Edith Wharton décrit une société, la sienne, en voix de disparition. Les codes qui régissent ce petit monde sont aussi surannés pour le lecteur actuel que ceux qui président à la société des romans de Jane Austen. Pour autant, le mépris de classe, l'hypocrisie et la cruauté qui y règnent sont bien actuels. Que ceux qui craignent de se plonger dans Wharton se rassurent, son livre est toujours très actuel et se lit avec le même plaisir qu'à l'époque.
Lily Bart, avec son cynisme de façade, et ses élans vers de plus nobles aspirations, compose une héroïne ambivalente, que vous n'oublierez pas de sitôt. Son malheur est de ne trouver sa place nulle part, trop honnête pour le milieu qu'elle convoite, mais élevée dans un mépris des autres milieux qui lui défend de le quitter.
C'est aussi la fresque d'un petit monde clôt sur lui-même, ou tout le monde se connaît et, fréquentant les mêmes endroits, se croise inlassablement. Les inimitiés sont généralement cachées mais n'en sont que plus cruelles, les amitiés soumises à conditions, car ce qui compte le plus, ce sont les apparences. Comme tout le monde connaît tout le monde, l'opprobre se répand vite et le pardon n'est accordé que selon les intérêts.
Si "les heureux de ce monde" acceptent dans leur cercle de beaux jeunes gens pour leur distraction, le pacte pour jouir de leurs privilèges s'avère faustien, sauf à se marier à plus riche que soi. C'est donc le rêve de Lily Bart, que de trouver un mari riche, et son malheur de n'être pas prête à accepter n'importe quel prix. Tout le livre est compris dans ces deux aspirations contraires.