La jeune Joyce est formée très tôt par ses parents intellectuels à affûter sa plume et à exercer son esprit critique, et très vite elle publie dans des magazines en proposant des sujets et gagne des concours, tout comme sa grande soeur. Pourtant, l'intimité forcée à laquelle la soumet une mère intrusive a fait d'elle quelqu'un qui ne se sent pas à sa place parmi les jeunes de sa génération, et elle est obsédée par la perte de sa virginité.
Un de ses articles parus dans le "New York Times" en 1972, dans lequel elle se fait le porte-parole d'une génération, alors qu'elle n'a que 18 ans, a un retentissement extraordinaire. Des centaines de lettres lui parviennent de tout le pays : parmi elles, une de l'auteur de "L'Attrape-coeur", qu'elle n'a jamais lu : JD Salinger. Il lui conte fleurette avec des mots soigneusement choisis, lui révélant son admiration et sa confiance en le brillant écrivain qu'elle va devenir... en même temps qu'il lui recommande de se tenir loin de la lumière des projecteurs, à savoir les éditeurs et ce milieu de la critique littéraire qu'il méprise au plus haut point. Il va même jusqu'à la dissuader de se laisser publier.
Très vite ils vont se rencontrer et Joyce, follement amoureuse, va interrompre ses études à Yale pour s'installer chez lui. Là elle va réaliser que l'écrivain de 53 ans, séparé et père de deux enfants qui lui rendent visite régulièrement, mène une vie retirée et austère dans le New Hampshire. "Jerry" est en effet adepte d'un ascétisme alimentaire strict, ainsi que de méditation, pratiques auxquelles elle va se plier de bonne grâce, étant elle-même anorexique et fragile. Passionné d'homéopathie, il s'enferme pendant des heures pour se former et il tente, sans succès, de résoudre les problèmes sexuels de sa jeune compagne. Très vite, elle va être l'objet de son agacement et il va commencer à la dénigrer tout en la coupant du monde. Ils vont vivre ensemble pendant près d'un an avant qu'il ne la congédie du jour au lendemain sans explication lors d'un voyage en Floride. 25 ans après, Joyce Maynard remet la main sur ses lettres et se décide à écrire ses Mémoires, centrés sur sa relation avec Salinger, alors qu'elle est elle-même divorcée et mère de trois enfants.
Ce récit est très malaisant et résonne étrangement avec l'actualité car bien qu'écrit très factuellement (elle ne reproduit pas ses lettres mais en livre simplement le contenu et la tonalité générale), le lecteur, contrairement à la narratrice, se rend compte avec horreur que Salinger exerce une emprise énorme sur la toute jeune fille qu'est Joyce, qui ne vit qu'à travers son regard et ne se rend pas compte avant longtemps que leur relation la mènera à sa perte... Un récit édifiant, à lire absolument en ces temps troublés !

carolectrice
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Livres lus en 2020

Créée

le 9 janv. 2020

Critique lue 405 fois

15 j'aime

1 commentaire

carolectrice

Écrit par

Critique lue 405 fois

15
1

D'autres avis sur Et devant moi, le monde

Et devant moi, le monde
HKoSunjin
10

Critique de Et devant moi, le monde par HKoSunjin

Une découverte avec ce récit dont je pensais que c'était un roman quand je l'ai pris vite fait àla bibliothèque et la découverte d"'une auteure, que je connaissais déjà en faitacr le film "prête à...

le 9 sept. 2013

Et devant moi, le monde
melissab
9

Critique de Et devant moi, le monde par melissab

La vie de JD Salinger, version sombre. L'héroïne raconte son histoire d'amour et les années passées aux côtés de l'auteur. Un roman d'apprentissage intéressant et glaçant.

le 26 nov. 2012

Et devant moi, le monde
Ninaintherain
5

Critique de Et devant moi, le monde par Nina in the rain

Encore une fois je cherche à lire la totalité de la bibliographie d'un auteur, Joyce Maynard, dont jusqu'ici je n'avais lu qu'un seul roman : Long week-end. Je ne peux que vous conseiller ce petit...

le 28 mars 2012

1

Du même critique

Yoga
carolectrice
3

Manu et son zafu

Je précise que j'adore cet écrivain (adorais ?), et que j'ai quasiment tout lu de lui, mon préféré étant "D'autres vies que la mienne", comme beaucoup de gens... Pour commencer, ce livre (qui n'est...

le 3 oct. 2020

30 j'aime

26

Tess d'Urberville
carolectrice
8

Critique de Tess d'Urberville par carolectrice

Après avoir été fascinée par "Jude l'Obscur", je continue mon périple hardyen avec "Tess d'Urberville", adapté au cinéma par Polanski. Au XIXe siècle dans le Wessex, les modestes Durbeyfield...

le 11 août 2022

26 j'aime

17

La Dame en blanc
carolectrice
7

Critique de La Dame en blanc par carolectrice

La "Dame en blanc", c’est la jeune femme effrayée échappée d’un asile qui croise la route du bon Walter Hartright, jeune professeur de dessin en route pour Limmeridge House, propriété isolée dans le...

le 29 sept. 2019

25 j'aime

16