-"La vie est un fortune cookie dans lequel quelqu'un a oublié de mettre la prophétie"-


Ok, donc en fait la règle est simple : plus il se passe de temps entre la sortie d'un livre aux USA et sa traduction en France, et plus on peut être sûr que ce livre est un chef-d'oeuvre. Imaginez la taille de la pépite avec "Une bien étrange attraction" : 40 ans ! Si le Infinite Jest de Wallace est aussi bon qu'on le dit, je pense qu'il sera traduit vers 2034...
40 ans donc, pendant lesquels les auteurs français n'auront pas été bouleversés, choqués, remués, titillés, frictionnés, amusés, interloqués par l'esprit et la langue robbinsienne ! Que de temps perdu...


-"Le jour était froissé et morne. Il ressemblait au pyjama d'Edgar Allan Poe"-


Dans la grande famille des écrivains borderline - un peu anarchistes, un peu libre-penseurs, forcément libertaires - Robbins pourrait être le jeune oncle fantaisiste et attachant, qui cache la profondeur de ses vues sous un vernis de bonne humeur permanente. Un mélancolique qui se battra jusqu'au dernier souffle pour ne croire qu'en une seule chose : la Joie. Et à qui la poésie du Monde ne fait pas peur. Imaginez un Brautigan qui d'un coup s'intéresserait aux grands problèmes socio-économico-politico-religieux de la fin du XXe siècle.


-"Faut que je rêve des choses spectaculaires sinon quelqu'un d'autre les rêvera à ma place" -


Car "Une bien étrange attraction", sous des dehors volontairement velléitaires, brasse des sujets essentiels : le rapport cassé entre l'homme et les choses naturelles, l'agonie trop lente de la suprématie chrétienne, le scandale de la servitude volontaire, l'ambiguïté du savoir scientifique. Dit comme ça, je vous l'accorde, on dirait un effroyable pensum de Jacques Attali, mais toute la force de Robbins est de traiter de ces thèmes à travers une fiction foutraque et désopilante, remplie de puces savantes qui dansent Carmen, de babas cool philosophes, d'un babouin qui s'appelle Mon Cul, d'un Corps momifié qui pourrait bien changer la face du monde, d'un faux curé obsédé sexuel, d'une saucisse lumineuse, d'un bébé aux yeux de foudre... Mais surtout, ce livre est tout entier rempli d'une des choses les plus délicate à manier en littérature, que la plupart transforme en sentimentalisme gnangnan. Robbins lui, grâce à un style flamboyant, subtil, décalé, rythmé parvient à l'apprivoiser sans l'abimer.
Cette chose n'a pas de prix, c'est la tendresse. Une tendresse infinie.

Chaiev
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le 22 mai 2011

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Chaiev

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