Lu une première fois ado et je n'avais pas trop accroché, sans doute décontenancé par l'aspect épistolaire (même s'il s'agit plus souvent d'extrait de journaux intimes que d'échanges de lettres) qui change souvent de narrateur. Bon, le début du bouquin en Transylvanie et dans le château de Dracula est vraiment fantastique et a dû paraître extrêmement terrifiant à l'époque (et l'est toujours assez aujourd'hui). Hélas, cette proximité fascinante avec le vampire mythique ne dure pas, et pour la suite du bouquin il est relégué à une menace plus distante, alors que l'histoire se transforme finalement plus en enquête qu'autre chose. Ça reste rudement bien ficelé et excellent, mais on finit par regretter l'atmosphère cauchemardesque du début du livre.
Mais c'est aussi un des aspects qui ont fait du roman un incontournable : le gothique pénètre enfin dans le monde moderne. Le château en ruines n'est qu'un prélude à l'horreur victorienne d'un prédateur débarquant dans la mégalopole londonienne où il peut se cacher à loisirs, manipuler les habitants et se nourrir de donzelles effarouchées. Et une espèce de club de gentlemen va devoir user de toutes les ressources modernes (médecine, transports, technologie) - et d'un soupçon de connaissances occultes plus anciennes - pour affronter le monstre dans une course effrénée pour découvrir son plan maléfique murement réfléchi pendant des siècles.
A noter également que la dimension romantique de l'adaptation de Francis Ford Coppola de 1992 (la plus fidèle) est complètement absente de cette œuvre originale, dont Bram Stoker avait justement voulu son monstre totalement déshumanisé. Ça laisse une étrange impression aride alors qu'on a depuis longtemps associé à cette histoire une effusion de sentiments baroques (confinant au mièvre sirupeux avec tout le fatras de bouquins vampiriques moderne). Finalement, une œuvre presque pulp dont l'héritage s'est décalé sur de nombreux aspects, qui n'égale pas la profondeur tragique et ne soulève pas les mêmes questions philosophiques intemporelles de l'autre grand roman gothique, Frankenstein, mais qu'il fait bon redécouvrir pour en apprécier la force originelle.