« A nous de savoir si le but est de rester vivant ou de rester humain »

On a toujours soupçonné chez les hommes les plus chastes une tentation secrète. Ce que Kazantzakis avait imaginé au sujet du Christ, Alain Absire l’imagine au sujet de Robespierre. Il lui suppose un amour platonique, inavoué, pour Marie, la jeune nièce et apprentie du céroplasticien Curtius (qui n’est d’ailleurs autre que la future Mme Tussaut et connaîtra plus tard à Londres le succès que l’on sait). Lui amenant un jour le dernier prisonnier de la Bastille libéré le 14 juillet pour qu’elle en fasse une reproduction en cire, Robespierre se prend d’une amitié troublante pour la jeune artisane et d’une fascination ambiguë pour ses talents. Il la fait travailler avec le peintre David, lui confie des commandes d’œuvres propres à édifier le peuple, dont une galerie de révolutionnaires que les purges successives vont impitoyablement décimer. L’auteur rappelle que le député avait horreur du sang et n’assistait jamais aux exécutions : « La nature ne m’a pas configuré pour jouir du spectacle de la mort, lui fait-il dire, j’entends m’en tenir à l’écart. » C’est donc en se faisant violence qu’on le voit assister à l’autopsie de Mirabeau, au massacre de la princesse de Lamballe, à la levée de corps de Marat puis, plus tard, errer dans les cimetières pour récupérer les têtes de Manon Roland, de Danton ou de Desmoulins afin de les ramener dans l’atelier de Marie.


Il y a du Frankenstein dans cette obsession de la reconstitution de ce qui n’est plus, dans ce désir de conjurer la mort des autres tout en se précipitant à sa propre perte. Marie et lui deviennent « deux dévots de la guillotine, l’un en actionnant le mécanisme et l’autre en recueillant les fruits ». La morbidité de ce Robespierre-là n’est pas celle de la Terreur d’Etat, elle est celle des méditations chrétiennes sur la vanitas, celle d’un sens tragique de la fatalité, de la prescience d’une fin inéluctable qui ne saurait être qu’atroce, et ce n’est pas pour rien que la dernière partie du roman s’intitule Le sacrifice, et que le drame de thermidor nous y est raconté sur le mode des stations du chemin de croix sur le Golgotha. « A nous de savoir si le but est de rester vivant ou de rester humain » lui dit Marie, entourée de ses masques mortuaires et de ses statues de cire. Mais l’Incorruptible s’entête : « Désormais, il y aura toujours une gorge coupable, et un couperet pour la trancher. » Un roman sombre et désespéré dont les tableaux expressionnistes donnent à la Révolution une teinture gothique inattendue.

David_L_Epée
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le 13 déc. 2018

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