Si Bukowski avait bien une tête à écrire des histoires de poivrots, Gabriel Garcia Marquez a lui plutôt hérité du modèle "trogne de pépé malicieux toujours prêt à raconter une légende en fumant sa pipe et en te laissant démêler toi-même le vrai du faux". Cent ans de solitude c'est ça, un univers singulier à l'allure de conte baroque, mais transposé dans un village poussiéreux et rempli de bestioles. Où la réalité la plus crue se mêle à une atmosphère étrange qui joue avec nos certitudes. On y peint la guerre, l'industrialisation sauvage, les catastrophes naturelles... à travers une brume faite d'esprits, de dons et de malédictions. A l'image finalement de la Colombie et de l'Amérique latine, à cheval entre le monde occidental et le mystère de ses civilisations disparues.
Le récit est particulier, avec de grandes ellipses, et parfois la (fausse) impression d'un retour à zéro, tant la famille Buendia n'arrive pas à se défaire de ses propres démons. Ce qui empêche le déjà vu, c'est notamment la galerie de portraits. Celle d'une famille d'extravagants, de dingues, d'obsessionnels. Garcia Marquez y tisse des relations complexes, faites d'amour-haine et de non-dits, les montrant à la fois liés par le sort et étrangers les uns aux autres.
Attention juste pour ceux qui préfèrent les histoires dans un cadre bien délimité. Ici les personnages, les intrigues, les idées aussi fusent et s'entrecroisent, mais le tout forme un univers cohérent, comme un petit monde à part irrigué par la même poésie fantasque.
A lire de toute façon pour le dénouement, qui en cinq pages et dans un style superbe, éclaire l'ensemble de l'histoire et la remet en perspective... comme si les cent ans passés se trouvaient subitement révélés dans toute leur force.