Franchement, j'ai énormément de mal à comprendre la hype qui a entouré ce roman de Leïla Slimani au point de le conduire à décrocher le Goncourt en 2016. Je ne saisis pas ce que les gens ont trouvé à ce roman, au delà du fait qu'il est indéniablement bien écrit et, il faut le reconnaître, prenant - prenant comme le sont ces vidéos de furoncles qu'on éclate ou ces récits de procès sordides qu'on lit avec une espèce de stupeur morbide, en se félicitant de ne pas être comme "ces gens-là".
De bout en bout je n'ai pu dépasser le dégoût que m'a inspiré cette histoire médiocre qu'on attendrait plus certainement dans la bouche de petits bourgeois jouant à se faire peur. De fait, "Chanson douce" nourrit avec avidité le fantasme malsain et horrifique d'une bourgeoisie qui se rêve des ennemis intérieurs, qui se complait dans la peur poisseuse et irréelle du crime intime pour tenir à distance une classe populaire que sa différence marginalise.
Si ce n'est son dispositif narratif, qui est d'ailleurs loin de tenir ses promesses, rien de ce que Slimani découvre comme idée d'intérêt ne se concrétise vraiment : le rapport ambigu des classes moyennes à leur domination des classes populaires, la fragilité des structures sociales devant l'impératif du travail, les inégalités dans le couple, l'égoïsme des privilégiés, les affres de la maternité, les conditions de vie et de travail dramatiques des travailleuses du "care", la maladie mentale, le deuil... Le récit aurait pu donner à voir des réflexions intéressantes sur ces sujets, mais chaque occasion de les avilir est saisie. Ce qui m'a semblé être une détestation de ses personnages par l'autrice l'a conduite à délibérément gâcher les amorces de pensées que ce roman pouvait faire jaillir, au profit d'un récit dont l'angoisse est le seul moteur. Pire encore, en se refusant à donner même pas un mobile, même pas une intention, mais ne serait-ce qu'une ébauche de caractérisation sincère à son personnage principal, l'autrice accrédite les hypothèses les plus viles à son égard. Son contexte, qui doit nous permettre de saisir son action, est ramené à de petites contingences, abordées avec dégoût, sans qu'on puisse en son for intérieur accorder à cette femme le pardon qu'elle aurait pu, peut-être (ou peut-être pas) mériter.
Je suis terriblement déçu.