintant, ce malgré l'atmosphère de dérision maintenue et les nombreux décalages / abstractions / sursauts de réel qui ont lieu. Moullet évoque beaucoup la difficulté de partager certaines réalités avec l'autre, y compris l'autre le plus proche, mais ça tourne quand même assez vite en boucle sur le thème de l'incommunicable, de la frustration et du désir déçu. Moullet se met en scène, se filme à poil, aborde ses névroses, évoque des anecdotes (l'anecdote réelle du chèque qui lui a été envoyé par erreur — mais qu'il dût rembourser dans la vraie vie), essaie de formuler des traits comiques pas toujours réussis (à l'image de la tirade sur sa malchance d'homme arrivé trop tard, quand les femmes ne veulent plus être considérées comme des objets). Beaucoup de répliques poussives, beaucoup de jeu faux, même volontairement, ça use. Une sorte de Woody Allen / Diane Keaton version française, en plus naturaliste et un peu plus pénible.
Voyage sans retour (1932)
One Way Passage
1 h 07 min. Sortie : 22 octobre 1932 (États-Unis). Drame, Romance
Film de Tay Garnett
Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Aiguillé par la place de choix que Bertrand Tavernier lui accorde dans son pavé "Amis Américains", Tay Garnett s'immisce dans ma cinéphilie par l'entremise de cette romance aux accents comiques qui aurait très bien pu constituer le terreau idéal d'un mélodrame sirupeux et éreintant s'il n'avait pas éclos dans un cadre particulier : le Forbidden Hollywood, l'ère du Pré-Code. Quelques années avant que la censure du code Hays n'entre en scène en 1934, "One Way Passage" est un régal de comédie raffiné typique de ces années-là, le début de la décennie 1930. Un navire de croisière, une poignée de personnages aux destins mêlés, des flirts croisés, une série de bons mots, et le tour est joué.
Tout le film est basé sur une contrainte sous-jacente, la cohabitation forcée entre plusieurs personnes, qui génèrera autant de rapprochements bienvenus pour les uns et redoutés pour les autres. Une histoire d'amour issue d'un coup de foudre dans un bar de Hong Kong se poursuit à bord d'un paquebot, pour le voyage retour en direction de San Francisco. Mais une histoire d'amour également pétrie de non-dits, de mensonges, de secrets : on apprendra rapidement que elle, Joan (Kay Francis), est condamnée par une maladie incurable qui lui ôtera bientôt la vie, et que lui, Dan (William Powell), est un condamné à mort qui retourne sur le continent nord-américain pour terminer sur une chaise électrique.
Mais jamais "Voyage sans retour" ne se fait lourd sur cette composante dramatique, bien au contraire : ce n'est qu'une configuration pour créer une certaine entrave dans leur relation, qui trouvera certes pour point de chute une séparation faussement optimiste (magnifique final où chacun a appris la condition de l'autre sans que l'autre ne le sache, et feignant des retrouvailles qui n'auront tristement jamais lieu) mais qui constituera un carburant permanent aux enjeux. Car autour d'eux rôdent différents personnages secondaires gratinés, avec notamment une fausse comtesse, le sergent (Warren Hymer, la tête idéale de l'emploi) en charge de l'arrestation de Dan qui tombera sous le charme de cette dernière, et un blagueur potache bourré tout du long dont la fonction sera essentiellement d'introduire un peu de chaos dans tout ça. Ce microcosme apporte la touche de légèreté bienvenue, avec des états d'âme surprenants (le flic se montrera magnanime avec les malfrats).
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1932/377943
Ressources humaines (1999)
1 h 40 min. Sortie : 15 janvier 2000. Drame
Film de Laurent Cantet
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Les intentions de Laurent Cantet sont vraiment louables, aucun doute là-dessus ; conditions évidemment pas nécessaires pour la réalisation d'un bon film. "Ressources humaines" n'est pas un mauvais film, à condition de ne pas le prendre comme une dégénération de documentaire sociologique sur la lutte des classes, les conditions de travail à l'usine, et l'impossible réconciliation entre ouvriers et patronat. M'est avis que la colonne vertébrale du film, et sans doute le moins maladroit, a trait à la relation entre le père le fils, l'ouvrier et l'étudiant en école de commerce — même si on ne peut pas ne pas voir le discours sur le transfuge de classe qui irrigue absolument tout là-dedans.
