Dans "Allons z'enfants" d'Yves Gibeau, Simon Chalumot, enfant de troupe malgré lui, découvre avec délices le film de Milestone puis dans la foulée, le roman "A l'ouest rien de nouveau" où il trouve, enfin ! quelqu'un, Paul Baümer, jeune adulte certes, qui lui semble si proche dans sa façon de penser.
… "Simon s'en pénétra, renforçant à chaque page son propre mépris des gradés, de leurs conseils et de leurs semonces "…
Évidemment, Simon Chalumot, pris la main dans le sac, sera sévèrement puni et son livre confisqué parce que considéré comme diffamatoire envers la chose militaire. Et je me plais à imaginer combien le petit Chalumot pouvait rêver à de subtiles vengeances vis-à-vis des sous-off sadiques auxquels il avait affaire, en pensant au sort du sergent Himmelstoss, tout aussi sadique, du roman …
Toute cette longue introduction pour dire qu'alors, fort de ma lecture du roman de Gibeau quand j'étais ado, je me devais de trouver, toutes affaires cessantes, le livre de Remarque. Livre qui m'avait, à mon tour, passionné et qui fut le premier d'une longue liste de romans de cet auteur qui est devenu une de mes références …
Ce roman de Remarque est un témoignage puissant sur cette guerre des tranchées où de jeunes hommes à peine sortis de l'adolescence vont être sacrifiés par milliers pendant quatre années sur chacun des fronts.
La première chose que Remarque démontre est l'absurdité de la guerre. Le soldat Paul Baümer, qui est le narrateur, ne retrouve plus sur le front le sens des harangues du professeur Kantorek qui incitait ses jeunes élèves à s'engager pour défendre la patrie. Ce qui paraissait alors un devoir sacré s'est transformé en une sorte d'affreuse routine quotidienne où l'homme ne se préoccupe plus que de survivre à travers des mouvements meurtriers d'attaque, contre-attaque où le devoir n'est plus que d'assurer les fonctions vitales, se protéger, manger, dormir et lutter contre les rats qui envahissent les tranchées. L'avenir est devenu une vague notion sans signification devant l'incertitude de l'instant présent.
Le roman est une leçon de pacifisme. Le groupe de soldats qui entoure Paul s'interroge sur le bien-fondé de cette guerre contre les français. "Moi, je n'ai rien contre les français, d'ailleurs je n'en connais pas" dit l'un d'eux. Un autre essaie de laborieusement réfléchir en considérant "qu'une guerre résulte de l'offense d'un pays par un autre". Mais "en quoi une montagne allemande peut offenser une montagne française ?". Avant de conclure qu'il s'agit d'une affaire entre les dirigeants des pays belligérants qui tentent de régler leurs différends sur le dos de leurs jeunesses transformées en chair à canon.
Bien entendu, le roman est une longue description de plusieurs situations où toute une génération est sacrifiée. D'abord, ceux qui en meurent. Mais il y a aussi ceux qui auront des séquelles physiques ou morales. "La guerre a fait de nous des propres à rien" dira Albert avant de poursuivre "nous n'avons plus aucun goût pour l'effort, l'activité et le progrès. Nous n'y croyons plus. Nous ne croyons qu'à la guerre."
Rien ne dit que ceux qui survivront parviendront à se réintégrer dans la société. D'ailleurs Remarque développera ce thème dans d'autres romans comme "Après" où les (futurs) anciens combattants porteront, en Allemagne, le poids de la défaite et des conséquences économiques.
Paul, lui-même, mesurera déjà, lors de sa permission, l'incompréhension entre les gens de l'arrière et ceux qui sont au front.
Pour finir, c'est un roman riche en émotions et en descriptions de scènes d'autant plus atroces qu'elles sont le reflet d'une situation devenue banale dans le monde des tranchées. Mais notons aussi que Remarque ne perd pas pour autant un certain sens de l'humour lorsqu'il évoque le sergent Himmelstoss et le professeur Kantorek, un peu à la façon d'une soupape pour ne pas sombrer dans la folie.
Ce livre fut interdit et brûlé en place publique dès 1933 en Allemagne obligeant Remarque à fuir et à devenir un temps apatride avant de se réfugier aux USA. Il sera adapté au cinéma plusieurs fois dont en particulier par Lewis Milestone, en 1930, qui fera l'objet d'une critique demain.