Scènes de la vie d'acteur
Denis Podalydès, outre sa productivité et son éclectisme, est aussi un formidable auteur. De cinéma, bien sûr, vu qu'il travaille avec son frère Bruno sur le scénario de la plupart de ses longs-métrages (la trilogie Versailles, la double adaptation des Rouletabille, le récent Adieu Berthe). De littérature aussi, puisqu'il a publié plusieurs livres très sympa, souvent en raport étroit avec ce qui reste son domaine de prédilection : le jeu. Dans "Scènes de la vie d'acteur", il nous parlait de son rapport au théâtre et au cinéma par l'entremise d'une série d'anecdotes écrites en phrases courtes, comme directement sorties de sa pensée. On retrouve ce style dans "Fuir Pénélope", qui, bien que labellisé fiction, permet de reconnaître au premier coup d’œil la patte de Denis Podalydès, et de comprendre qu'il s'agit d'un bouquin au moins tout aussi intime que ses "Scènes". Le roman parle donc d'un jeune acteur débutant prénommé Gabriel, qui se voit confier le premier rôle d'un film grec tourné par un cinéaste célèbre et torturé. Avec le réalisateur et l'équipe technique, qu'il affuble de surnoms théâtraux et changeants (Juan l'Obscur, le Bouillant Yorgos, la Sage Angeliki, Michalis à la Triste Figure, le Divin Stelios, Reina la Souriante...), Gabriel va sillonner l'Europe de la Grèce à l'Espagne en passant par l'Italie pour tourner les scènes du film.
On aime Denis Podalydès parce qu'il diffuse une image de poète faussement introverti, réellement cultivé et ouvert d'esprit, souvent humble. A ce titre, impossible de ne pas voir l'auteur à travers le personnage, acteur lunaire, lettré et discret, qui s'exprime en français, en anglais ou en grec, trimballant avec lui sa méthode Assimil et un Rabelais. Hanté par une histoire d'amour sur laquelle il n'arrive pas à tirer un trait, Gabriel va s'évader mentalement à plusieurs reprises de ce road trip en repensant à sa Marianne. Il va rêver, mais aussi, et surtout, être mis face à la réalité d'un tournage bordélique et usant. On découvre, par son regard émerveillé et naïf, une multitude d'accessoires de tournage, de personnages égocentriques et imprévisibles, d'assistantes dévouées, de grandes divas légèrement incompétentes aux habitudes de star. L'équipe va vivre de nombreuses aventures, drôles ou sinistres, toujours racontées avec un détachement amusant, touchant. Certains passages sont hilarants notamment lorsque l'auteur s'amuse à mélanger les langues, à tanner la diction approximative d'une actrice grecque parlant français ("Tatoué froissé et tout cas platement pardou." - "Perdu, Themis, perduuuuu. Toi, tu es français, et tu es complètement perdu. [...] - Toutou fraises, fraçais, cataplatament perduuu.""), à faire l'inventaire des "synonymes rabelaisiens de baiser" ("emmortaiser ; faribouller ; roussiner ; baudouiner [...]"). On apprend un peu à parler grec, aussi : "inè katapliktiko", par exemple, une des phrases récurrentes que Gabriel finit par intégrer.
Se dégage de ce "Fuir Pénélope" une atmosphère déracinée, hésitante, toujours légère malgré la gravité qui affleure parfois. Le récit manque parfois un peu de consistance et la tendance de Podalydès d'en appeler à Rabelais finit par agacer un peu, en plus d'être superflue (pas mal de copier/coller), mais on suit les aventures de Gabriel et de sa clique avec plaisir. Les multiples tentatives du personnage pour essayer d'oublier son amoureuse, les prises de bec dans l'équipe de cinéma, la lente descente aux enfers que semble subir le projet de film au fur et à mesure que le temps passe et que les inimitiés se dévoilent : tout cela est raconté de manière directe, simple, par les mêmes phrases courtes et cotonneuses qui faisaient le charme des "Scènes de la vie d'acteur". L'identification au héros est si facile que cela en deviendrait presque suspect, tant Podalydès file la métaphore du petit garçon immature (le passage du permis de conduire, la recherche de parents adoptifs parmi les membres de l'équipe, les quelques flash-backs en enfance) avec aisance et immédiateté. On aurait tort de bouder son plaisir, surtout si on apprécie l'homme : "Fuir Pénélope" est à son effigie, rêveur, mélancolique, comique, imperceptiblement paillard ou désespéré, incontestablement sympathique. Une lecture rapide, douce comme une friandise et authentique comme un film. L'un des premiers bons romans français de 2014.