Et Cantet n'y va pas mollement dans le maniement des stéréotypes, c'est vraiment terrible. La pléthore de comédiens amateurs n'aide pas vraiment, car ils sont mal dirigés et la composante amateur n'est pas mise à profit, bien au contraire : on enchaîne les saynètes illustratives sur le monde du travail, avec le DRH chiant et manipulateur, le patron faux-cul et mielleux, la syndicaliste jamais contente qui gueule, et bien d'autres, la liste est longue. Sentiment très désagréable que cette enfilade de clichés qui demande une suspension d'incrédulité bien trop importante — au-dessus de mes forces en tous cas. Même Jalil Lespert, un des rares acteurs professionnels du casting, ne brille pas du tout.
Le film aurait pu être intéressant dans l'immersion dans une époque, celle de l'établissement des 35 heures, avec les différentes parties du monde du travail qui veillent au grain de leurs intérêts. Mais pfiou, quelle lourdeur, quelle démonstration poussive... Y compris pour mettre en scène le clash du jeune premier insouciant dont la naïveté se fera dévorer par le patron machiavélique. Lespert compose un personnage bien trop benêt à vrai dire, il ne flaire pas l'entourloupe, il ne place aucune sécurité, bref, il se fait tondre et c'est montré avec un niveau incroyable de maladresse qui se retrouve dans le dilemme incluant un licenciement du père. Le propos était manifestement d'évoquer la promotion sociale au sein d'une famille, et son impact en termes de conflit générationnel. Excès de didactisme, représentations archi caricaturales, absence de naturel... Finalement, il n'y a que le père à peu près bien dans son rôle d'ouvrier honteux dans ce film, très insuffisant pour véhiculer le discours.
L'Île des adieux (1977)
Islands In the Stream
1 h 44 min. Sortie : 16 novembre 1977 (France). Drame, Aventure
Film de Franklin J. Schaffner
Morrinson a mis 4/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Schaffner s'essaie au drame hybride, familial, existentiel, en temps de guerre, en même temps qu'il renoue avec George C. Scott 7 années après la célébration de "Patton" (pluie d'Oscars), au moyen d'une adaptation d'un ouvrage posthume d'Ernest Hemingway paru en 1970. Le cadre est original, on découvre une île de l'archipel des Bahamas en même temps qu'on découvre le personnage principal, un homme présenté comme menant une vie tranquille, retirée, en solitaire et entouré de seulement quelques connaissances. Mais force est de reconnaître que le contenu sera rapidement décevant, un brin poussif, quelque chose avec quoi Schaffner ne semble pas très à l'aise.
Dans un premier temps, il est question de dévoiler une part comme refoulée de son passé : sa vie paisible est troublée par la visite de ses trois fils, visite au terme de laquelle le plus âgé lui annonce son engagement dans la Seconde Guerre mondiale — le récit se situe en 1940. Rien de bien folichon à ce niveau, Scott a du mal à jouer le père qui essaie de montrer un semblant de proximité avec sa progéniture, et le rapprochement entre les deux pôles enfants / parent génère très peu d'intérêt (la scène de la pêche étant censée être le temps fort émotionnel, c'est l'insouciance). Puis sa femme débarque sans prévenir : on ne comprend pas plus que lui la raison de sa venue, avant qu'elle ne lui déclare qu'elle va se remarier (acte de divorce) et que leur fils a été tué en Europe. C'est le début de la fin pour la santé mentale du protagoniste, il encaisse mal la chose, le passé commence à le remuer, et à partir de là Schaffner s'essaie au mélodrame et à la mélancolie : c'est un échec, au même titre que les regrets du père qui écrit une lettre à ses enfants après leur visite pour leur dire qu'il les aime. Et puis s'engage la dernière partie, typée aventure, en rupture franche avec le reste, et c'est la fin de la fin : mission sauvetage, scènes d'action avec des fusillades en bateau, bref, point final d'un film raté dans les grandes lignes.
Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques (1971)
1 h 28 min. Sortie : 19 février 1971 (France). Comédie
Film de Michel Audiard
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
Fidèle à ce qu'on peut attendre de la part de Michel Audiard en ayant vu quelques-unes de ses réalisations, à commencer par ce titre foutraque à rallonge qui n'a absolument aucun sens mais qui sera prononcé par un des personnages vers la fin. "Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques" fait quand même beaucoup penser à "Buffet Froid" (dans lequel on retrouvera un trio d'acteurs présents ici) dans la distanciation à la diégèse opérée par les personnages eux-mêmes, qui n'en finissent pas de remettre en question leur fonction. C'est souvent lourd, mais je dois être faible car j'ai pas mal ri — beaucoup de choses vraiment navrantes aussi, mais mon cerveau les élimine au fur et à mesure semble-t-il. Une histoire sans queue ni tête qu'il serait absolument vain de résumer : tout est dans l'interprétation de Michel Serrault, lunaire (et que j'ai personnellement commencé à apprécier sur le tard), malchanceux, au centre d'une double machination sous les feux croisés de deux groupes de malfrats. Du grand n'importe quoi qui s'assume totalement en tant que tel, et qui semble uniquement destiné à faire plaisir à Michel Audiard, qui semble simplement avoir envie de faire jouer ses potes. Et il y en a une sacrée pelletée : Paul Meurisse (en imitation de Jean-Pierre Melville, grand amateur de culture américaine, avec son stetson et ses lunettes de soleil), Bernard Blier (truand qui a ses humeurs), Jean Carmet (perdu dans son atelier), Gérard Depardieu (tout premier rôle dans un court-métrage, sa présence commence déjà à imprimer quelque chose de particulier), Yves Robert (un commissaire à l'ouest), Robert Dalban (vendeur de caravane sous-exploité), et même Carlos dans un rôle de fiction qui sera l'unique de sa carrière (je crois bien). Audiard filme sa succession d'imbroglios et de blagues potaches sur un ton très simple, direct, ordinaire, comme si tout allait bien alors qu'on s'enfonce de plus en plus dans l'inexplicable. Un style bien à lui, construit sur la base d'un non-sens absurde qu'il semble affectionner tout particulièrement pour l’employer aussi fréquemment.
No Home Movie (2015)
1 h 55 min. Sortie : 24 février 2016 (France). Portrait, Expérimental
Documentaire de Chantal Akerman
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Autant il y a quelque chose de évidemment et éminemment bouleversant dans la mort des deux femmes au centre du documentaire peu de temps avant et après sa sortie, celle qui filme et celle qui est filmée, Akerman fille et Akerman mère, autant le documentaire en lui-même se fait particulièrement ingrat, à la limite de la vidéo amateur sans intérêt en dehors du cercle familial considéré. Visionnage très perturbant donc, oscillant entre deux pôles opposés.
Le premier mouvement tient au portrait de la mère. Chantal Akerman la filme essentiellement chez elle, dans son appartement à Bruxelles. Elle la fait parler sur sa vie, son passé en Pologne qu'elle a quittée pour fuir les pogroms à la fin des années 1930. Mais invariablement, le film renvoie l'image d'une vieille femme au soir de sa vie, peu loquace, de plus en plus contrainte à la sieste pour se reposer. Ce n'est franchement pas très passionnante, ni le fond ni la forme, à moins qu'on soit un fan hardcore de la famille. La réalisatrice va jusqu'à filmer au téléphone son écran d'ordinateur portable lors d'une conversation en visio avec sa mère, dont on entend un mot sur deux... Et elle va jusqu'à dire que le but est d'illustrer qu'il n'y a plus de distance dans le monde grâce à la technologie — alors que sa mère n'est qu'une bouillie de pixels, c'est cocasse.
"No Home Movie" se transforme peu à peu en un regard plus autobiographique, consciemment ou pas. Il y a beaucoup de mélancolie dans ce film, et pas uniquement dans les plans dédiés à des paysages désertiques ou à des chaises vides (d'un intérêt vraiment limité, esthétiquement et thématiquement). Un film sur la santé qui décline, mais pas uniquement de la personne qu'on pensait puisque Akerman fille se suicidera le 5 octobre 2015. Un film qui évoque forcément son "Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles", avec les mêmes intérieurs, les mêmes plans fixes, la même vétusté, les mêmes contours flous (une référence explicite y est faite, il me semble, avec des patates). On en ressort avec l'émotion du double deuil, certes, mais au final le lien mère-fille (prolongé jusque dans la mort) n'aura pas été mise en scène de manière bouleversante, pas de manière intelligible du moins. Un film trop austère, sans doute, et pas assez engagé sur son caractère introspectif qui aurait dû prendre le dessus.
