Étrange créature que Carmilla, bien éloignée des vampires en définitive très humains de Twilight que je ne peux m’empêcher de citer car bien que les romans de Stephenie Meyer se soient globalement fait laminer par la critique, il n’en demeure pas moins qu’un nombre non négligeable de lecteurs a lu cette saga et que la figure contemporaine du vampire convoque immanquablement chez certains celle d’Edward ou de Carlisle Cullen (à moins que vous ne préfériez les vampires plus "première vague" des années 1819 comme l'énigmatique Lord Ruthven).
Comme eux, Carmilla a la beauté parfaite et la grâce ; un parfum doux, suave enveloppe toute sa personne. Comme eux, elle possède une force surnaturelle, en disharmonie avec son apparence de jeune enfant mince aux joues roses et aux petites mains. Comme eux, Carmilla fait montre d'un grand talent pour hypnotiser ses victimes et les plonger dans une forme d’extase quoique celle-ci soit insidieusement mêlée à un étrange sentiment de révulsion.
Cependant, pendant qu’Edward Cullen disserte sur le Salut de son âme perdue, Carmilla n’est pas autre chose qu’un monstre qui se languit de boire le sang de sa victime dans le secret de la nuit, tandis que chacun dort. Son caractère parfaitement inhumain apparaît dans ses attitudes étranges, dépourvues de cohérence, tantôt passionnée dans ses interactions avec sa jeune hôte, tantôt froide et redoutable la nuit venue, plantant ses dents dans la chair comme des aiguilles dans un tissu, sans l’ombre d’un remords.
La jeune narratrice ne brille pas franchement par sa vivacité d’esprit et tout le déroulement de son histoire révèle une compréhension des événements bien à posteriori, ce qui peut agacer le lecteur. Ce n’est d'ailleurs probablement pas un hasard si le roman porte le nom de la créature qui la martyrise plutôt que le sien.
Le développement de l’intrigue est très simple ; quelques scènes du début m’ont rappelé Le Lac des Cygnes, notamment la scène du bal au début du roman dans laquelle se mêle tout un jeu de faux semblants et de séduction, où les apparences trompeuses dupent le père de Laura, de la même façon que le baron Von Rothbart berne la mère de Siegfried et le prince lui-même en leur présentant sa fille Odile comme étant la belle Odette. Le même jeu trompeur s’installe avec la jeune Carmilla, qui paraît d’autant plus inoffensive qu’elle vient d’être la victime d’un terrible accident. Dans ses élans passionnés envers sa jeune amie, elle affiche une impulsivité douloureuse, ambiguë; une soif de quelque chose que la narratrice prend pour de l'affection ... à tort.
Sheridan Le Fanu a eu une étrange gestion de l’écriture pour Carmilla, pour ne pas dire fantaisiste car si les premiers chapitres sont développés et relativement bien étoffés pour planter le décor, les chapitres suivants sont plutôt courts et la fin semble écrite à la hâte, comme si l’auteur avait cherché à se débarrasser de son histoire. Les dernières pages sont confuses, les faits et les personnages nous arrivent dans un désordre précipité. J’ai cru comprendre en lisant la préface que notre auteur, avait – outre un nom un peu original – l’esprit tourmenté, après le décès de son épouse âgée de seulement trente-trois ans et que la majorité de ses écrits s’était ainsi resserrée autour de la thématique du fantastique. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’attribuer la fin du roman quelque peu désordonnée à un esprit fatigué par des nuits d’insomnie, quoi que cette seule explication me paraisse un peu maigre.
Sheridan Le Fanu lui-même ne connut pas réellement les affres de la vieillesse puisqu’il disparut au beau milieu de l’écriture d’un ultime texte au titre prémonitoire – Willing to Die – à l’âge de 58 ans.
Malgré ces quelques défauts, Carmilla reste cependant une petite histoire aisée à lire, point trop ambitieuse pour le lecteur inconstant, idéal pour les trajets dans les transports en commun ou les après-midi ensoleillées dans un parc. ☼