C'est assez rare d'être secouée en lisant un bouquin, voir un peu mal à l'aise, pour que cela justifie ce petit avis qui n'a qu'un but, donner envie de le découvrir malgré le fait que je n'aime pas plus que ça conseiller des livres.
Kenneth Cook reste méconnu pour pas mal de monde, un peu moins depuis les traductions françaises de ses recueils de nouvelles (Le koala tueur et autres histoires du bush -- La vengeance du wombat -- L'ivresse du kangourou) et après A coups redoublés, Cinq matins de trop ici présent est le deuxième court roman que je lis de cet auteur. Et comme avec le premier, une réflexion s'impose à moi pour que ceux qui connaissent ses nouvelles soient prévenus : le ton est radicalement différent. Là où les recueils regorgent de drôlerie, d'une certaine naïveté et constituent une lecture simple et agréable, ce roman se révèle noir, cynique, nihiliste et d'une violence réaliste et très percutante.
Cinq matins de trop, c'est un passage de la vie de John Grant, instituteur muté depuis un an dans la minuscule bourgade de Tiboonda, perdue dans un outback australien étouffant, immobile et désespérant pour un homme jeune venant de Sydney. Il lui reste encore un an à tirer afin de rembourser un prêt, mais là ce sont les 6 semaines de vacances estivales, 6 semaines que John a prévu de passer à Sydney... Retrouver la ville... L'océan... Enfin !
Dernière étape, la nuit d'attente avant l'envol de son avion pour Sydney, dans la petite ville de Bundanyabba. Etape de trop, John Grant chez qui l'on sentait les prémices du précipices, prend tour à tour les mauvaises décisions ou plutôt ne décide plus rien, laisse les choses se faire, boit, joue, perd son argent, se laisse sombrer, fait de drôle de rencontres, se laisse entraîner dans une nuit de chasse à la violence exacerbée et parfois peu supportable, devient l'ombre de lui-même, songe à en finir... Le tout en ces quelques matins de trop, mais faut croire qu'il suffisait d'un rien pour que cet homme bascule.
Ce livre se révèle excellent, on est entraîné avec Grant dans sa déchéance, on le voit refuser, ne pas avoir la force de réagir, on sent la chaleur du bush, l'haleine fétide de ses compagnons de passage, on sent la violence, les tripes... Une Australie très loin de la carte postale que l'on a tous dans un coin de la tête. Tout ceci narré avec une écriture fluide, simple mais diablement efficace. Tout ceci est très réaliste en fait, j'en venais à me demander quelle part d'autobiographie était disséminée là-dedans...
Cinq matins de trop ("Wake in fright" en VO) fut adapté au cinéma en 1971 sous le titre "Outback" et j'avoue que je trépigne d'impatience de découvrir cela. Et avec une pointe d'appréhension aussi.