Livre très étrange que À rebours. Huysmans écrit dans le style “décadentiste” de la fin de siècle, et cherche à offrir une expérience totale en ce sens—bien que son expérience n'ait pas le caractère radical de celle d'un Lautréamont. Il se passe presque entièrement d'intrigue : le protagoniste, Des Esseintes, passe l'essentiel du roman dans une ascèse d'un genre nouveau, qui conserve du christianisme la solitude, et innove en proposant une sorte d'expérience esthétique totale.
On passe donc l'essentiel du récit à lire de longues descriptions des expériences esthétiques de Des Esseintes. Certaines ont eu une postérité (ainsi son pianocktail, qui rappelle de trop près celui de Vian pour qu'il n'y ait pas eu influence), mais certains en deviennent fastidieuses (j'imagine que cela dépendra des goûts du lecteur ; j'ai été captivé par la longue exposition de la littérature latine, qui en assommerait sans doute beaucoup, et laissé froid par d'autres passages non sans mérite). Une ironie plane sur le livre, même si on ne sait pas à quel point : Des Esseintes nous semble évidemment un personnage ridicule, il est clair que Huysmans l'a voulu, mais l'évolution des goûts et des modes a probablement aggravé le trait. M'a fait figure de curiosité littéraire.
Citation : « Du reste, chaque liqueur correspondait, selon lui, comme goût, au son d’un instrument. Le curaçao sec, par exemple, à la clarinette dont le chant est aigrelet et velouté ; le kummel au hautbois dont le timbre sonore nasille ; la menthe et l’anisette, à la flûte, tout à la fois sucrée et poivrée, piaulante et douce ; tandis que, pour compléter l’orchestre, le kirsch sonne furieusement de la trompette ; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones, l’eau-de-vie de marc fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas, pendant que roulent les coups de tonnerre de la cymbale et de la caisse frappés à tour de bras, dans la peau de la bouche, par les rakis de Chio et les mastics ! »