Eileen (2023)
1 h 37 min. Sortie : 1 août 2024 (France). Drame, Thriller
Film de William Oldroyd
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
C'est un film bien insipide, sans saveur et sans consistance malgré ses apparats attrayants. William Oldroyd, connu de moi pour "The Young Lady", se place dans les années 60 avec son grain de pellicule et son atmosphère classe au féminin (j'ai beaucoup pensé au récent "Carol" de Todd Haynes, au-delà de l'histoire d'amour entre deux femmes et de la coiffure blonde évoquant celle de Cate Blanchett) pour faire une sorte de récit d'apprentissage. Thomasin McKenzie, qui m'a attiré ici suite à son interprétation dans "Leave No Trace", est employée dans une prison pour hommes, son métier restant quand même assez vague. Seule chose claire : son quotidien sera bouleversé par l'apparition de Anne Hathaway, symbole absolu de femme fatale, libre, forte, émancipée, etc. La figure est posée sans subtilité aucune, et de cet état de fait un peu trop caricatural découlera un jeu de contrastes entre les deux femmes (que tout, littéralement, oppose) qui ne m'a pas vraiment passionné. Le cadre scénaristique étriqué se poursuit avec la description du foyer de la jeune femme, un peu prisonnière d'un père alcoolique et déviant (Shea Whigham, en léger surjeu, au même titre que Hathaway). "Eileen" tente de faire le portrait d'une fille à un carrefour de son existence, qui pense enfin trouver le moyen de prendre son envol existentiel mais qui, au final, se retrouvera acculée dans une impasse suite à son implication dans une bien sordide histoire — le final est laissé relativement ouvert, concernant les intentions et la préméditation du personnage de Hathaway, mais personnellement je n'ai pas trouvé cela fascinant. Le film parvient à se faire prenant pendant un court moment, le temps de poser la situation et d'observer la perturbation, mais s'avèrera décevant à partir du moment où les cartes sont abattues et où il faut en raconter le contenu.
Keep the Lights On (2012)
1 h 41 min. Sortie : 22 août 2012 (France). Drame
Film de Ira Sachs
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Je trouve que Ira Sachs avait tous les bons ingrédients pour initier un mélodrame romantique (à tendance autobiographique, mais cela m'importe largement de le savoir) prenant pour sujets deux hommes, un réalisateur de documentaires et un avocat. Avec son travail pour produire une esthétique léchée qui épouse de manière élégante la dizaine d'années couverte par la fiction (au moyen d'ellipses annoncées par quelques cartons qui font sauter plusieurs années à chaque fois), les conditions étaient réunies pour apprécier l'histoire de ces deux homosexuels aux comportements différents, l'un assumant là où l'autre affiche une incertitude claire.
Mais là où "Keep the Lights On" échoue vraiment, c'est dans l'écriture des complications dans cette relation. C'est d'une artificialité évidente, comme si on voyait les scénaristes mettre des bâtons dans les roues de cette romance pour en faire quelque chose de triste. Les contraintes sont de manière générale une source de créativité, de réadaptation ou de tragédie, mais ici ce n'est vraiment qu'un gadget, un artifice, un moyen de diffuser le potentiel lacrymal. Dommage car la trajectoire des deux amants oscillants entre leurs pulsions et addictions respectives avait quelque chose d'attrayant, dans la construction progressive d'une relation à partir d’une aventure sexuelle d'un soir. L'examen de cette relation sur une décennie offre une distance et un recul sur les deux hommes très appréciables, car le passage du temps et la reconfiguration des équilibres se fait avec beaucoup de discrétion, à mesure que les différents schémas relationnels (positifs ou destructifs) se développent. J'aime beaucoup la froideur avec laquelle la sensibilité de la relation amoureuse est rendue, ça dégage un contraste agréable, mais il aurait fallu un cadre de production un peu moins arty pour observer la lente érosion du sentiment amoureux et la progression des dysfonctionnements / désynchronisations.
L'Invaincu (1956)
Aparajito
1 h 50 min. Sortie : 11 décembre 1957 (France). Drame
Film de Satyajit Ray
Morrinson a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Ce deuxième film de la trilogie d'Apu réalisée par Satyajit Ray reprend exactement l'histoire du protagoniste là où on l'avait laissée à la fin de "La Complainte du sentier" : Apu a désormais 10 ans (du moins durant la première partie du film, avant la grande ellipse qui le projettera dans les études à Calcutta), sa famille s'est installée en ville après les événements tragiques dans l'ancienne maison. Avec la même élégance de mise en scène et la même douceur de caméra, "L'Invaincu" observe dans un premier temps les habitudes de la famille, notamment le quotidien du père consistant à étudier des textes sacrés tout en se promenant sur les berges du Gange. Ce premier pan du récit sera brusquement interrompu par la maladie (suivie de la mort soudaine) de ce dernier, impulsant un nouveau mouvement, en sens inverse, puisque la mère Sarbajaya décidera de retourner s'installer à la campagne.
