Céline, les années ont passé, il est revenu de tout : des pamphlets antisémites, des années quarante, de la collaboration, de l'indignité nationale, de Sigmaringen, des prisons danoises, de la misère meudonnaise ... Mais sa réputation elle, a quelque peu pâti de ses errances durant la seconde Guerre Mondiale dans laquelle il se retrouve emporté. Lors, rebondissant sur l'échec de "Féérie pour une autre fois", il décide, en préambule à son prochain roman en gestation de publier un bref exposé de sa pensée, de son style. Ce seront les "Entretiens avec le professeur Y".

Le pluriel du titre peut sembler peu fortuit, puisque Céline ne s'assiéra qu'une seule fois en compagnie du professeur Y, alias Colonel Réséda (nom assez ironique puisqu'emprunté à une plante à laquelle on prête des vertus apaisantes ... ). Toutefois, ce corps unique dispose bien de plusieurs membres distincts.

C'est d'abord (manière de rappeler le pourquoi du livre) un état des lieux de l'édition en France, catastrophique si l'on en croit les premières pages du livre. Façon de l'auteur de se dédouaner, d'attribuer son échec commercial au compte d'un dégradation complète des ventes libraires, et pas à sa situation propre.

C'est ensuite une manière ô combien féroce de se moquer des codes de la promotion, de ces "interviouwes" consensuelles et des "interviouweurs" juste cons. Portrait terrible que celui de ce professeur Y, tâcheron inconnu, prêt à se damner auprès du diable Célinien pour que "Monsieur Gallimard publie son Goncourt (inutile d'ajouter qu'il nourrit une inimité à l'égard du prix des frères animée par son propos recalage), paltoquet pathétique et obtus, totalement dépassé, et qui finira par perdre le contrôle de lui-même après avoir perdu celui de la situation.

C'est encore une occasion pour Céline de redorer ses lauriers, quelques peu écornés par l'épuration, et de présenter un aperçu de son œuvre, de ses petits trucs. Il y montre un art certain. Pestant au passage contre ses congénères, incapable de s'adapter à sa "révolution", embourbés plus sûrement dans leur fatuité littéraire, qu'un char allemand dans la steppe russe un mois d'avril. Ou d'octobre. Mais peu importe. Râlant contre leur incapacité à prendre en compte l'arrivée du cinéma et d'adapter leur écriture en fonction. Il fait remarquer au passage qu'ils ne sont plus bon qu'à produire des sortes de synopsis améliorés, en attente de se faire adapter au cinéma. On ne peut pas totalement lui donner tort. Vitupérant enfin contre l'aveuglement de la critique et du public, les mêmes qui vouaient les impressionnistes au pilon au siècle dernier selon lui.

C'est finalement un moyen de défendre ses points de suspension qui firent couler beaucoup d'encre. Il les compare à ce petit décalage sur la rectiligne des rails qui ferait chavirer le métro. Bouleversement mineur, à associer de concert à l'argot du style parlé, pour rendre à la littérature l'émotion que menace de lui ravir le cinéma.

Le tout est lié par ce mordant du style tout à fait dans la mouvance du grand Céline. Quoi de mieux pour défendre son style que d'en faire l'étalage ? Onirique, mordant, drôle, parfois même un peu cruel, c'est le miel qui fait passer la pilule. On notera toutefois qu'il est parfois un peu épais, à l'opposée de la légèreté des "grands" romans. Cela n'altère en rien le fait qu'il ne démériterait d'une reconnaissance plus grande. Céline en bref et sur la brèche, mais Céline avant tout. Et cela devrait suffire à faire se ruer sur ce livre.
Pedro_Kantor
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le 26 avr. 2011

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Pedro_Kantor

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