Melancholia: Requiem for a Scrivener (for us?)

J’aurais préféré ne pas écrire sur cette histoire de Melville, mais mon côté homme de loi l’a emporté l’espace de ce texte.



« Né en » ou « néant », telle est la question. D’où Bartleby vient, on ne sait pas, personne ne sait, mais où il va, c’est chose certaine.



Bartleby le scribe, c’est avant tout sa célèbre phrase qui a fait des cheveux blancs à bien des traducteurs (ça, c'était pour la lapalissade): "I would prefer not to." et cette volonté d'un copiste de déconnecter "faire" et "dire" pour ne pas les confondre, pour ne pas jouer selon les règles du jeu, celle imposé par les hommes et la société qu’ils ont élevée.


Bartleby le scribe est un conte tragique, baignant dans la mélancolie et la folie, ou une certaine forme de folie (Après tout, la folie n’est jamais loin de la mélancolie). C'est le passage d'un semblant d'existence à un stade d'inexistence, paradoxalement relaté par un homme de loi honnête sans l'être tout à fait. Le récit devient alors un cri étouffé, mais aussi le récit d'un combat et d'une défaite, celle du scribe. Il n'y a pas de plaisir à lire cette histoire, plutôt un profond malaise, parfois même une sorte d'irritation. Envers le narrateur? Envers Bartleby? Envers les autres copistes et tous les autres intervenants? Probablement à l'égard tous, oui. Ces sentiments lassent à force d'être excessifs, en ressort paradoxalement une profonde humanité. Et alors vient ce faux épilogue, et cette rumeur niant ou voulant nier le néant. Oui, c'est bien ça, "l'humanité", mais l'humanité vaincue, déchue parmi les mots et les faits et sur la distance qui sépare les uns des autres. L'un les déconnecte, l'autre fait tout pour les connecter et renforcer leur lien. Un combat passif, un combat d'usure, un combat déchaîné, un combat en forme d'énigme. Tout est dit. Rien n'est dit.


Non, il n'y a vraiment pas de plaisir à lire cette histoire de Melville, peut-être parce que c'est un regard qui scrute une âme insondable sur laquelle aucune prise n'est possible par une autre...



"Pour une âme sensible, la pitié est souvent douloureuse. Et quand finalement, l'on perçoit qu'une telle pitié ne peut constituer une aide efficace, le bon sens exige de l'âme qu'elle s'en débarrasse." dit le narrateur.



Un texte court qui au final permettra à son lecteur d'en apprendre davantage sur lui-même et sur sa propre nature. Car au fond, cette histoire existe pour mieux nous placer face à nous-mêmes. Alors, merci, M. Melville.


(Et je comprends ainsi pourquoi Nanni Moretti a appelé le pape d'Habemus Papam Melville)

Templar
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le 5 mars 2013

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