Quel plaisir pour un non initié comme moi de découvrir l'histoire et les traditions chinoises à travers ce livre ! J'aimerais à ce propos recommander l'excellente traduction de Jacques Dars et ses annotations très enrichissantes sans lesquelles le texte aurait probablement été beaucoup plus difficile à aborder.
Un peu d'aide n'était d'ailleurs pas de refus, parce qu'au début on bute, on hésite, devant tous ces noms aux consonantes étrangères (Lu-Zhi Shen, Wu Song, Song Gong-Ming, ...), mais force est de constater qu'on s'habitue plutôt vite. D'autant plus que chaque personnage a un surnom qui permettra de le reconnaitre même si son nom vous apparait impénétrable.
Vous aurez remarqué que je décerne au livre un 8/10,.. mais il convient de garder en tête que le premier tome vaut clairement plus à mes yeux, tandis que le second, bien moins.
Pourquoi cette dichotomie ? Eh bien c'est très simple : les intrigues du premier livre sont originales, et on prend le temps de s'attarder sur certains personnages. On va suivre Shi Jin, le Dragon Bleu, jusqu'à ce qu'il croise la route de Lu Da, que l'on se met alors à suivre, jusqu'à ce qu'il croise Lin Chong "Tête de Léopard", etc etc... cette mécanique qui permet d'enchainer sur différents personnages est très fluide et permet de développer des personnages mémorables. Voici pour moi la liste des personnages les plus intéressants :
- Song Jiang, le héraut de justice (aka le chouineur qui mène les brigands)
- Wu Yong, l'astre de sapience (aka le stratège machiavélique)
- Gong-Sun Sheng, le Dragon-entre-les-nuages (aka le magicien)
- Lin Chong, tête de léopard (aka le bretteur invincible)
- Qin Ming, la foudre
- Hu-Yan Zhuo, double-fouet (deux généraux un peu stylés)
- Hua Rong, le petit Li Guang (aka un véritable dieu à l'arc)
- Chai Jin, le petit ouragan (aka le mec qui a la classe)
- Lu Zhi-Shen, le bonze tatoué (aka le frère Jean chinois)
- Wu Song, le pélerin (aka le mec honnête mais rancunier)
- Zhu Tong, belle barbe
- Yang Zhi, le fauve à face bleue
- Dai Zong, le messager magique, (aka Hermes)
- Li Kui, le tourbillon noir (aka la brute sur patte)
- Shi Jin, le dragon bleu
- les frères Ruan
- Zhang Heng, le nautonier (aka le passeur fourbe)
- Zhang Shun, l'anguille blanche (aka le super nageur)
- Shi Xui, brave la mort (aka c'est pas mes oignons mais j'interviens)
- Wang Yin, le tigre nain (aka le petit homme libidineux)
- Hu la troisième, vipère d'une toise (aka la seule femme vraiment douée au combat)
- Sun la cadette, l'ogresse (aka la cannibale)
- Shi Qian, puce sur le tambour (aka le voleur)
Cette liste vous a paru longue ? Voyez vous le problème c'est que j'ai cité 25 personnages qui sortent plus ou moins du lot (et encore j'ai été gentil pour certains), alors qu'au final, la bande de brigand compte CENT HUIT larrons...!!
CENT HUIT !
C'est peu dire que trois quart des personnages ne sont donc absolument pas développés. On les reconnait facilement : ce sont eux dont on a le plus de mal à retenir le nom et le rôle... Et vous savez quoi ? On rencontre la plupart dans le deuxième tome. On n'y prend plus le temps de développer des personnages, non : on croise simplement sur la route des types sans âmes, ils demandent à rejoindre la bande, le groupe festoie et voilà. Ou bien on capture un général ennemi, Song Jiang défait ses liens et s'excuse, et le général touché par tant de magnanimité rejoint la bande! Bis repetita. Ad nauseam. Les ressorts du recrutement sont beaucoup plus répétitifs, et on finit par s'ennuyer de plus en plus. Surtout qu'on a l'impression que ce sont toujours les mêmes phrases qui sont employées, que Song Jiang passe son temps à geindre, etc... bref ça manque de renouvellement.
Dommage, parce qu'à part ça, comme je l'ai dit, Au Bord de l'Eau est un véritable petit bijou, et l'histoire de ces hommes qui deviennent brigands à cause de l'oppression du pouvoir est très intéressante.
C'est sur leurs méthodes et leurs traditions qu'on sera moins raccord, cependant... j'ai été étonné de constater à quel point le cannibalisme (j'ai bien dit le cannibalisme) semblait sinon banal, au moins "fréquent". Il arrive à plusieurs reprises que certains personnages manquent de peu de devenir du pâté ou des tranches de viande du fait d'aubergistes peu scupuleux, mais ils n'en gardent pas rancune et vont même au contraire jusqu'à les recruter ! Même les héros principaux mangent le coeur d'un de leurs adversaires à la fin du livre... C'est très étonnant et cela empêche quelque peu de se sentir proche des personnages...
Autre chose : le rapport des personnages à leur famille. Ils y semblent très attachés, mais n'hésitent pas à massacrer celles de leurs rivaux (ou est donc leur belle moralité, de ne pas s'attaquer aux innocents ?). A la limite pourquoi pas, c'est la guerre... Mais que pensez-vous de la manière dont Qin Ming est recruté ? petit résumé :
- Qin Ming est un général en vogue, et refuse de se joindre aux brigands qui aimeraient le voir grossir leurs rangs.
- Ils l'invite à boire et à manger dans leur repaire
- La nuit, ils volent son armure et son cheval pour incendier la ville natale du général (causant moult morts au passage). A cause de cela, Qin Ming est discrédité et sa famille est massacrée.
- Qin Ming, le lendemain, comprend toute l'affaire : "Bon bin les gars, du coup plus rien ne me retient, je vais rester avec vous !". Mais bien sûr !
De même Li Kui est un personnage amusant par moment (il combat tout nu, que diable), mais il n'hésite pas à tuer un enfant pour recruter Zhu Tong.
Au moins la vengeance de Wu Song sur sa belle soeur a beau être d'une violence inouïe, elle parvient à rester jouissive parce qu'on sent qu'elle est plus ou moins légitime. Mais souvent les brigands ne s'encombrent pas d'une telle légitimité.
Enfin, la perception de la hiérarchie à l'époque était tout simplement odieuse, et il ne faisait pas bon être le subordonné de qui que ce soit.
Bref c'était pas joli joli. Mais c'est ce qui fait de Au Bord de l'Eau une expérience à part, d'une certaine manière. Ces personnages semi-raffinés, semi-barbares, amis fidèles autant que traitres sournois, qui passent leur temps à s'empiffrer et à guerroyer sont tellement différents de ce à quoi nous sommes habitués qu'il est inimaginable de ne pas apprécier le voyage.
Je recommande !