Même si la trilogie porte son nom il n'est pas tout à fait évident de déterminer si le personnage d'Apu est réellement le barycentre des événements et des sentiments. On peut quoi qu'il en soit concéder le poids des membres de sa famille dans son environnement, quand bien même chacun de ces membres n'aurait qu'un temps limité de présence — il faut dire que la mort frappe régulièrement dans ce coin de l'Inde. En marge de l'évolution d'Apu, de ses études, de son émancipation, la figure de la mère est ici omniprésente et Ray marquera fortement le parallèle existant entre la réussite (Apu décroche une bourse, il repart en ville pour étudier, il commence à développer une certaine autonomie) et le chagrin (Sarbajaya souffrira particulièrement de l'éloignement de son fils). Et on sait comment se finissent les tragédies familiales chez le cinéaste indiens...
Suite https://www.senscritique.com/liste/Top_films_1956/374186
Fermer les yeux (2023)
Cerrar los ojos
2 h 49 min. Sortie : 16 août 2023 (France). Drame
Film de Victor Erice
Morrinson a mis 5/10.
Annotation :
L'étendue des significations cousues par Victor Erice dans "Cerrar los ojos" n'est pas accessible dans son intégralité, en tous cas pas pour moi, c'est une certitude. Mais cela ne m'empêche pas d'avoir nourri un sentiment légèrement désagréable tout au long du film, comme si malgré les très nombreuses tentatives de mettre en scène avec beaucoup de subtilité, le film ployait sous le poids de ses intentions.
Il ne faut pas attendre bien longtemps, malgré les 2h40 bien tassées, pour saisir la composante autobiographique (même mineure) du personnage de Miguel, réalisateur du film dans le film qui semble avoir une carrière aussi clairsemée que celle d'Erice, au même titre que les très nombreuses références à destination des cinéphiles pour illustrer la dimension auto-référentielle de ce cinéma qui parle du cinéma — les références sont trop nombreuses, mais on peut citer au hasard "Rio Bravo" et sa chanson de Dean Martin, le "The Shanghai Gesture" de von Sternberg, le livret d'images animées composant "L’entrée du train en gare de la Ciotat", ou encore, plus trivial, l'évocation de Dreyer par le projectionniste au sujet de la capacité du cinéma à produire des miracles. Miracle de Dreyer qui sera évidemment mis en abyme dans la scène finale du film, très chargée.
Je trouve que c'est un film qui cherche un peu trop lourdement à démontrer l'importance du cinéma, la vertu de sa conservation, et la puissance de ses effets (mes souvenirs sont vagues mais je pense avoir le même problème avec "L'Esprit de la ruche"). Le lien entre Miguel et Julio n’est alimenté que par son absence qu'on cherche à combler, des traces qu'on cherche à raviver. Le cinéma, en ce sens, semble avoir un vrai pouvoir, mais pour ranimer quelque chose d'un peu intangible, une amitié qu'on n'a pas forcément eu l'occasion d'éprouver. Erice heureusement conserve un certain équilibre dans l'évocation des cinémas, d'hier et d'aujourd'hui, les deux faces de la figure de Janus, des films qu'on voit aujourd'hui et qui auront une résonance dans 20 ans peut-être, sur fond de vieillesse et d'héritage de la mémoire ("comment est-il possible qu'il ne m'ait rien laissé ?", dira probablement à tort la fille de Julio, interprétée par Ana Torrent, choix loin d'être anodin). "Savoir vieillir, that is the question. Sans peur et sans espoir". Un beau message, peut-être trop volontaire dans sa charge mélancolique, trop poussif dans sa dichotomie amnésie / hypermnésie qui séparent les deux personnages masculins.
35 Rhums (2009)
1 h 40 min. Sortie : 18 février 2009 (France). Comédie dramatique
Film de Claire Denis
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
En toute sincérité je n'avais absolument pas pensé à la référence à Ozu chez Claire Denis, mais a posteriori il est vrai qu'on retrouve dans "35 Rhums" énormément de points qui évoquent ce segment de filmographie du cinéaste japonais portant sur l'observation de la relation père-fils — "Printemps tardif", "Fin d'automne", "Le Goût du saké", pour ne citer qu'eux. Pour le reste, la très généreuse réputation de ce film y compris à l'échelle internationale me laisse circonspect, j'ai du mal à voir en quoi cette histoire de père veuf élevant sa fille et cette étude très froide et simple d'une telle relation peut générer autant d'engouement.
