À part Quentin Durward que j'ai lu, il y a fort longtemps (livre, se déroulant principalement dans la France de Louis XI, qui m'avait laissé un assez bon souvenir !), je n'ai jamais replongé, jusqu'ici, dans une autre œuvre de Sir Walter Scott, pour je ne sais quelle raison. Bon, toujours est-il que, maintenant, c'est fait. Et cette fois, c'est à domicile, dans l'Écosse si chère au Monsieur, étant donné que quasiment toute l'intégralité de l'œuvre se déroule dans cette partie de la Grande-Bretagne. Et quitte à recommencer, autant que ce soit par le commencement puisque c'est aussi le premier roman de l'écrivain.
Alors, on est donc en Écosse, en 1745, sous le règne de George II, de la maison d'Hanovre, lors de la toute dernière rébellion des Jacobites, qui veulent absolument que le trône retourne aux Stuart. Les troubles éclatent lorsque le fils du prétendant de cette dynastie, Charles Edward, débarque. C'est sur cette toile de fond que l'on suit, Waverley, un jeune noble, trop porté sur la rêverie, la poésie et par l'indolence. Ce dernier va vivre, la plupart du temps bien malgré lui, une quantité folle d'aventures...
Pour un premier essai, c'est perfectible. Même en tenant compte du fait que le personnage du baron Bradwardine (père de Rose, sur laquelle je vais revenir plus loin !) est un pédant, qui utilise sans arrêt des citations latines, nécessitant le plus souvent une traduction pour les incultes de la langue de Cicéron,la multitude de références, à des auteurs contemporains, mais oubliés aujourd'hui, à des événements historiques que le lecteur ne connaît pas forcément, rend obligatoire un nombre de notes critiques trop conséquent pour saisir des ressorts de l'intrigue. Résultat, passer constamment de la page à laquelle on est pour aller à celle sur laquelle est écrite telle note critique ne rend pas la lecture fluide et confortable. Je ne parle pas d'une note apparaissant toutes les trois-quatre pages, je parle carrément de trois-quatre notes sur presque toutes les pages.
Scott a écrit Waverley pour des personnes vivant dans les années 1810, qui ont entendu parler (vu que c'était alors assez récent !), voire ont vécu, pour les plus âgés d'entre eux, lors de la publication, les épisodes historiques contés ici. Mais il n'a pas pensé à celles des XXe et XXIe siècles. Par contre, il n'est pas improbable qu'il ne soit plus tombé (ou qu'il soit moins tombé !) dans ce piège après (sûrement, en partie, parce que l'on remonte plus loin dans le temps, et que le lecteur des années 1810 serait tout aussi paumé que celui de toutes les décennies venant après !). Pourquoi je dis cela ? Ben, il se trouve que mon édition contient trois romans en tout. Celui qui est critiqué ici, bien sûr, mais aussi Rob-Roy et La Fiancée de Lammermoor (qui seront lus, sans faute !). Et en ce qui concerne ces deux derniers, le nombre de notes critiques est considérablement moindre. Sans mentionner que je ne me rappelle pas avoir rencontré cet aspect gênant pour Quentin Durward.
L'autre défaut, c'est la structure globale. Cela met du temps à démarrer. OK, c'est normal. Il faut inévitablement présenter le contexte et les divers caractères. Une fois que les très grosses emmerdes débutent, ça accélère considérablement. Ce qui n'a rien de narrativement illogique. Par contre, on sent sur la fin que le romancier en a un peu marre (ce qu'il avoue à demi-mot au détour d'une phrase !) et se précipite pour en finir au plus vite. Ce qui est dommage, car ça crée un déséquilibre. D'autre part, j'aurais bien voulu que les relations amoureuses entre le protagoniste et Rose soient beaucoup plus exploitées à ce moment-là.
Bon, est-ce que, malgré ces deux défauts, ce roman historique mérite qu'on s'y arrête ?
La réponse est oui.
