Dans ce court livre que l'on suppose autobiographique, Céline nous narre l'arrivée, par une nuit de tempête automnale, d'un jeune engagé au 17° de cavalerie lourde. Et les aventures nocturnes dans lesquelles il se trouvera embarqué, bon gré mal gré.

Odyssée noire, à travers le fumier et la dégringolade pluvieuse, c'est un roman choc par son langage. Le bon docteur Destouches, nous attaque à grands coups de jargon militaire, d'argot de troupe incompréhensible. de bordées d'injures tragi-comiques. C'est tout l'absurde de la vie de casernement qu'il retranscrit dans son style inimitable. Une virilité grotesque prend forme sous nos yeux, mi-esbrouffe, mi-mauvaise foi.

La caserne, parlons-en, c'est une épave sous la tempête de novembre, ébranlée par l'incurie des soldats, les coups de boutoir des rosses déchaînées, et la fureur des éléments que rien n'enchaîne (et surtout pas les imprécations vertement grossières des troufions). Une fantasmagorie d'apocalypse, de portes claquant sur des pelotons transis, des tas de paille truffés de troufions éthylés, de cavaliers démontés de fatigue. Des pavés usés de bourrasques et de trombes d'eau, dévoreurs de chevilles de bleus pas assez prudents. Une masse menaçante et informe, immense et vide, qui ne prend un semblant de géographie que dans les discussions aux termes bourrus des cuirassiers.

C'est aussi une galerie de personnages truculents, à la langue débridée donc. Céline transmet le verbiage haché, les ordres beuglés et à moitié avalés, les brimades moqueuses. Il y a le "maréaogie" Rancotte, le butor craint de tout le peloton, le brigadier Le Meheu, soûlard impénitent et incapable, à la recherche d'un mot qu'il ne trouvera jamais, pas même dans les brume consolatrices des quarts de gnôle. On trouve l'Arcille dans son écurie, hercule de pacotille, pataugeant dans le crottin de son écurie d'Augias, baratineur illuminé et geignard, Cassandre pourvoyeur de litrons. S'agitent toute une portée de Bretons mi-cavaliers, mi-brutes épaisses, en tenue toute de ferraille et de cuir. Et au milieu de ce crique infernal, la recrue Ferdinand, trimballée de poste en poste, étouffée dans la masse fumante de ses camarades de patrouille, rackettée par eux pour assouvir leur soif.

On imagine que les errements de l'engagé ne cesseront pas avec l'appel criard du clairon matinal. C'est le coup de force de Céline, qui en une nuit, brosse le portrait d'années de classes, de vexations, de chutes. Un drôle (avec l'humour féroce, tordant et bien particulier de l'auteur) de voyage au bout de la nuit, tout en noirs et en gris, au centre d'un maelström d'alcoolisme, de brutalité et de bêtise.
Pedro_Kantor
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le 2 avr. 2011

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Pedro_Kantor

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