Cela faisait plus de dix ans que j'attendais de lire Bouvard et Pécuchet, le roman posthume, la somme de ses réflexions et la synthèse de son style, en bref le testament du grand Gustave Flaubert. Mon attrait pour ce livre remonte en fait au cours de lycée de première où Madame Bovary était au programme et dont les analyses de texte étaient semées de référence à l'ouvrage qui est aujourd'hui le sujet de ma critique.
Une des raisons de mon enthousiasme modéré pour ce roman tient en partie à l'image fantasmée que je me suis construit au fil des années ; et pour le dire simplement, en clôturant le dernier chapitre de l'oeuvre romanesque de Flaubert j'ai ressenti ce sentiment universel : la déception.
Mon principal reproche tient à l'absence d'empathie envers les deux protagonistes. Contrairement à Frédéric Moreau et Emma Bovary pour lesquels Flaubert parvient à créer une connexion émotionnelle grâce à la description de leurs pensées, Bouvard et Pécuchet semblent creux et fades. Alors que pour les deux premiers protagonistes que j'ai cités, on percevait chez l'auteur une certaine sympathie voire une identification bienveillante ("Madame Bovary c'est moi"), les deux personnages de son dernier roman font l'objet de son plus profond mépris ; c'est un rejet sans équivoque de tout ce qu'ils représentent, sans la moindre nuance. Cette perception a contribué à mon manque d'investissement dans l'histoire.
Concernant le scénario du livre, il souffre à mon sens de son côté thématique. La succession des chapitre selon leur sujet a un côté très mécanique qui donne plus l'impression de lire un catalogue de stupidités qu'une authentique exploration de la bêtise humaine avec ses détours et ses surprises.
De ce fait, il me semble que je suis passé à côté du potentiel comique du livre, une dimension que l'auteur affectionnait beaucoup dans ses romans "modernes".
A travers la succession des chapitres, on se rend bien compte que Flaubert a lu une somme gargantuesque de livres pour rédiger le sien ; on imagine aisément les journées entières de recherche et de synthèse qui lui ont été nécessaires. Et justement, c'est que cela se "voit" trop, c'est comme si l'on voyait les fils d'une marionnette comme de grosses cordes : cela brise l'illusion.