Avec ce quatrième livre consacré à un illustre fait divers français, Philippe Jaenada creuse son sillon de romancier-enquêteur, qui lui vaut ces dernières années un joli succès public (et même critique).
Partageant cette fascination pour les faits divers qui racontent leur époque, je suis très client des bouquins de Jaenada, d'autant que je ne savais presque rien sur cette affaire Lucien Léger, trop ancienne pour avoir squatté les émissions spécialisées (pas de "Faites entrer l'accusé" à son sujet, notamment).
La première moitié du bouquin, au cours de laquelle l'auteur narre les évènements, est un véritable sans-faute : 10/10. Mystère, suspense, angoisse, Jaenada tient le lecteur dans le creux de sa plume, à l'issue d'un travail d'enquête d'une précision impressionnante.
J'ai notamment adoré la brillante idée de mise en scène (de mise en page!) qui nous apprend la mort du petit Yves Taron.
Jusqu'au procès de Léger, grosso modo, "Au printemps des monstres" est un chef d'œuvre du genre, Jaenada parsemant toujours son récit de disgressions souvent insolites (et pas trop nombreuses, cette fois-ci) qui offrent au lecteur une respiration bienvenue.
Ensuite, le livre devient moins convaincant : Jaenada se met à ratiociner, poussant son goût du détail un peu trop loin à mon goût, s'éloignant de l'enquête proprement dite pour s'atteler au portrait de ses divers protagonistes.
Parallèlement, on s'aperçoit que le parti-pris de l'auteur en faveur de l'accusé le pousse à se fourvoyer. Jaenada défend la thèse selon laquelle Léger serait l'auteur des lettres (c'est prouvé), mais n'aurait pas commis le crime, couvrant un mystérieux commanditaire.
Or, sans aborder la question de la culpabilité, on sait au moins que Lucien Léger est un menteur à l'esprit retors (ses courriers le prouvent, rien ne l'obligeait à une telle violence, à une telle cruauté). Or Jaenada le présente comme un gentil paumé un peu naïf, faisant mine de le suivre dans certains de ses mensonges les plus grotesques.
Les arguments de l'auteur ne sont tout simplement pas convaincants.
En effet, on constate que plus d'un demi-siècle après les faits, Jaenada ne peut plus rien découvrir de neuf (ou si peu), de sorte que sa volonté de rétablir une quelconque vérité ne s'appuie que sur son ressenti personnel, par conséquent son propos tourne souvent à vide.
La seule chose que démontre le bouquin, c'est qu'une instruction-fleuve comme le dossier Léger comporte nécessairement des erreurs, des oublis, des parti-pris, que l'on retrouverait dans la plupart des grandes affaires du siècle écoulé.
Reste que Jaenada demeure un conteur hors-pair, même lorsqu'il s'égare sur des questions périphériques : je recommande donc malgré tout cette plongée dans les années 60, et je n'hésiterai pas à le suivre lors de sa prochaine enquête.