Anéantir
6.7
Anéantir

livre de Michel Houellebecq (2022)

Le critique Arnaud Viviant disait, au Masque, à propos de Sérotonine, le précédent roman de Houellebecq (2019), qu'il y faisait ses "grimaces stylistiques habituelles". Et en effet, le roman était certes désespéré mais surtout extrêmement drôle. Anéantir s'inscrit dans une autre veine et renouvelle le genre houellebecquien : moins dépressif que Extension, moins drôle que La Carte ou Sérotonine - ses meilleurs -, moins science-fiction que Les Particules et La Possibilité d'une île, ce nouveau roman est aussi une autre forme de politique-fiction que Soumission. En fait, c'est très explicitement un roman d'amour, un éloge de l'amour, ce qui peut surprendre.


D'habitude, les héros houellebecquiens sombrent dans leur tristesse et la dépression : ici, Paul Raison retrouve foi en l'amour : pour sa femme, Prudence (Dear Prudence...), pour sa sœur Cécile, représentante d'un catholicisme lumineux, et même pour son père, un ancien de la DGSI victime d'un infarctus. Houellebecq développe encore une fois sa philosophie de la vie, avec clarté et sans détour : la civilisation occidentale s'effondre sur elle-même, il en a suffisamment parlé dans ses autres romans, et il donne deux solutions, l'amour, et Dieu. Il poursuit en parallèle son chemin vers la foi mystique et le catholicisme, fil rouge de ses derniers romans, ainsi que sa critique féroce de la prise en charge de la vieillesse et la fin de vie en France, en conclusion des Interventions 2020. Mais, fondamentalement, Anéantir est un roman d'amour plein d'espérance - c'est étrange à écrire.


Comme toujours avec Houellebecq, l'intrigue compte moins que les personnages. L'enquête sur d'étranges attentats est assez drôle parce qu'elle met en scène des agents des services secrets assez savoureux, comme ce jeune geek-métalleux recruté au service de l'État pour ses connaissances spécifiques de son propre micro-milieu :



Avec son jogging crasseux trop grand de trois tailles, son petit ventre de buveur de bière et ses longs cheveux graisseux et sales, il présentait au monde l'image exacte du métalleux de base, tel qu'il semble mystérieusement dans nos sociétés, depuis cinquante ans déjà, persévérer dans son être. (382)



En toile de fond, la campagne électorale de 2027 se joue, assez oubliable (pour celles et ceux qui pensent que Houellebecq est prophète, le candidat de Macron - jamais nommé - gagne face à l'héritier de Marine). J'ai lu ici ou là que le roman était politique ; à vrai dire pas vraiment, pas plus que d'habitude. Oui, Paul est au cabinet de Bruno Juge, un décalque de Bruno Le Maire dont on ne comprend pas très bien ce qu'il fait là, à part faire l'éloge d'un ami et dérouler une vision économique et politique disons pragmatique pour la France. Tout de même, Bruno Juge est triste en amour et adore les pizzas ; c'est assez drôle d'imaginer le vrai Bruno dévorer des quattro formaggi en bras de chemise, les pieds sur son bureau.


Là où le roman est vraiment intéressant, outre les petites saillies houellebecquiennes savoureuses moins nombreuses que d'habitude et disséminées dans ces 730 pages, c'est donc cet éloge de l'amour, surprenant, dont on a parlé, et comme toujours, c'est là son génie, le regard de Houellebecq sur son époque et sa société - les nôtres.



Et Bruno, il le savait, se serait lui aussi senti mal à l'aise avec ces burgers de création, ces espaces zen où l'on pouvait se faire masser les cervicales le temps du trajet en écoutant des chants d'oiseaux, cet étrange étiquetage des bagages "pour des raisons de sécurité", enfin avec la tournure générale que les choses avaient prises, avec cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d'une normativité quasi-fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. (130-1)



Anéantir n'est pas son meilleur roman, d'accord ; il se passe pour partie dans le Beaujolais et pas en Suisse Normande, et il n'y a pas de vaches (points négatifs) : mais il parle moins de bites et de chattes qui se contractent (point positif). De très loin et sans hésitation, je préfère avoir tort avec Houellebecq que raison avec une bonne partie des écrivains contemporains, comme disait l'autre.

antoinegrivel
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs livres de Michel Houellebecq et Les meilleurs livres de 2022

Créée

le 8 janv. 2022

Critique lue 1.7K fois

7 j'aime

3 commentaires

Antoine Grivel

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

7
3

D'autres avis sur Anéantir

Anéantir
No_Hell
6

Un roman bankable qui s’avère plutôt bancal

Paul Raison est énarque et conseiller de Bruno Juge, ministre de l’économie et des finances. C’est dire qu’à quelques mois de la présidentielle de 2027, il a de quoi faire pour occuper ses jours et...

le 8 févr. 2022

29 j'aime

15

Anéantir
jaklin
8

Petit traité du XXIème siècle

Qu’attend-on d’un écrivain ? Qu’il nous élucide le monde ? Qu’il nous révèle ses aspects cachés ou impensés ? Qu’il partage avec nous sa vision du monde, soit optimiste, soit pessimiste ? Dans ce...

le 27 nov. 2023

19 j'aime

11

Anéantir
SombreLune
8

Il ne reste que l'amour !

Salut Michel J'espère que malgré la quantité de clopes que tu t'envoies quotidiennement tu vas bien. Evidemment je te souhaite une mort rapide voire violente qui ne te laisse pas le temps de...

le 28 janv. 2022

18 j'aime

9

Du même critique

Cher connard
antoinegrivel
7

Être V. Despentes est toujours une affaire plus intéressante à mener que n'importe quelle autre

Dissipons le malentendu tout de suite : ce n'est pas un très bon roman. Le dispositif narratif en conversation épistolaire tourne vite à vide, quoique fort divertissant les cent premières pages. Ce...

le 22 août 2022

40 j'aime

3

Connemara
antoinegrivel
7

La méthode Mathieu

Ouvrir un roman de Nicolas Mathieu, c'est un peu comme ouvrir un Houellebecq : on sait ce qu'on va lire, avec quelques variations à chaque fois, et on n'est jamais déçu. La méthode Mathieu, c'est...

le 10 mai 2022

30 j'aime

Veiller sur elle
antoinegrivel
5

Laurent Gaudé en Italie du Nord

Je sais bien qu'il ne faut jamais regarder les bandeaux, que c'est une ruse d'éditeur. Je me sens trompé par Olivia de Lamberterie, que j'adore. Une "émotion exceptionnelle", tu parles... Au moins,...

le 8 nov. 2023

16 j'aime

13