Bois sauvage, Mississippi, 2005. Une famille vit là, une adolescente, ses trois frères et son père. La mère, morte à la naissance du dernier enfant, a laissé un vide énorme en chacun. Randall rêve de s’échapper, de percer dans le basket. Skeet ne pense qu'à son pitbull. Junior suit partout ses aînés en quête d'affection. Le père, désabusé, montre peu de tendresse pour ses enfants et boit beaucoup trop. Esch, quand à elle, tente de trouver sa place et grandit trop vite. A quatorze ans elle se retrouve enceinte. Durant douze jours nous suivons cette famille alors que l'ouragan Katrina se préparer à frapper et à semer le chaos.
Le roman va crescendo. Les premiers chapitres sont assez lents et nous décrivent la vie quotidienne. On découvre le contexte dans lequel les personnages évoluent. Ils vivent dans une maison délabrée, au cœur d'une foret étouffante de chaleur et de moiteur. Loin de tout, ils n'ont accès à presque aucun soins médicaux. Les enfants sont plus ou moins livrés à eux-même. Alors que chacun vaque à ses occupations et poursuit ses objectifs, le père seul prend la mesure du danger qui menace. Il exhorte ses enfants à protéger les fenêtres et à faire des réserves. Mais ici les tornade reviennent chaque été et ne font plus peur aux enfants. Les adultes seuls se souviennent des plus dévastatrices. Plus l'ouragan se rapproche plus le rythme s'intensifie et plus le roman gagne en force.
L'histoire nous est racontée par Esch, la langue est directe, parfois crue. Elle évolue dans un monde d'homme et a pris l'habitude de cacher ce quelle ressent. En manque d'affection, elle cherche auprès des amis de ses frères un peu de chaleur. Depuis la mort de sa mère, c'est Randall et elle qui font tenir la maison. Tout au long du livre elle évoque le souvenir de sa mère, ses mots ainsi que ses gestes. Il y a un grand vide en elle. Quand elle apprend sa grossesse elle décide de la cacher. Elle camoufle son ventre sous de longs T-shirts et dissimule ses malaises et ses nausées. Elle est passionnée de mythologie grecque et évoque régulièrement le mythe de Médée et Jason comme un écho à sa propre vie.
Si les relations entre les personnage semblent au début âpres et violentes, au fil du récit on voit percer l'amour. Ce sont des gens taiseux, qui n'expriment pas ce qu'ils ressentent. Alors un geste, un mot, un regard suffit à montrer son amour, sa confiance. Le lecteur devine les relations et les liens qui les unissent et au détour d'une phrase l'émotion surgit.
J'ai lu les derniers chapitres en apnée. Quand Katrina arrive et dévaste tout, le roman prend un autre souffle. Le texte gagne en puissance, en force et fait basculer les personnages et le lecteur dans le chaos. Face à la violence des éléments, l'humanité réapparaît et les liens familiaux se resserrent. La fratrie se soude, tous en ressortent grandis comme lavé d'une part de leur obscurité. Il faut désormais reconstruire, inventer la suite. Une lueur d'espoir née au cœur de la désolation.
Je comprend désormais l’enthousiasme qu'a pu suscite Jesmyn Ward et il est certain que je lirai d'autre livre d'elle. Elle a une écriture magnifique et une façon de raconter très sensible.