Conscience contre violence. Le récit de l’affrontement idéologique au XVIe siècle entre Castellion, partisan de la tolérance, et Calvin qui – imbu de son autorité acquise à Genève en tant que figure importante du Protestantisme – va franchir un cap pourtant reproché au Catholicisme en étant à l’origine de l’exécution de Michel Servet dont la liberté de conscience/opinion aura été jugée intolérable. (ils l’ont brûlé vif)
Je suis complètement inculte dans ce qui touche à la religion, encore plus le protestantisme. Je connaissais les noms de Luther et Calvin (vraiment juste les noms), j’avais cru comprendre qu’ils avaient une vision plus sobre de ce que devait être la chrétienté qui me paraît plus « pure » et vaguement Henry IV et le massacre de la Saint-Barthélémy avec les cadavres jetés dans la Seine.
La couverture du livre m’a donné envie, je me suis sentie hautement intellectuelle rien qu’à le tenir dans mes mains mais dès que j’ai lu la 4ème de couverture j’ai été perdue. Je manquais tellement de contexte que j’ai eu la sensation que je ne comprendrais rien, que ce serait chiant à lire, bref un bon moment en perspective.
Et au final pas du tout, l’écriture est fluide, le sujet universel et intemporel, le contexte simple à appréhender.
Pour autant ça m’a attristée. Le fait que ce soit ad vitam æternam une dualité transposable partout à des degrés variables : tolérance vs intégrisme.
Le fait qu’on veuille réprimer la liberté de penser, la liberté d’opinion, la liberté de conscience. On ne peut pas ne pas être d’accord, on ne peut pas vouloir l’exprimer, on ne peut pas être normal voire exister si on pense ce que l’on pense. On refuse d’accepter que chacun a ses propres expériences, son propre milieu qui le façonnent.
Et pire, ceux qui veulent simplement défendre le droit à la diversité d’opinion (sans nécessairement exprimer son propre avis) sont vilipendés également en leur prêtant des idées ou des intentions à même de les discréditer et surtout de faire oublier la simple envie initiale de diversité et de tolérance.
Et encore pire, c’est souvent au nom de la tolérance que les gens font preuve d’intolérance. Et quand on les met face à cette contradiction on comprend qu’eux le peuvent parce que c’est pour de « vrais sujets », de « vraies valeurs » voire pour le bien de l’humanité à les entendre. Ils oublient facilement que tout le monde pense agir pour le bien, on le voit juste différemment donc l’argument est idiot et fallacieux.
Et en oubliant que tout le monde pense selon sa logique « bien faire », on oublie que personne n’a le monopole de la vérité, de la bonté, du bien.
C’est d’autant plus rageant que j’ai cette sensation d’aveuglement volontaire pour faciliter le raisonnement, faciliter la vie à sa conscience et faciliter certains actes. Si les autres sont résumés comme étant « le mal » on se prend forcément pour « le bien » et là c’est carte blanche à tout et c’est personnellement là que je vois le danger.
J’aimerais que tout le monde se rende compte à quel point ultimement tout ce que nous sommes n’a pas de sens et tout ce qui fait qu’on est amenés à penser ce que l’on pense est trop complexe pour nous réduire à des choses aussi manichéennes que le bien et le mal.
Dieu merci on ne peut pas si facilement condamner quelqu’un pour ses pensées de nos jours en France (je crois, les réseaux sociaux apportent d’une certaine manière leur propre régime de terreur, un autre sujet).
Dans l’évènement relaté la divergence d’opinion portait sur l’interprétation de la Bible mais c’est transférable à n’importe quel sujet sociétal, politique, religieux, idéologique. Ce qui est particulièrement risible dans le fait que ça touche la religion (je dis ça avec respect puisque aussi risible que ce soit les guerres de religions ont entraîné/entraînent/entraîneront leurs quotas de mort) c’est que des êtres humains se sont sentis aptes à juger de l’interprétation à donner aux textes sacrés et de justifier leurs actes par ça, ce qui revient à prétendre être l’égal de Dieu à mon sens en voulant s’y substituer.
Normalement par nature, ça n’aurait pas dû arriver car personne n’est censé savoir avant d’être jugé par Dieu lui-même au moment du trépas. Une des nombreuses hypocrisies des religions (aïe athée spotted).
