Lire Envoyée spéciale de Jean Echenoz, c 'est comme se retrouver en face d'un brave cousin Jojo qui gesticule sans cesse au repas de famille, qui plaisante sur tous les sujets, qui exaspère sa sœur - sa pauvre sœur qui le supporte à longueur de journée - un cousin Jojo qui, pour tenter de faire adhérer son auditoire à sa logorrhée surexcitée et incohérente, en va des « nous », des « on », tandis que « nous » prions pour qu'il se taise.
Ou encore mieux. Envoyée spéciale rappelle le bon pote de fac qu'on invite pour animer une soirée, pour amuser la galerie, cette créature étrange, rigolote, en perpétuelle représentation. Il part dans tous les sens, il est bien gentil, il est parfois même drôle, cynique, insolent, ah çà, on ne s'ennuie pas, on sourit, on apprécie certains de ses jets plutôt fameux, sa culture éclectique, cosmopolite, hétéroclite, -ite, -ite... Malheureusement ce bon pote de fac qu'on fréquente pour nous divertir se retrouve souvent dans nos bras, l'océan Atlantique sur ses joues, après qu'on lui a refusé ce baiser qu'il désire, et qu'il mérite, après tout. Pourquoi ne m'aimes-tu pas, pourquoi les filles ne tombent-elles pas amoureuses de moi, pourquoi me retrouvé-je toujours en position du bon pote ? Pourquoi les filles préfèrent-elles des idiots, des hommes qui sont moins doux et moins sympas que moi ? Certainement parce qu'eux ont ce qu'Envoyée Spéciale n'a pas non plus, ils déclenchent quelque chose en nous, ils touchent le cœur, même un peu. On le sait bien, « rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion ».
Qu'attendons-nous des livres ? La réponse est multiple, quasi infinie, elle dépend des lecteurs, du moment, de l'âge, etc., y répondre ne semble pas très pertinent. En revanche, à la question de ce qu'apporte Envoyée Spéciale, on peut y répondre : du divertissement. Roulement de tambour, le lion rugit, en avant sur les montagnes russes. C'est un roman dynamique, qui part dans tous les sens, - j'ai failli dire vivant, c'est plus approprié qu'humain, mais un peu trop optimiste – , un récit extravagant, étourdissant. Il est vrai qu'il arrive de rire à certaines images, surtout au début.
Conducteur de métro dans le civil, Hyacinthe sait en effet tout faire et travaille bien, vite, pour pas cher. Aimable et très beau de sa personne, il est fidèle aux origines de son prénom, le premier type à s'être appelé comme ça ayant alphabétiquement rendu fou d'amour, d'Apollon à Zéphyr, l'ensemble du panthéon grec. (p.134)
Ou encore par exemple :
Sa bouche plein de canines se fend d'un sourire amphibologique puis il fait signe au grand d'ouvrir une portière de l'Infiniti, s'y engouffre avant que l'autre, ayant balancé le sac dans le coffre de la berline, s'installe au volant. L'Infiniti démarre, le téléphone sonne dans le bureau, Hubert décroche sans quitter ce véhicule des yeux. C'est moi, s'annonce Tausk. (p.148)
En plus du rire, au début, on peut même être surpris, étonné par le style d'Echenoz. Lire Envoyée spéciale n'est pas un supplice, mais enfin... C'est tellement grotesque, clinique, absurde, froid, abracadabrantesque qu'on finit par être éjectée du wagon. Et encore, sans folie ni jubilations : on peut rester tranquille, aucun risque d'éréthisme littéraire. Finalement on peut songer à une espèce de pastiche de film d'action. Des gangsters, des grosses cylindrées, de la vengeance, de la prison, un dépressif qui se jette sous un train, des jolies nanas « aux jolis seins et au joli cul », des grosses moches qu'on méprise et qu'on tue, des actrices pornographiques (heureusement que je ne vérifie pas qui est Bolivia Samsonite entre Jojo et papa), du sexe, des passages à tabac et l'instrument de fumeur qui va avec, vous savez, constitué d'un fourneau et d'un tuyau par lequel on aspire la fumée. Des voyages, du mouvement, du suspens à la James Bond, (heureusement d'ailleurs), du placement de produit (Pyrex, Pall Mall, Chanel, Kleenex, Lacoste... Non, non, ne pas penser aux larmes de crocodiles), de la musique ( Kindertotenlieder, Jimi Hendrix, Stravinski, du piano, de la flûte, tout ça pour notre plus grand Mahler), de la peinture et de la littérature, et même le mot extrême dans plus d'une dizaine de langues.
Moins bien mais un peu comme Je m'en vais, dont le seul souvenir qu'il me reste est un moment agréable, Envoyée spéciale passe mais ne reste pas. Le lire relève simplement du divertissement. Un passe-temps où l'envoyée spéciale est une néo Boule de suif, vernis PROVOCATION 599 aux doigts, au service de l’intérêt de la communauté internationale façon Escadron Volant de la démocratie occidentale.
Pour finir, une citation qui résume bien de ce que je pense de l'ensemble du roman :
Nous pensions qu'il n'était pas trop mauvais que ce phénomène zoologique, trop peu connu à notre avis, soit porté à la connaissance du public. Certes, le public a le droit d'objecter qu'une telle information ne semble être qu'une pure digression, sorte d'amusement didactique permettant d'achever un chapitre en douceur sans aucun lien avec le récit. (p.111)