« Mes parents voulaient que je naisse à Beyrouth. (…) Ils pensaient que la guerre se terminerait et qu’ils rentreraient enfin. Ils ne voulaient pas que je naisse à Paris, alors pendant toute leur vie ils ont recréé sans s’en apercevoir Beyrouth à la maison. Je suis né à Beyrouth dans une rue de Paris. »
Lorsqu’ils sont arrivés à Paris en 1975, au moment où la guerre éclatait au Liban, les parents de Sabyl Ghoussoub ne pensaient y rester que deux ans, le temps d’y achever leurs études. Plus d’un demi-siècle plus tard, leur fils, finalement né en France et désormais trentenaire, entreprend de les interroger sur leur histoire, manière pour lui, incidemment, de réfléchir à son propre rapport au Liban.
C’est avec une émotion palpable qu’à partir de leur évocation, dans le désordre et souvent dans la contradiction, de leurs souvenirs les plus prégnants, l’auteur se fait une idée de ce qu’ont pu vivre ses parents, depuis leur départ du Liban pour ce qu’ils ignoraient alors un exil définitif. Peu à peu, pour nous comme en autant d’émouvantes séquences de vieux films Super 8, pour eux en une suite de bouffées d’émotions venant crever la surface de leur mémoire, émerge du passé leur réalité, passée au crible de leurs ressentis et de leur subjectivité.
De leur affolement et de leur désarroi de se voir toujours plus indéfiniment séparés de proches restés au coeur d’une tourmente si complexe que plus personne ne finit par plus rien y comprendre, à leur impossibilité de prendre parti quand ceux qu’ils aiment se transforment parfois de victimes en bourreaux, en passant par leur horreur quand la guerre au Liban les pourchasse jusque sur le sol français au travers d’une série d’attentats qui les frôlent d’ailleurs à plusieurs reprises, se met ainsi en place une histoire dont l’auteur s’approprie l’héritage, en une sorte de mythologie personnelle qui lui fera déclarer lors d’une interview : « Cette autofiction m’a permis de me construire une mémoire écrite, qui est en soi totalement fausse et qui est l’histoire que je me raconte. C’est mon Liban à moi. »
Peinture vibrante et fantasmée d’un Liban toujours plus martyrisé que sa diaspora recrée dans le quotidien de foyers reconstruits dans l’exil comme autant de minuscules parcelles détachées de la terre-mère et au travers de vastes communautés en ligne, ce livre est aussi pour l’auteur un cheminement très personnel, une réflexion existentielle sur ses origines, son identité et son appartenance. On le referme le coeur serré pour tous les Libanais dont l’actualité ne finit plus de prolonger le calvaire, et plein d’affection pour ses si humains personnages.
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