Aurélien est probablement l'un des romans d'amour les plus connus, ne serait-ce que pour son extraordinaire première page, qui n'a pas volé sa réputation — Aragon y saisit, avec un talent consommé, la cristallisation instantanée du sentiment pour une femme qui était un instant avant une inconnue, ce pour une futilité, peut-être pour un vers de Racine (“Je demeurai longtemps errant dans Césarée”). S'il n'est jamais facile de se retrouver inscrit dans un panthéon littéraire pour une première page (le risque est là de décourager les lecteurs d'aller plus loin), la suite relève le gant : les mondanités parisiennes d'une bande de riches oisifs et le gâchis d'un amour sont tressées sans effort (apparent) par Aragon. Mes sentiments sont peut-être un brin plus ambivalents pour ce qui est du chapitre de conclusion — réaliste pour ce qui est du devenir d'Aurélien, peut-être a-t-on plus de mal à croire en la métamorphose politique de Bérénice.
Une citation (c'est vraiment pour ne pas citer l'incipit) : « Et ils ne dirent plus rien que des choses banales, comme le feu, merveilleuses comme le feu. Le mystère du feu les rapprochait. […] Dans le sortilège des flammes, qu’on pourrait sans fin regarder, qui s’évanouissent pour reprendre, dansent, se creusent, bleuissent, se détachent du bois, retombent sur lui et le lèchent à la façon des langues de la Pentecôte, dans le sortilège des flammes, ils retrouvèrent les chemins profonds de leurs pensées séparées, les carrefours brûlants de ces chemins. »