Le grotesque et Olivier Cromwell
Si cette préface, la félonne, a volé au drame toute la gloire qui aurait dû lui revenir, pourtant c'est bien peu de choses qui différencient l'une de l'autre. Une théorie et une pratique.
Pourquoi donc a-t-on oublié Cromwell ?
Parce que la préface était trop grandiose et une fois lue, chaque citoyen a fermé son livre, oubliant qu'il y a une suite, subjugué par la révolution littéraire qui venait de lui donner un coup de massue, et tout étourdi est parti crier ce qu'il avait vu.
Je vois là l'unique raison.
Cromwell, c'est certes une pièce longue, ce qui ne la rend pas propice à la mise en scène, mais ce n'est pas pour autant qu'Hugo a oublié qu'une pièce de théâtre, ça se dit. Ça se parle. Quand un long monologue arrive, quelle satisfaction alors de se dire que, seul dans son canapé, on va pouvoir lire à voix haute (j'ai toujours adoré lire à voix haute). Hugo à voix haute, c'est le fantasme de tout lecteur parlant. On dégluti doucement, on fait claquer les rimes et on susurre les allitérations, et on s'envole dans les exclamations de nos chers Anglais. Hugo a cet avantage d'être aussi poète.
Poésie et politique.
Si on a l'habitude de voir un Hugo qui a peu d'empathie pour les rois, avec Mangeront-ils ?, pourtant ici tout semble plus complexe. Cromwell prend le titre. Autrefois le titre était celui de Hernani ou de Ruy-Blas. Ici un tyran prends la place principale. Que se passe-t-il ? Des conjurés ridicules, lâches, et au final, un échec ridicule, un tyran héroïcisé. Étrange.
Si l'on ne peut détester Cromwell, peut-être est-ce de la même façon dont on ne peut détester Macbeth ? La quinzième scène de l'acte II, par exemple : le discours d'un Cromwell qui se croit seul et alors se découvre, qui regrette le régicide, qui doute. Mais surtout un Cromwell qui lance à nos narines l'odeur d'une préface qui parlait de sublime et de grotesque : face à un Rochester si grotesque, ne comprenant rien à la situation et prenant pour son allié celui qu'il prévoit pourtant d'assassiner, Cromwell peut-il prendre une autre place que celle du sublime ?
Je vois un peu en noir et blanc, je l'admets, mais pourtant les bouffons eux-mêmes débattent : qui est donc ici le plus fou ? Cromwell parce qu'il va mourir, certes, mais pourtant les autres le battent de ridicule.
Poésie et drame.
Ces quatre bouffons, ces quatre fous, que font-ils, sinon admirer le drame, rire de tous ? Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est bien de choisir la meilleure place pour être le mieux installé des fous.
Si Cromwell fait peur par sa taille ou par je ne sais quoi, c'est pourtant bien dommage, parce que Cromwell c'est du drame comme il est si agréable d'en trouver, c'est de l'ironie, c'est du grotesque et du sublime si justement dosés, c'est une théorie magnifiquement illustrée.
Plutôt du théâtre théorisé ensuite :
Laissons donc à Cromwell la gloire qu'il mérite.