Peut-être est-ce la sortie récente de Infiltrator (l'histoire de Bob Mazur qui fit tomber une partie du cartel de Medellin, celui de Pablo Escobar) mais on n'a pas pu laisser passer la sortie du pavé de Don Winslow : Cartel, qui évoque lui, les affaires mexicaines d'El Chapo (l'évadé interviewé par Sean Penn).
Faut dire qu'il faut à peine quelques pages de prologue pour que Don Winslow nous accroche fermement et définitivement : une fois hameçonné, le lecteur n'aura de cesse de tourner les 700 pages de ce gros pavé. Le genre qui pèse dans les mains (vive la liseuse électronique !) plusieurs nuits d'affilée, jusqu'à 1 ou 2 heures du mat'.
On n'avait pourtant pas lu le succès précédent (La griffe du chien) dont c'est la suite, annoncée comme encore meilleure.
Mais c'est peut-être pas plus mal parce que Winslow prend soin de nous résumer habilement les précédentes années de guerre contre les cartels mexicains.
[...] Ce n’était que le début de la longue guerre de Keller contre les Barrera, un conflit de trente ans qui allait lui coûter tout ce qu’il possédait : sa famille, son travail, ses croyances, son honneur, son âme.
Ce prologue est passionnant (presqu'un bouquin dans le bouquin) et on a droit à quelques explications bien senties sur le marché de la drogue qui unit les US à 'leur' Mexique dans une étreinte fatale.
[...] Le prétendu problème mexicain de la drogue est en fait le problème américain de la drogue. Pas de vendeur sans acheteur. La solution ne se trouve pas au Mexique et elle ne s’y trouvera jamais.
Ce prologue nous permet également de faire connaissance avec les deux protagonistes qui vont reprendre leur duel entamé dans La griffe du chien : l'américain Art Keller, franc tireur de la DEA ou de la CIA (selon l'officine qui veut bien le couvrir bon gré mal gré) et le mexicain Adán Barrera, patròn du Cartel.
Une fois le décor planté pour les nouveaux lecteurs venus, c'est parti et la machine de guerre est (re)lancée ...
Des tonnes de drogue vont passer la frontière, des millions de dollars vont changer de main, des dizaines de cadavres vont tomber en chemin ou carrément cramer dans des fûts de gasoil.
Les gangs mexicains vont s'entredéchirer pour le contrôle de ce trop juteux trafic et les officines américaines vont rester prises dans un engrenage où elles n'ont plus d'autre choix que de favoriser temporairement l'un des cartels pour démanteler les autres, puis un autre pour défaire le pouvoir du précédent, puis ...
[...] Car les Américains ne retiennent jamais les leçons.
[... DEA, CIA, ...] Un tas d’autres agences, une véritable soupe aux pâtes alphabet, qui coopèrent et/ou rivalisent à divers degrés au sein de juridictions qui se chevauchent.
On est au cœur même des haletantes scènes d'action, des âpres et mortelles négociations, des trahisons et des compromissions, des exécutions sommaires, des morceaux de bravoure (la fête de Noël à la prison, le mariage, la grève de la faim, ...), des assauts donnés sur l'altiplano, ...
Mais au-delà de la violence et de la force du sujet, qu'est ce qui fait donc la puissance et le succès des bouquins de Don Winslow ?
Ce n'est certainement pas le style d'une prose assez neutre, même si c'est très professionnel, fluide et agréable à lire.
Peut-être la luminosité des explications, données l'air de rien, sur ces complexes rouages : sans fatuité pédagogique ni pédantisme savant, juste ce qu'il faut pour éclairer intelligemment le lecteur (même à 2h du mat').
Et assurément, le sens confirmé de la narration et de la mise en scène : on s'installe dans ce bouquin comme dans un bon gros fauteuil de cinéma, musique, générique, et c'est parti pour un blockbuster 100% plaisir de lecture (en dépit de l'effarante violence des faits rapportés) !
D'ailleurs, côté cinoche, c'est déjà signé : Ridley Scott est en train de remettre le couvert après son précédent et déjà Cartel (c'était en 2013 sur un scénario de Cormac McCarthy).
Ce film de Don Winslow est un peu long : plus de 700 pages, plus de 6 heures de lecture éprouvante pour le lecteur français. Ce qui n'est rien comparé aux 365 jours par an vécus par la population mexicaine.
Une dernière citation à méditer (qui annonce peut-être le prochain bouquin de Winslow) :
[...] Quand vous prononcez le mot « narcotrafiquant » à Washington en dehors des couloirs de la DEA, vous n’obtenez plus que des bâillements. Mais si vous dites « narcoterrorisme », vous avez droit à un budget.
Pour celles et ceux qui aiment les films d'action.