Autre chose à laquelle j’ai pensé c’est la façon dont Calvin représentait un peu cette idée de penser autrement avec la Réforme par rapport aux catholiques. D’affirmer son droit à penser autrement. Mais arrivé en position de pouvoir, en étant « assis » dans le milieu maintenant ça veut consolider ce pouvoir et ça fait preuve de la même intolérance. Au début ça commence avec des idées aussi honnêtes que possible puis ça veut grandir et se gagner des partisans. On y arrive. Sauf que la diversité des personnes entraîne la diversité des pensées et c’est plus dur de garder les gens « à soi » et que son mouvement ne se scinde pas un peu +. Il faut donc incarner des idées claires et simplettes pour uniformiser ses adeptes. Pour qu’une idée soit claire il faut parfois la simplifier et en la simplifiant enlever toute aspérité. Les gens deviennent obtus, étroits d’esprit et l’aspect communautaire qui s’est développé renforce ces préceptes auxquels tout le monde doit se tenir. Le sentiment d’appartenance devient fort et on ne veut pas le perdre donc chacun participera à cette limitation de la pensée et pour que personne ne dévie c’est toujours bon de se trouver des ennemis à l'extérieur et des exemples à faire à l'intérieur. Et plus ils sont diabolisés plus ça renforce les liens.
Zweig souligne aussi le fait que les plus extrêmes auront leur quart d’heure de gloire qu’on le veuille ou non ils sauront cueillir leur public et que les nuancés auront tendance à ne rien faire de spécial sachant combien il est vain de raisonner avec des gens irraisonnés et irraisonnables (aucune honnêteté intellectuelle possible, leur but n’est pas là). Et je suis d’accord c’est trop fatigant et trop inutile, la sensation qu’on doit attendre que ça passe et que les générations se trompent puis attendre les dérives comme sonnette d’alarme pour que le cap à garder soit réajusté unanimement. Quand on voit ce qu’a risqué Castellion pour des paroles qui semblent être du bon sens inoffensif et les réponses de Calvin ou ses acolytes dans la haine et la suspicion c’est effrayant d’inhumanité.
Faut oser. Je trouve ça plus facile d’être spectatrice de tout et éviter de parler de certains sujets avec des gens faussement ouverts. Parfois j’ai même peur de l’ardeur de la conviction des gens autrement tellement sympathiques. Voir à quel point ils peuvent être insensibles à des arguments car pour eux admettre un point sans même changer d’avis c’est inadmissible. On oublie trop qu’on ne sait rien et qu’on n’a vécu que notre vie, que tout est relatif. Brrrrrrrreeeeeeeeeeeeef.
J’ai lu que ce livre était vu comme une biographie. J’avais pas pensé deux secondes à le voir comme ça. Je n’ai pas la sensation d’avoir mieux perçu qui étaient Castellion et Calvin. On les appréhende mais quasiment seulement au travers de leur discorde et je ne me risquerais pas à les résumer à ça non plus.
Ultimement je me suis demandée pourquoi les gens ne veulent pas être dans la mesure ou pourquoi admettre ses incohérences serait si effrayant. Je pense que c’est chiant d’être nuancé. Tu ne peux en vouloir à personne donc tu ne peux pas faire des diatribes passionnées et vindicatives qui soient strictement justes et sans cette motivation de défenseur de GRANDES CHOSES on peut vite se sentir vide et inutile, partir en dépression si on ne sait pas se satisfaire des petits plaisirs de la vie.
Donc vaut mieux avoir des idées de dingues super arrêtées et se créer des combats même là où il ne devrait pas y en avoir pour gagner faussement en épaisseur et meubler ce vide.
Et je dirais en bonus que dans notre société ce sont des combats souvent menés à l’abri et dans le confort (ça dénonce fort).
Des trucs que j’ai noté au cours de ma lecture :
- « droits imprescriptibles de la personnalité »
- Le fervent chrétien de l’un est l’hérétique de l’autre.
- Citation de Castellion s’adressant à Calvin qui a fait en sorte que son opposant idéologique Servet soit brûlé vif : Si tu l’as fait périr parce qu’il parlait selon sa conviction intime, tu l’as tué pour la vérité, car celle-ci consiste à exprimer ce qu’on pense, alors même qu’on serait dans l’erreur. Si tu l’as fait mourir à cause d’une conviction erronée, il était de ton devoir, avant d’en arriver là, ou bien de l’amener à d’autres sentiments, ou bien de nous démontrer, textes en main, qu’on doit mettre à mort tous ceux qui errent ou se trompent de bonne foi.
Pas tous les jours ce genre de lecture, c'est lourd. Je vais le déposer dans une autre boite à livres de la ville, j'ai l'impression que c'est important. (Et je viens de me dire que cette réflexion est intéressante car on voit bien aussi qu'il y avait un fort enjeu à l'époque de la diffusion des livres et des idées qu'ils contiennent, pas aussi évident qu'aujourd'hui même si aujourd'hui c'est cette facilité qui fait que ça se noit facilement dans la masse)