Le succès public et critique de Fabcaro dans le monde de la bande dessinée éclipse peut-être certains de ses autres projets, parmi lesquels l’écriture de romans. L’auteur en a écrit trois, tous publiés dans la prestigieuse maison d’édition Gallimard. Sous le nom de Fabrice Caro, mais on ne nous la fait pas à nous.
Avec Figurec, on retrouve Fabcaro qui plonge le quotidien dans un doux absurde, où le héros est le plus souvent un looser mis à mal. C’est le cas du narrateur, un jeune adulte célibataire qui n’arrive à rien, butant sur une pièce de théâtre qu’il voudrait écrire mais dont les extraits n’annoncent qu’une belle bouse. Les repas de famille sont gênants, sa mère lui reproche son mode de vie et il n’a qu’un seul ami, Julien, en couple avec Claire, tous deux aiment son côté artiste fauché, leur offrant un petit soupçon d’évasion dans une vie conventionnelle.
Son seul petit plaisir ce sont les enterrements. Grand fidèle, il s’invite aux cérémonies pour mieux les comparer, faire des règles selon les prénoms et éloigner les idées noires. Il passe le temps entouré de gens en noirs. Mais un autre type l’a repéré et tous deux se retrouvent plusieurs fois de suite aux mêmes enterrements. Plus grande gueule que discret, certainement pas une de ses connaissances. Et il finit par l’aborder : « figurec ? ».
Et c’est là que se déploie tout le potentiel du roman, ce figurec qui n’est autre qu’une entreprise de figurants dont le secret est multi-séculaire, l’admission très restrictive. Du monde à louer pour un enterrement, pour une exposition ou même pour arpenter les couloirs d’un super-marché avec les produits sponsorisés dans le caddie. Chaque place est différente, des gens tueraient pour avoir la figuration la plus avantageuse, mais gare aux descentes en enfers, de la figuration dans une grande entreprise d’informatique les yeux rivés devant l’écran, par exemple.
Bouvier, puisque c’est son nom, lui révèle l’existence de cette société occulte qui comble les décors avec ses figurants. Le choc est grand pour le narrateur, les risques qu’il encourt pour avoir obtenu cette information sont dangereux pour lui. Mais l’entreprise lui fait une fleur en lui offrant la chance de pouvoir profiter de ses services. Mais gare aux promesses dorées de Figurec, elles ont un prix.
Dans les œuvres de Fabcaro le quotidien banal est déformé, ses petits gestes et ses attitudes du commun sont exagérées, tandis que les intentions réelles (et souvent désespérées) sont à l’arrière-plan, dans les insinuations des dialogues. Avec Figurec, l’auteur renverse tout ce petit monde, pour mieux nous en montrer un autre dont les implications sont nombreuses. Elles ne seront d’ailleurs pas sans effets sur un narrateur qui n’est pas au bout de ses surprises.
Il y a donc une certaine fantaisie derrière la banalité, habilement mise en jeu par Fabcaro. C’est une étrangeté loufoque bienvenue, mais peut-être pas assez approfondie. Le narrateur est central, c’est le perdant typique, pas méchant, dépassé, mais Fabcaro peine à le rendre sympathique, il lui manque une étincelle. Ses états d’âme reviennent en boucle, avec une écriture qui ne se démarque pas d’autres auteurs, terriblement terre-à-terre.
Il est donc dommage que l’écriture soit aussi simple, sans aucun efforts de style. L’histoire prime. On s’en amuse un peu de ces histoires de figurants et de société secrète. Mais il y a une certaine facilité dans ce roman qui affaiblit la lecture et qui n’enrichit pas l’esprit. C’est entraînant, c’est certain. La curiosité est piquée, mais elle se dirige plus vers figurec que vers ce narrateur un peu trop transparent. Le roman se termine d’ailleurs de façon assez confuse, ajoutant des rebondissements inutiles, laissant un goût encore plus amer quand il faut fermer le livre pour de bon.
Figurec a été adapté en bande-dessinée l’année suivante avec Christian de Metter aux dessins. Peut-être que la concision de l’adaptation lui réussit mieux que ce roman un peu trop rempli d’air.