Une chose est sûre, "35 Rhums" appartient à la frange "normale" du cinéma de Claire Denis, ou pour le dire autrement son appétence pour un cinéma d'auteur pénible est ici minorée. C'est intelligible, les effets de style ne sont pas outranciers, il y a une forme de modestie. Évidemment le corollaire à suivre, c'est qu'un sentiment de vacuité voire de vanité emplit l'espace, à mesure que nous est dévoilé le quotidien du noyau familial. Parmi les zones d'intérêt, il y a l'incertitude sur la nature exacte de leurs rapports (qui s'apparentent parfois à une vie de couple), et tout ce qui pourrait avoir trait à un refus des sollicitations extérieures (dans une logique de préservation du noyau dont on ne cerne pas l'origine).
Après la chronique de l'émancipation est un peu trop en retenue, l'apprentissage du démêlage des liens fusionnels un peu trop évasif, et au final c'est sans doute le style de Claire Denis qui ne me plaît pas énormément. Radical dans sa banalité, disons. J'aime bien la toile de fond, une communauté antillaise vivant en banlieue parisienne, mais il y a vraiment beaucoup de zones bancales là-dedans — Denis n'est vraiment pas à l'aise pour filmer certaines séquences, par exemple le débat en cours avec Stéphane Pocrain est franchement lamentable dans son artificialité. Deux trucs qui retiennent l'attention : l'image des autocuiseurs (riz, Japon, Ozu, tout ça) en double comme signe d'une redondance, et la trombine de Grégoire Colin qui me rappelle presque tout le cinéma de Claire Denis.
Vers un avenir radieux (2023)
Il sol dell'avvenire
1 h 36 min. Sortie : 28 juin 2023 (France). Comédie, Drame
Film de Nanni Moretti
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Ça fait bien longtemps que Nanni Moretti n'est plus surprenant, et j'en viens naturellement à me demander s'il l'a jamais été. Cela fait une éternité qu'il est comme bloqué dans son autofiction mettant en scène son alter-ego (Giovanni, son vrai prénom), un vieux réalisateur qui ne comprend plus trop le monde qui l'entoure. Et qui parle beaucoup. Et qui tient à expliciter son avis sur beaucoup de choses. Dit comme ça ça a l'air un peu effrayant, mais en réalité "Vers un avenir radieux" n'est pas du tout le Moretti le plus aigre ni le plus pénible, c'est d'ailleurs probablement un de ceux qui prennent le plus acte de son vieillissement, quand bien même je ne serais pas un grand spécialiste ou amateur du cinéaste italien. Malgré tout il faut être capable d'encaisser ce discours éternel, Moretti l'incompris versus le monde entier, sous couvert d'une incompréhension réciproque — comme s'il y avait match ex aequo entre les deux parties, aucune de comprenant l'autre. Le message est d'autant plus alourdi qu'il a lieu dans toutes les scènes de sa vie : sur les plateaux de tournage, dans son couple, avec sa famille... C'est toujours la même chose, grosso modo. Moretti verse à de multiples reprises dans la satire plein pot, que ce soit avec Mathieu Amalric en producteur sans le sou, devant un trio d'administrateurs Netflix qui se comportent comme des robots, dans la gratuité de certaines scènes violentes (mathématicienne à l'appui), ou encore avec l'inculture d'une jeune qui n'y connait rien en histoire du communisme. Un peu assommant il faut bien le reconnaître, à tel point qu'on aurait presque un peu de peine pour l'actrice Margherita Buy qui le suit depuis si longtemps. Moretti use toujours des mêmes ingrédients, un peu d'humour, un peu de mélancolie, en espérant que la sauce prenne. Il oublie clairement de se faire moins bavard, même quand c'est pour signifier le caractère vacillant de son statut (son Giovanni ne se rend pas bien compte qu'il est en train de voir le monde passer à côté). On peut dire que le film est rarement inspiré, rarement fin, et ce en dépit de l'exploration d'une sourde tristesse et d’un renouveau optimiste qu'il semble entreprendre.