Quand Sir Walter Scott prend par la main son lecteur et lui explique, tranquillement et en détail, les mentalités et les modes de vie des Highlanders du milieu du XVIIIe siècle, c'est passionnant. Ça, ça pose bien un contexte. Ça, ça fait rester sur sa page. Là, on est vraiment transporté d'une manière efficace dans une lointaine période.
Les rebondissements sont nombreux. Si le premier tiers est (comme je l'ai déjà suggéré !) d'un rythme assez pépère, une fois passé celui-ci, l'accumulation de rebondissements (quelquefois avec des mystères aux révélations surprenantes !) agrippe (en dépit des notes critiques !).
Et s'il y avait une image, une seule, qui pourrait illustrer le contenu du récit, ce serait la fameuse toile de Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, sauf que vous remplacez le costume de haut fonctionnaire, impeccablement taillé, par un habit traditionnel écossais et la mer de nuages par des étendues à perte de vue des Highlands. Voilà, vous avez l'atmosphère générale.
Ouais, parce que Waverley vous prouve une chose, c'est que ce n'est pas pour rien que le Sir est rattaché au mouvement romantique. Déjà, il y a le goût des époques révolues, des traditions, des coutumes, aussi les superstitions, lié à tout ce que j'ai évoqué précédemment. En outre, si vous voulez de l'intériorité placée au cœur de paysages aussi splendides que sauvages, avec moult descriptions, croyez-moi, vous allez être admirablement servi(e).
Et, dans cette même optique romantique, la plus grande richesse de cet ouvrage, là où ça marque sacrément des points, là où on atteint des sommets, c'est au niveau des personnages principaux. Aucun n'est simpliste, aucun n'est unidimensionnel. Ils sont pleins de contradictions.
Vous prenez le héros par exemple... enfin plutôt le protagoniste, d'un profil peu atypique dans le genre du roman historique... il se croit né pour l'aventure, pour connaître la gloire. Mais face à l'horreur de la réalité, quand bien même, il ne soit, en aucun cas, pleutre, il s'aperçoit qu'en fait l'existence paisible de noble, gérant son domaine, se cultivant dans les livres, décorant soigneusement son lieu séculaire de résidence, perpétuant sa lignée avec une femme qu'il aime (et réciproquement !), c'est ça qui répond le mieux du monde à sa nature profonde. Et si, dans un premier temps, il est naïf sur le plan des sentiments, s'il est très indécis, facilement manipulable, se laissant porter, comme une plume dans le vent, par les autres et les bouleversements de l'histoire, il a un fond de lucidité politique, lui faisant voir la situation d'une façon clairement plus pragmatique que bien des êtres plus flamboyants et sûrs d'eux. De surcroît, il évolue, après le choc d'une bataille, vers une affirmation de lui-même.
Autrement, il y a Flora, qui est tout le contraire de Waverley, en ayant un regard implacablement juste sur la mécanique des sentiments, tout en se donnant, entière et désintéressée, à une cause dont il n'est pas difficile de saisir qu'elle est aussi inutile que perdue d'avance. Il y a le frère de Flora, Fergus, servant lui aussi la rébellion, charismatique et d'un abord sympathique, mais obnubilé par un orgueil démesuré et des ambitions opportunistes, capable d'être détestable à tel instant de l'histoire (jusqu'à provoquer l'espérance de sa mort !) et, une dizaine de pages plus loin, de faire ressentir une pitié sincère. Même celui qui se veut héritier de la couronne, Charles Edward, est dépeint comme une personnalité affable et bienveillante, mais, malheureusement, avec des objectifs qui vont à l'encontre du bien de la nation. Et enfin, il y a Rose, plus timide, plus discrète, mais nettement moins passive qu'elle n'y paraît.
Ça, c'est de la complexité, ça, c'est de la vérité.
S'il ne devait y avoir qu'une seule bonne raison, une seule, de lire ce coup d'essai imparfait, mais plus que prometteur par ses superbes qualités, ce serait cette galerie fascinante et marquante de personnages.