Un Grand Merci à Yves Montmartin – que j’appelle désormais "Mon Martin" – pour m’avoir fait découvrir ce petit livre grâce à sa chronique à la fois poétique et mystérieuse :
https://www.senscritique.com/livre/du_meme_bois/critique/300523395
J’en ai fait profiter mon épouse qui l’a dégusté avec force éclats de rire et émerveillement et tient absolument à l’offrir à sa meilleure amie.
En intermède, au milieu d’un livre passionnant mais très sérieux, je me suis offert une petite récrée en lisant la prose de Marion Fayolle, moi aussi.
Marion Fayolle est née en 1988 en Ardèche, à l'Ouest du Rhône, une région de plateaux rocailleux, de moyennes montagnes et de gorges profondes, un pays au sol fertile mais difficile. Si dans les années 80 on y comptait 12000 agriculteurs, ils n’étaient plus que le tiers trente ans plus tard. C’est en mémoire à sa famille qui possédait une ferme sur ces terres que Marion a écrit "Du même bois", le récit d'un monde qui disparaît.
Marion Fayolle étudie au sein de la section illustration de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg de 2006 à 2011. Illustratrice, elle collabore avec de grands titres de presse internationaux, tels que Le Monde Magazine, XXI, Télérama, The New Yorker ou encore The New York Times.
Elle publie un grand nombre de bandes dessinées dont "Les Amours suspendues" qui reçoit en 2018, le Prix spécial du jury du Festival d'Angoulême.
Comment parler de ce livre (Roman ?) sans doute très autobiographique où Marion donne vie à toute une famille sans nom : le pépé, la mémé, la mère, la gamine, l’oncle… comme tout droit sortis d’un jeu de sept familles ?...
Je crois que je vais en parler avec une voisine Belge qui ne les a pas aimés, ou du moins, leur histoire. Et je l’en remercie, car nombreux sont ceux qui disent "NON, et puis s’en vont", tandis qu’elle, au moins, elle nous dit "pourquoi". C’est d’ailleurs sa seule et unique critique, c’est dire combien elle n’aime pas !
https://www.senscritique.com/livre/du_meme_bois/critique/300612298
Mais il faut avoir la "tchatche", ma belle, même quand on aime, on peut essayer de dire pourquoi…
Tout d’abord, il faut que je te dise : « Je ne suis pas un "littéraire" et n’ai aucune expertise pour critiquer quoi que ce soit en littérature ! » Alors, que fais-je ici ? Je me le demande…
Tu trouves qu’avec 25 « ça » sur une page, ça fait beaucoup (tu en as mis 4 sur une ligne) et tu as sans doute raison, mais moi, "ça" m’a amusé !
Il n’y a pas de roman, dis-tu ? C’est vrai, tu as raison, juste l’histoire d’une famille comme il en existe beaucoup, à commencer par les enfants, les "petitous", « C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi tant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour réussir à inventer encore une petite chose à soi. »
À l’approche de l’hiver, quand les hirondelles s’envolent pour d’autres cieux « Les parents craignent qu’un jour, les gosses ne reviennent pas, qu’aucun d’entre eux ne reprennent la ferme », ils ont beau se dire que c’est l’adolescence, que ça leur passera, qu’ils reviendront quand ils verront que ce n’est pas mieux ailleurs, ils voient que « les jeunes se teignent les cheveux, mettent des habits de la ville, effacent là où ça pourrait se voir qu’ils viennent de la ferme. Ils n’aident plus pour nourrir les vaches, l’odeur, ça reste dans les cheveux, le sale ça se coince sous les ongles. »
Il n’y a pas de récit ! Eh bien non. Ce n’est pas un livre d’action, encore une fois, tu as raison, comme tu dis, une "infinie description" : « Dès l'enfance, ils ont appris à dormir avec l'odeur des bêtes, avec leurs meuglements, le bruit des chaînes quand elles se grattent, celui des corps lourds qui tombent pour se reposer, des jets d'urine sur les grilles, des bouses qui s'éclatent sur la dalle. » Ou alors, les bêtes, toujours les bêtes, comme au printemps quand le taureau mène la danse : « Le printemps vient de libérer le taureau. Il court vers les vaches, leur monte dessus, s’y prend à plusieurs fois, les écrase sous ses muscles. Les petits n’ont jamais vu ça. […] Ne regardez pas, les petits. Comment ne pas regarder ? Ce taureau qui sent le cul des vaches, qui leur monte dessus, qui y reste accroché. Ça fait comme un monstre de muscles, avec deux têtes, avec beaucoup trop de pattes, qui ne peut plus marcher… » ou lorsque les veaux découvrent la liberté (attention au festival des « ça ») : « Ça saute, ça fonce dans les clôtures, ça lève le cul, ça se carambole, ça fait des glissades, ça pète. C’est la première fois que les petits veaux sortent de l’étable. Ça danse, ça explose, ça sursaute, ça s’entrechoque. Ils découvrent l’immensité, l’air, les couleurs du dehors… »
Où est la matière ? Je voudrais pouvoir te dire qu’il n’y en a pas puisque tu ne l’as pas vue, mais il me semble que si elle ne se remarque pas c’est parce qu’elle est partout. C’est l’amour, l’amour des bêtes, l’amour de la terre, l’amour des gens, comme au retour de cet orphelin, élevé dans la famille, par la mémé : « La mémé lui donne, en un seul repas, tout l’amour qu’il n’a jamais eu, comme pour corriger l’injustice… » Et même l’amour des morts, même ceux dont on ne se souvient plus : la petite, son père est mort il y a longtemps, on a dispersé ses cendres à l’automne au pied d’un grand pin « Chaque automne, la gamine caresse méticuleusement la mousse, fouille le sol autour de l’arbre, elle cherche son père […] Sauf au printemps, où ça devient tout blanc, où ça se couvre de crocus, où c’est plus fleuri encore que les caveaux du cimetière. Son père est mort avant d’avoir des cheveux blancs, on dirait pourtant une chevelure, une barbe qui dépasse légèrement du sol, qui nous rappelle, chaque année, qu’un homme dort là. »
Quant à la poésie, je n’ai pas tes exigences, primaire, je m’extasie de quelques caresses, comme après la neige : « L’oncle, avec sa pelle, s’activera pour réinventer un dehors… ». Ou lorsque la mère s’est aventurée en ville et qu’elle craignait d’avoir peur du noir, « Mais ici, le noir n’existe pas, les vitrines restent éclairées, les fenêtres, haut dans le ciel, prennent la place des étoiles. » Ou encore, pour la mémé qui, après une chute craint de ne pouvoir se relever : « Depuis elle fait de petits pas, pour faire durer la vie, pour ne pas arriver trop vite à la fin. »
Alors tu vois, c’est tout simple. C’est normal que tu n’aimes pas. C’est normal que j’aime. On n’a pas le même ressenti, le même vécu (ma femme aussi fait des petits pas pour faire durer la vie).
Moi aussi, j’ai lu des livres qui ont eu du succès et que je n’ai pas aimés. J’en ai même fait une liste 😊
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P.S. : Quelle déception ! Au moment de poster ma chronique, après avoir "liké" mon interlocutrice, j’ai voulu lui mettre un commentaire pour la remercier de nous avoir dit pourquoi elle n’aimait pas… c’est alors que j’ai découvert qu’elle avait désactivé cette fonction ! (Je ne savais pas que c’était possible…)
C’est une pure coïncidence si je lui ai dédié mon papier qui fait office de commentaire…