L'Auberge du mal (1971)
Inochi bô ni furô
2 h 04 min. Sortie : 11 septembre 1971 (Japon). Drame, Historique
Film de Masaki Kobayashi
Morrinson a mis 7/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Annotation :
"Sometimes it feels good to risk your life for something other people think is stupid"
Petite particularité de visionnage : il s'agit du premier film japonais que vois suite à la lecture de l'essai de Jun'ichirō Tanizaki, "Éloge de l'ombre", et les deux heures qui ont défilé n'ont fait qu'étayer la thèse de l'auteur. Deux heures remplies de zones d'ombre (au sens propre), de recoins mal éclairés, de séquences nocturnes, de matériaux ternes et poreux dépourvus de pouvoir réfléchissant, et de lanternes allumées dans la nuit — honnêtement la scène finale de "L'Auberge du mal", avec sa nuée de policiers qui s'agitent dans l'obscurité à peine éclairée par les lanternes qu'ils tiennent, pourrait être une illustration faite sur mesure pour le livre. Autre particularité : c'est seulement le deuxième film de Masaki Kobayashi que je vois, alors que son "Seppuku" trône dans mon panthéon personnel depuis plus d'une dizaine d'années... Vraiment n'importe quoi, ma procrastination me perdra.
À la différence de beaucoup de films japonais historiques des années 1950 / 1960 dans la lignée des Shinoda, Kudō ou Uchida (et auxquels celui-ci fait beaucoup penser, indépendamment de sa sortie au début des années 1970), Kobayashi expédie le contexte de manière extrêmement rapide, efficace, élégante. Les premières images montrent une carte de l'île qui sera au centre des enjeux, et pose très vite le cadre : c'est un repaire de bandits réunis dans une auberge en son centre, accessible seulement par un pont, et les autorités attendent le moment opportun pour mettre un terme aux activités. La configuration du lieu est en soi un élément essentiel, participant à l'action, irrigant le scénario de ses particularités et de ses opportunités. Il faut ajouter à cela des personnages très bien caractérisés sans verser dans la complexité excessive, une lumière magnifique jouant à merveille sur les ombres, un travail très précis sur le son pour accentuer la tension aux bons moments... Formellement, c'est impressionnant.
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Camp de Thiaroye (1988)
2 h 27 min. Sortie : 7 janvier 1998 (France). Drame, Guerre
Film de Ousmane Sembène et Thierno Faty Sow
Morrinson a mis 6/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Mon dernier rapport au cinéma sénégalais remontait au visionnage de "Hyènes" de Djibril Diop Mambety, et si seulement quelques années le séparent de "Camp de Thiaroye", le style est diamétralement opposé. Un plaisir de découvrir, enfin, un film de Ousmane Sembène, en même temps que se dévoile le récit à caractère un minimum documentaire du massacre de Thiaroye, qui eut lieu dans un camp militaire de la périphérie de Dakar, au Sénégal, le 1er décembre 1944. Le contexte est tristement connu : des tirailleurs sénégalais récemment rapatriés, anciens prisonniers de la Seconde Guerre mondiale ayant connu les camps de concentration, manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuis des mois. Le différend s'est soldé par un bain de sang du côté des manifestants sénégalais. Autant dire qu'on ne se situe pas dans le segment le plus glorieux de l'histoire de France et de son passé colonial, et que le film fut l'objet de censure pendant une dizaine d'années.
Le massacre sera le point de chute du film, au terme d'un long voyage et d'un long déroulé des événements précédents sur près de 2h30. Le style de Sembène est un peu rêche, notamment en termes d'interprétation : que ce soit les gradés français blancs ou les tirailleurs sénégalais noirs, la grande majorité des acteurs (professionnels ou non) ont un jeu très théâtral, qui demande un certain temps d'adaptation. Mais on s'y habitue, assez facilement. Seuls les clichés restent un peu coriaces, avec le capitaine sympathisant de la cause des tirailleurs, tous les autres des gros enfoirés (j'exagère peu), et parmi les tirailleurs, le fin lettré parlant trois langues (wolof, français et anglais), le traumatisé par la guerre et par Buchenwald qui ne peut plus s'exprimer qu'au moyen d'onomatopées plus ou moins signifiantes... Ce n'est pas vraiment le point fort du film.
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Chronique d'un scandale (2006)
Notes on a Scandal
1 h 32 min. Sortie : 28 février 2007 (France). Policier, Drame, Romance
Film de Richard Eyre
Morrinson a mis 4/10.
