J'ai lu beaucoup de choses sur ce livre. Des avis, des critiques, des articles de journaux, des articles sur Edouard Louis (qui auparavant se prénommait donc Eddy Bellegueule), des jugements aussi sur le personnage, l'être humain qui a écrit ce livre, et sur les faits qui y sont relatés, réels ou phantasmés, ce que l'on ne saura peut-être jamais (?).

Dans le cadre de mes lectures, il me fallait aborder celle d'un écrivain ayant moins de 30 ans. ça tombe bien, Edouard Louis étant âgé actuellement de 22 ans, je pouvais me plonger tête la première dans En Finir avec Eddy Bellegueule. Je l'ai lu d'une traite, terminé en une matinée. Impossible d'en décrocher, tant j'étais tour à tour scotchée, horrifiée et hilare devant certains passages. Mon rapport avec cet ouvrage qui ne m'a pourtant pris que trois ou quatre heures à peu près de mon temps est assez particulier. Je ne savais pas par avance que j'allais pouvoir y trouver des éléments épars de ce qui a été une partie de ma vie, de ma famille (au sens plus élargie que famille nucléaire), et de la ville dans laquelle j'ai vécu. Des éléments de langage similaires sur la forme, avec un patois qui prend parfois le pas sur la langue française telle qu'elle est employée aujourd'hui chez des gens qui ont toujours vécu "dans le pays". Une peur irrationnelle de l'arabe, du "bougne", du noir, que d'après TF1 ils sont partout, et surtout qu'ils nous sucrent les allocs. Les allers-retours au supermarché discount, à acheter de la merde, parce que c'est moins cher. En ça, en cette stupéfaction de lire les yeux grands ouverts une partie de mon propre vécu, j'ai été scotchée. Le bourgeois naïf a du être passablement estomaquée de lire un portrait peint au vitriol des pauvres qu'il dit aimer, mais qu'il n'a au fond jamais vraiment côtoyé...

J'ai été horrifiée par la violence physique, la violence psychologique du livre. Tout est ramené primitivement au mâle alpha, au loup à la tête de sa meute. Les qualités du mâle sont sanctifiées, les attributs rattachés communément à la féminité rejetés, surtout chez un homme. Au point d'entraîner, suite aux invectives et aux insultes les baffes, les crachats, les claquements de la tête contre le mur. Sera viril le pastis, l'alcool, le survêt Airness bichrome ou multicolore (par chez moi encore, 90% de la population ne connaît que le survêt). Sera "gonzesse" le théâtre, la voix qui n'est pas grave, la démarche qui ne sera pas celle d'un orang-outan, le fait de ne pas aimer le football. Soit on marche au pas, on rentre dans ce moule pour crever suite aux accidents de travail à l'usine du coin qui embauche tout le monde, soit on est totalement rejeté, comme un lépreux.

Et j'ai ri. J'ai rigolé de cette bêtise crasse, de ces remarques qui m'ont rappelé des souvenirs lointains... Des "fais pas ta gonzesse", de cette peur moyenâgeuse des médecins accompagné du refus de se soigner qui débouche sur des morts sordides. Je me suis dit "Oh, il semblerait qu'ailleurs ce soit pareil aussi, voire même pire". Quelle tristesse.

En finir avec Eddy Bellegueule ne fait pas état d'une bile versée sur des individus proches par le sang, d'une revanche. Ce qui prime sur cette apparence, c'est d'abord le sentiment que les choses sont ainsi, et risquent de se reproduire encore et encore. C'est ce vide énorme que l'on ressent à se demander si les générations futures seront récupérables, ou si l'ascenseur social sera toujours en panne, pour le grand intérêt d'une petite minorité qui se la touche bien en haut de la pyramide. C'est le constat que le père du père de ce père ont travaillé toujours au même endroit, ont fait toujours les mêmes erreurs, et seront peut-être toujours conditionnés à les faire. Il serait temps de s'en occuper, d'y changer quelque chose, au lieu de ne laisser s'en sortir qu'une poignée d'élus, comme Eddy Bellegueule.
-Ether
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le 9 févr. 2015

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