Georges Duroy est un ancien sous-officier du 6e régiment des hussards. Il a gardé son « chic de beau soldat tombé dans le civil. » Il porte beau, avec une légère cambrure des reins et une moustache qui « s’ébouriffait sur sa lèvre, crépue, frisée, jolie, d’un blond teinté de roux. » Bref, il a pour lui le physique idéal de l'époque. Seulement Bel-Ami est réduit à l'état de pauvreté du fait de son travail dans les chemins de fers du Nord et son comportement dépensier. Il retrouve par hasard un ancien camarade, Charles Forestier, qui le coopte à la place de rédacteur au journal La Vie Française. Le hic, c'est que Georges ne sait rien écrire. En demandant de l'aide à Forestier, il comprend que c'est sa femme qui lui écrit tous ses articles. Sur cette base de la femme détentrice ou donnant l'accès à un pouvoir, Bel-Ami va séduire et trahir pour grimper les échelons. Entre les lignes, Maupassant introduit un humour qui aurait pu être burlesque si son style ne l'avait pas lissé. Quand Georges Duroy épousera une femme à qui il doit tout, ses collègues du journal l'appelleront par le nom de famille de son épouse, ce qui le fera enrager. Bel-Ami est une brute qui se trouve terrorisé par la perspective d'un duel d'honneur et s'indigne de cette pratique d'autre âge. Maupassant n'épargne pas son milieu social. Des journalistes s'essayent au bilboquet aux heures du bureau et y rivalisent d'adresse. La critique sociale pourrait s'effacer devant le burlesque de la situation. Au contraire, sa plume tient ferme la bride de ses idées et redouble alors d'élégance, de sérieux et de pudeur. Quand Bel-Ami est introduit dans certains milieux bourgeois, force est de constater que la guerre d'Algérie est sur toutes les lèvres, mais personne ne sait vraiment de quoi il parle. C'est un florilège d'avis pompés dans les journaux, entendus chez un voisin, on s'approprie ce qu'on croit être le propos d'un livre à travers la lecture des avis, et cetera. Georges Duroy, tout aussi ignorant, mais fort de son expérience de soldat en Algérie, est rapidement auréolé d'une expertise fantoche et conforte ses positions. Si Maupassant accorde le triomphe de ses ambitions à son personnage, c'est pour mieux se moquer des arrivistes et des classes dominantes. Cela dit, en connaissant un peu l'auteur, je l'imagine mal écrire avec l'envie de dénoncer, au sens moral de celui qui est préoccupé par la justice et veut changer les choses. Je le verrais plutôt en rire avec cynisme ou être motivé par le ressentiment envers son propre milieu, qui l'a rejeté. Maupassant était un ours taciturne, souvent très vulgaire et à plusieurs reprises criminel. J'ai été ébahi d'apprendre qu'il baisait parfois cinq ou six prostitués sous les yeux de ses amis (comme Flaubert) qui applaudissaient ses performances. Il a probablement tué un bizut en lui enfonçant une règle dans le cul et il a annoncé à une prostitué être atteint de la syphilis, s'est peint le pénis avant de la violer. C'est le genre de détails qu'on apprend pas à l'école. J'aurais préféré que ce cynisme savoureux soit la marque d'un dandy retiré, et pas d'une espèce de bête. Le livre restera tout de même dans mes classiques préférés.