Mars 1884, Anzin. Une violente grève éclate à la mine d’Anzin, dans le Nord de la France. Les ouvriers, révoltés par une nouvelle baisse de salaire imposée par La Compagnie, refusent de retourner croupir sous terre sans pouvoir ramener du pain à leur famille. La loi Waldeck-Rousseau autorisant les syndicats est votée à la fin du mois de mars. Ça, c’est l’histoire vraie.
Mars 1884, Montsou. Etienne Lantier, un ancien machiniste, vient d’être licencié pour avoir giflé son chef. Il arpente les plaines du Nord à la recherche d’un travail, n’importe lequel pourvu qu’il ait un toit et du pain. À Montsou, il rencontre les Maheu, une famille de mineurs qui descend dans la fosse depuis la création de la première Compagnie un siècle plus tôt. Suite à la mort d’une herscheuse, Etienne est embauché à la fosse du Voreux. Écoeuré par la misère des ouvriers qui s’oppose à l’opulence dans laquelle vivent les bourgeois de Montsou, Etienne fait rapidement germer dans l’esprit des ouvriers la graine de la révolution… Ça, c’est la fiction.
Zola frappe fort avec ce 13e roman de la fresque des Rougon-Macquart. Entre 1871 et 1893, Zola écrit 20 volumes sur une famille du Second Empire condamnée par les lois de l’hérédité. Il brosse un portrait exhaustif de toutes les strates de la société, et publie en 1885 le premier livre qui donne une voix à l’ouvrier : Germinal symbolise l’accession à la dignité de gens qu’on avait toujours cru indignes d’être des personnages de roman.
Roman documentaire sur le monde des mineurs au XIXe siècle, il reçoit un accueil mitigé. Certains y voient un roman anti-peuple, d’autres le premier grand livre sur le peuple. Germinal finit par rencontrer un succès fulgurant, amplifié grâce à de nombreuses adaptations à l’écran. À l’enterrement de Zola en 1902, une délégation de “gueules noires” (surnom des mineurs à l’époque) fait le déplacement. En esthétisant leur misère, l’auteur a donné une conscience à la société face à la condition ouvrière. @
Germinal m’a littéralement fendu le cœur. Je l’ai terminé dans un TGV Lyon-Paris, ne pouvant retenir mes larmes sur les 50 dernières pages. À peine arrivée chez moi, tourmentée et obsédée par le sort de la famille Maheu, j’ai immédiatement ouvert mon ordinateur et visionné le film de Claude Berri, sorti en 1993. Je n’ai absolument rien à redire sur ce livre, tout y est. Et l’histoire de l’écriture du roman est tout aussi passionnante que le récit.
Zola a conduit un véritable travail journalistique, presque scientifique pour aboutir à ces 670 pages magistrales. Il se rend à Anzin entre le 27 février et le 4 mars 1884, en plein mouvement gréviste. Il visite les corons (les logements des ouvriers), descend dans la fosse Thiers à plus de 500m sous terre pour documenter le quotidien des mineurs, lit de nombreux ouvrages sur la mine, les problèmes économiques, le socialisme et les grèves. Zola éprouve le besoin d’aller voir par lui-même la misère humaine, de se mettre à la place de ces ouvriers, de s’identifier à eux pour vivre leur vie, pour la sentir à l’intérieur. Henri Mitterand raconte à propos de la méthode de travail de Zola : “C’est du mimétisme. Qu’est-ce que le journalisme sinon cela ?”
Je clôture cette chronique sur l’explication du choix du titre “Germinal”, qui a failli s’appeler “Les affamés”, “L’assiette au beurre” ou encore “Château branlant”. Autant Zola savait exactement où il voulait aller dans l’écriture et la construction du récit, autant il a longuement hésité sur le titre. Il tombe un jour sur l’article « germinal » dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse. Il s’aperçoit alors que Germinal signifie étymologiquement la germination, la renaissance des forces nouvelles, permettant une formidable métaphore avec la naissance de l’ouvrier de l’insurrection. Germinal était aussi une révolution populaire en 1795, et correspond au début du printemps selon le mois du calendrier révolutionnaire.
Bref, je vais m’arrêter là même si je pourrai continuer à parler pendant des heures de Zola, auquel je vais d’ailleurs prochainement consacrer un portrait d’auteur. En résumé : ce livre c’est vraiment trop de la balle. Vous l’avez probablement déjà lu au lycée, mais faites-moi confiance et replongez-vous dedans. Vous ne le regretterez pas.
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