Annotation :
Tant que Richard Eyre se concentre sur un point de vue un peu observationnel, "Notes on a Scandal" maintient un niveau d'intérêt nominal pas désagréable. Il y a quelque chose de bien ficelé dans le portrait de ce microcosme, baignant dans les faux-semblants, un collège de Londres dans lequel les aspirations et les positions sociales des uns et des autres s'avèrent plus disparates que ce qu'on aurait pu penser a priori. L'intrigue resserre son étau autour des deux personnages de Judi Dench et Cate Blanchett, la première en femme vivant seule à l'orée de sa retraite et la seconde représentant le souffle du renouveau comme nouvelle recrue du côté des arts. Le film est au moins intéressant, d'un point de vue purement dramaturgique, pour l'histoire qu'il prétend raconter là où quelque chose de totalement différent se joue en sous-main. Après, je tire personnellement très peu de plaisir devant ce genre de films qui finissent par tout miser sur une sorte de twist — en l'occurrence, les intentions de la femme âgées se révèleront tardivement, surtout dans l'étendue de sa cruauté. Car le scénario donnera au spectateur un temps d'avance sur les révélations, donnant l'occasion d'observer les différents niveaux et types de manipulations auxquels s'adonnent les personnages. Ce qui nous est présenté comme de l'affection mute progressivement en une attirance pétrie de regrets, notamment.
En regard de ce tableau, le scénario est clairement insuffisant. En particulier, les deux sauts d'âge sont difficilement acceptables, entre les deux femmes (qui pourraient être mère et fille) autant qu'entre la jeune prof et son élève (le gamin a 15 ans sans déconner). Non vraiment, voir Blanchett s'épanouir sexuellement (voire plus) avec un ado prépubère, c'est quand même très drôle, ou en tous cas très mal amené ici. L'insistance sur les obsessions secrètes respectives des deux femmes évolue vers une étude de l'ampleur de leur cruauté et de leurs mensonges au fil de nombreux malentendus pas très pertinents du point de vue de la fiction. Au milieu, on s'amuse comme on peut, par exemple en voyant Bill Nighy et Juno Temple dans des rôles secondaires. Mais vraiment, quand les grandes vérités éclatent et sont étalées, un gros trou d'air emplit l'espace et donne à la dernière partie une saveur particulièrement poussive.
Napoléon (2023)
Napoleon
2 h 38 min. Sortie : 22 novembre 2023. Biopic, Drame, Historique
Film de Ridley Scott
Morrinson a mis 3/10.
Annotation :
Au risque de surprendre ou de passer pour un Nostradamus de PMU, cette version de "Napoléon" est parfaitement conforme à l'idée que je m'en faisais a priori. Fresque interminable et hachée menu au montage, libertés prises avec la réalité historique sous couvert de licence artistique (argument tout à fait recevable à mes yeux, si c'est pour en faire quelque chose), construction d'un personnage complètement névrosé, succession de batailles plus ou moins expédiées, schéma macroscopique classique de rise and fall... Honnêtement, je ne vois pas grand-chose de surprenant là-dedans. Peut-être que la seule chose qui m'ait vraiment surpris, c'est la laideur voire l'impuissance des CGIs (avec un tel budget, il est quand même assez incroyable de voir des mochetés pareilles, avec la médaille d'or pour le siège de Toulon et le boulet de canon tuant son cheval, et des batailles épiques incapables de saisir l'immensité des bataillons en jeu). Et bien sûr l'angle d'attaque dont j'ignorais tout, le film était réalisé à travers le prisme des rapports passionnels avec le grand amour de sa vie, Joséphine.
Bon, évidemment, Joaquin Phoenix la cinquantaine et Vanessa Kirby la trentaine, ça ne va pas du tout. Mais c'est un détail à l'échelle du reste qu'on a envie de reléguer dans la liberté qu'un cinéaste peut bien s'accorder dans un biopic qui n'est pas à vocation documentaire. Ce qui est le plus problématique, c'est clairement Phoenix en lui-même, l'acteur est vraiment devenu insupportable dans le rôle qu'il surjoue de manière systématique depuis je ne sais combien d'années... Une caricature de lui-même. Je n'en peux plus de le voir chouiner — même si c'est manifestement une direction d'acteur claire qui fait de son personnage un être grossier, pris d'effroi, régulièrement capricieux, à qui il suffit de dire "I want to come home" au terme de 15 secondes de pleurnichage pour retourner tout un bataillon qui allait le fusiller. Bref.
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